Puisque le printemps est enfin là (mais il repart bientôt, je le sais de source sûre : le 21 juin, il cède la place à l’été, si si, je vous le jure), j’ai des envies de promenades et de verres en terrasse.
Alors, lorsqu’un (en apparences) charmant monsieur de la page orange me propose une balade suivie d’un verre en terrasse (chauffée, la terrasse, pas folle l’abeille), j’accepte volontiers. Ça suffira amplement à mon bonheur, du moins s’il a un minimum de conversation (et puis s’il est beau, grand, brun, ténébreux, drôle, intelligent, riche et célibataire, ça sera une jolie plus-value).
J’arrive au point de rencontre (on se croirait dans un supermarché : « la petite Anaïs attend son nouveau contact au centre d’accueil ») et je suis agréablement surprise : il n’est ni brun, ni ténébreux, mais néanmoins charmant. Plaisant. Oserais-je un « craquant » ?
Nous voilà partis pour une promenade en bord de Meuse. Le soleil me dore la peau, le vent rafraîchit ma chevelure qui vole au vent (enfin, façon de parler, des cheveux relativement courts, ça vole difficilement au vent), la vie est belle.
Je réalise cependant très vite que je marche à côté d’Einstein, ou presque. Il est vachement culturé (et que celui ou celle qui ose un « pas difficile d’avoir l’air ‘culturé’ face à Anaïs » soit maudit jusqu’à la douzième génération).
Il me propose ensuite de gravir la citadelle. Ne voulant pas passer pour une petite nature, j’accepte avec une joie non dissimulée. Sauf que moi, j’étais partie pour une balade. Pas pour de l’escalade. J’ai mis une petite tenue pré-estivale (qui déprimait depuis des semaines), j’ai chaussé des bottes aussi sexy que celles de Carrie Bradshaw lors de son escapade parisienne (les fans comprendront). Donc aussi peu confortables que celles de Carrie Bradshaw lors de son escapade parisienne, logiquement logique. Je me conditionne donc à souffrir en silence durant toute la montée, et à souffrir en silence durant toute la descente. Keski faut pas faire pour donner l’impression d’être une femme culturée, sportive, enthousiaste et dynamique. En plus j’ai rien prévu contre les hypoglycémies, et quand je fais des efforts, j’ai des hypoglycémies, diantre (qui a crié « chochotte » ?)
Sa façon de me parler me met mal à l’aise. Il parle comme dans les livres. Avec un vocabulaire que je n’imagine que dans les livres. Des expressions guindées que je ne lis que dans les livres. « En l’occurrence, très chèèèère Anaïs, je me passionne pour la culture de crevettes grises en Mer du Nord », « Il va de soi que jamais je ne me risquerais à te demander ton âge », « Mon travail consiste en la gestion de dossiers hautement confidentiels », « Puis-je me permettre de te demander si tu aurais l’obligeance de bien vouloir accepter que je t’offraaaaaaaaasse un rafraîchissement après cette marche somme toute assoiffante ? » « je connais, tout comme toi, certains déboires avec mon fournisseur de téléphonie fixe »… (en résumé et en d’autres termes : il bosse à la CIA, il me trouve vieille, Belgacom (équivalent France Télécom) le fait chier, il aime bouffer des crevettes et il a soif).
A entendre tout ça, je suis sur le cul. Mais rassurez-vous, je ne le lui dis pas, souhaitant éviter qu’il n’avalasse sa langue en s’étranglant de stupeur face à mon langage châtié.
Une fois arrivés au sommet, il m’offre ce rafraîchissement tant attendu. Je m’enfilerais bien deux coca light et un ice tea tellement j’ai le gosier sec mais je m’abstiens. (A-t-on idée de proposer une activité d’ascension d’une citadelle quasi similaire au Mont Blanc – non, j’exagère pas, ou si peu – à une frêle et belle jeune femme de mon acabit). Garder bonne contenance, garder bonne contenance, je ne pense qu’à ça, en m’épongeant le front et les dessous de bras.
Il se choisit une bière. Moi un seul petit minable Coca light que j’engloutis comme une déshydratée que je suis, tandis qu’il sirote doucettement sa bière.
La conversation va bon train. Je le fais rire, chose surprenante. Il n’a pas l’habitude de rire. Je le sens. Mes bêtises le font rire. Impossible de détecter si ce rire est empreint de franchise ou plutôt de cet étonnement tout particulier face à ma bêtise intersidérale.
J’ose lancer une vanne Anaïsienne (dont je ne vous donnerai pas les détails, pour préserver son anonymat) au moment précis où il avale une bonne grosse goulée bien rafraîchissante de bière.
J’ai compris à ce moment précis (ralenti sur image) qu’il riait très peu dans sa vie. Vraiment peu. Et jamais en mangeant. Jamais non plus en buvant. Encore moins en buvant de la bière.
Il a éclaté de rire. Comme ça. D’un coup. De façon totalement inattendue. D’autant plus inattendue, qu’il avait la bouche pleine de bière. Bière qui a explosé en milliers de fines gouttelettes. Gouttelettes qui ont atterri sur mon visage, dans mes cheveux, dans mon cou, sur mon joli décolleté, sur mon top bien blanc et sur mon jeans tout propre tout chaud du repassage matinal. Une sorte de brumisateur naturel de bière, en quelque sorte (de quoi je me plains, le houblon a sans doute des vertus cachées).
Il s’est confondu en excuses, tandis que j’étais morte de rire (mais j’étais rouge tomate trop mûre, également). Il n’a pas cessé de s’excuser durant la descente de la citadelle. Moi je riais tant que j’en oubliais presque mes douleurs pédestres.
Nous nous sommes quittés en bons termes, j’en ai profité pour l’embrasser à la française. Meuh non, pas un french kiss, m’enfin, qu’allez-vous imaginer (en plus il avait bu de la bière, j’aime pô les bisous à la bière). Je l’ai embrassé deux fois, un smack sur chaque joue, en appuyant bien avec les miennes, de joues, histoire de lui refiler un peu de sa bière, qui me tiraillait encore le visage.
Depuis, il m’a adressé neuf mails. Des excuses. Des excuses. Encore des excuses. Jamais je n’aurais imaginé qu’il existât tant de façons de demander pardon, de se confondre en excuses, d’exprimer ses regrets éternels…
J’aime po l’odeur de la bière. J’aime po les buveurs de bière. J’aime po les buveurs de bière qui boivent la bouche ouverte. Na.
PS : j’accepte de le revoir ?
PS2 : trouvé sur le net « Dès le Moyen Age on appliquait des cataplasmes de houblon pour soigner la goutte, les rhumatismes, les maladies de peau, les foulures et enflures diverses et également les maux de ventre. Dans d’autres pays comme le Japon et la Chine, on utilise les autres propriétés du houblon pour soigner les problèmes urinaires et les maladies tels que la diphtérie, la tuberculose, le simple rhume et la toux. » - dois-je y voir un message subliminal ?
Illu de Flo.