3 février 1924 | Naissance de Pierre-Albert Jourdan

Publié le 03 février 2013 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

Le 3 février 1924 naît à Paris Pierre-Albert Jourdan. Élevé par sa mère dans la passion des livres, de la musique et de la peinture (il est âgé de quinze ans lorsque meurt son père), Pierre-Albert Jourdan fait des débuts tardifs dans l’écriture (vers 1956). Poète discret peu soucieux de reconnaissance littéraire, proche de René Char et de Henri Michaux, Pierre-Albert Jourdan fut l’ami des plus grandes voix de sa génération : Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Claude Vigée, Gustave Roud, Lorand Gaspar, Anne Perrier, Paul de Roux, Roger Munier…

Au lendemain de la mort de Pierre-Albert Jourdan, la plupart de ses textes ― fragments, poèmes, proses ― ont été rassemblés par Yves Leclair dans deux volumes publiés au Mercure de France, sur l’initiative de Simone Gallimard. Les Sandales de paille, publié en 1987 (ouvrage aujourd’hui épuisé, mais dont une grande partie des poèmes et fragments a été rééditée en édition bilingue par un éditeur new-yorkais : The Straw Sandals : selected Prose and Poetry, Chelsea editions, New York, 2011. Traduction, introduction et notes par John Taylor) ; Le Bonjour et l’Adieu, publié en 1991. Le troisième volume prévu (qui devait rassembler les romans et contes de l’écrivain, avec une préface de Roger Munier) n’a jamais vu le jour.

Un petit nombre de fidèles lecteurs, de chercheurs et d’éditeurs s’emploie aujourd’hui à faire redécouvrir cet auteur « rare », dont les éditions Voix d’encre (Pierre-Albert Jourdan, Exercices d’assouplissement, 2012) et Élodie Meunier, qui anime un site consacré à cet écrivain et qui, en 2006, a soutenu une thèse de doctorat intitulée Pierre-Albert Jourdan : l’écriture comme ascèse spirituelle. Les travaux d’Élodie Meunier ont été tout récemment repris et publiés par les éditions du Cygne sous le titre : Pierre-Albert Jourdan : l’écriture comme voie spirituelle (2013).


Ph., G.AdC


LE BONJOUR ET L’ADIEU, IX (Extrait)

La terre s’éveille chaque jour à sa tâche immense, parfois elle gonfle dans la nuit pour nous surprendre d’une branche. Je pense à ces caresses fleuries dans l’air léger, à ces bleus lointains qui ne pèsent pas, à ce mélange de terre et d’air. Le corps se déchire, s’ouvre. J’entre en rêve dans le bois de pins. Le sentier parfois se resserre et comme des murs de chaleur le bordent ; violence charnelle qui porterait au délire. Que les mots montent alors à la gorge c’est qu’il ne faut pas perdre cette trace, brûlante encore, c’est qu’il ne faut pas rester les mains vides.
Mais comment faire exploser cette beauté, comment la retenir ? Les mots sont des pièges à force d’usure, ils se refusent, ils désertent. Il n’y a pas d’idée de devoir enfermée dans les mots. La parole est ainsi cette tâche impossible : être juste et véritable.

Chaque jour cette tâche immense…Et pourtant il arrive que les mots gonflent dans la nuit pour nous surprendre d’un souffle frais à l’aube. Ces bleus lointains, cette légèreté impensable, voilà soudain ton capital. Tu marches et chaque mot qui se détache de toi est, à la fois, comme une pierre sur le chemin et comme une poussière d’aile. Ainsi tu énonces une vérité. Laisse venir le vent et les orages ; ta vérité est dans ce tremblement d’ombre et de lumière, cette palpitation du cœur de l’univers qui est semblable au voile d’un visage lorsque la tendresse le recouvre. Tendresse inquiète et inapaisée, battement même de la mer à ton oreille remplie de sable ; paroles de terre et d’eau, assourdies de soleil et de vent ; langage évident, immédiat…

Pierre-Albert Jourdan, Le Bonjour et l’Adieu, Lettres à Fabienne, 1963-1965 in Le Bonjour et l’Adieu, Mercure de France, 1991, pp. 213-214. Edition établie et annotée par Yves Leclair. Préface de Philippe Jaccottet.

Second tome poétique des œuvres de Pierre-Albert Jourdan, Le Bonjour et l’Adieu « réunit, suivant un ordre chronologique », poèmes et proses poétiques composées de 1956 à 1978. Le titre générique retenu pour cette édition est le titre donné par l’auteur des Sandales de paille à l’une de ses proses poétiques rédigée sous forme de correspondance ― une cinquantaine de lettres ― et destinée à sa fille Fabienne, alors âgée de dix à douze ans : Lettres à Fabienne.

« S’il souhaitait dans ces lettres lui faire comprendre, et peut-être partager, son approche de l’existence, il paraît tout autant avoir tenté d’y éclaircir, à ses propres yeux, certaines questions d’importance pratique, vitale. Il y définit ainsi pour la première fois véritablement les conditions de ces moments suspendus, pleins, où l’on accède parfois lorsqu’on a, dit-il, pour un temps au moins assumé la solitude, renoncé au désespoir et à la révolte, et accepté de se perdre dans un mouvement de tout l’être vers la terre où le corps est profondément engagé et l’esprit cesse de lutter et de nier. Surtout, le constat qu’il lui est impossible d’atteindre le monde directement, dans un mouvement de désir, lui fait alors reconnaître la nécessité, pour mieux l’approcher, d’un “demi-tour” vers soi-même, d’un travail sur ce qui, en soi, sépare de lui, afin de s’en dépouiller, de s’en laver. Travail incessant, difficile, qui apparaît dans ces lettres viser d’abord à instaurer en soi une telle orientation vers le monde, une ouverture à la puissance qui l’habite, et un engagement véritable dans le “jeu” de la vie, malgré les liens tissés, les urgences ou besoins, les peurs et les crispations. »

Élodie Meunier, Pierre-Albert Jourdan, L’écriture poétique comme voie spirituelle, Éditions du Cygne, 2013, page 19.



PIERRE-ALBERT JOURDAN

Ph. © Gilles Jourdan
Source


■ Pierre-Albert Jourdan
sur Terres de femmes

→ [Ceci est ma forêt]
Le Fil du courant
L’Entrée dans le jardin
→ Les nuages parfois s’enlisent

■ Voir aussi ▼

le site d’Élodie Meunier consacré à Pierre-Albert Jourdan




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