Evidemment, les qualités de ces incontournables n'est pas à remettre en cause. Maus est effectivement un livre majeur, tout comme l'est Watchmen, et Corto Maltese se révèle à chaque lecture. Mais à force de revoir les mêmes noms encore et encore, ne peut-on pas se demander si un tel consensus ne tient pas plus au manque de curiosité de la part ceux qui constituent ces listes que d'une pauvreté de la bande dessinée en général ?
C'est pourquoi j'ai jeté un oeil plus que curieux à la liste des quarante trésors cachés de la bande dessinée publiée par les Inrockuptibles. Si Forest est en couverture, ce n'est pas avec l'inoxydable blonde Barbarella, mais avec la brune, moins connue mais pas moins intéressante, Hypocrite. Il faut reconnaître aux Inrocks de vraiment tenter de sortir des habitudes pour proposer des titres vraiment originaux. Malheureusement, certains sont introuvables depuis belle lurette, comme Les Mange-Bitume de Jacques Lob (seul scénariste primé à Angoulême et créateur du Transperceneige ou de Super Dupont et dont l'oeuvre a disparu presqu'entièrement des catalogues d'éditeur) et Bielsa, ou difficilement trouvables en français comme Kampung Boy de Lat.On peut s'étonner de la présence des Labourdet de Jean & Francine Graton, sans doute à titre de témoignage sociologique, ou des Petits Hommes de Seron (quelques albums sont vraiment réussis, mais de là à mettre la série dans son ensemble en avant, au titre de son aspect expérimental, c'est presque risible...).Quelques titres me paraissent des évidences comme Hicksville, superbe hommage à la magie de la bande dessinée, Les Rois Vagabonds, plongée dans l'Amérique de la Grande Dépression, Un Monde de Différence, qui traite de la discrimination raciale et sexuelles dans le sud des USA dans les années 60 ou Travaux publics (j'ai déjà dit tout le bien que je pensais de Yokoyama sur ce blog). Dans l'ensemble, cette liste reprise ci dessous (l'article original contient une brêve présentation de chaque livre) réussit à attiser ma curiosité et me donne envie de découvrir quelques titres:
- Alpha, Jens Harder, Actes Sud-L’An 2 (Allemagne, 2009): un objet graphique hors-norme qui couvre l'histoire de l'univers du Big Bang à l'apparition des premiers hommes
- Captivant, Yves Chaland et Luc Cornillon, Les Humanoïdes Associés (France, 1978-1979)
- Casino, Leone Frollo, Delcourt (Italie, 1985-1987)
- Chaminou et le Khrompire, Raymond Macherot, Marsu productions (Belgique, 1965): une bande desinée animalière, dans le trait rond de l'école franco-belge, par un de ses grands maîtres (Chlorophylle et Sibylline) qui tranche par une noirceur et une cruauté surprenante mais parfaitement dosée. Et cela reste une grande bande dessinée pour les enfants, parce qu'on a toujours aimé se faire peur étant môme.
- Comique mécanique, Alex Toth, Icare (États-Unis, 1963-1981)
- Cori le Moussaillon, Bob de Moor Casterman (Belgique, 1951-1993)
- Den, Richard Corben, Toth (États-Unis, depuis 1973)
- Élégie en rouge, Seiichi Hayashi, Cornélius (Japon, 1970-1971), un manga-culte qui traite de la jeunesse désenchantée du Japon. Il me fait de l'oeil.
- Encyclopédie de Masse, Francis Masse Les Humanoïdes Associés (France, 1982)
- Golgo 13, Takao Saito, Glénat (Japon, depuis 1969)
- Hicksville, Dylan Horrocks, L’Association (Nouvelle-Zélande, 1998), un chef d'oeuvre, tout simplement
- Hypocrite, Jean-Claude Forest, L’Association (France, 1971-1974)
- Ikkyu, Hisashi Sakaguchi, Glénat (Japon, 1993-1995), la biographie du moine défroqué Ikkyu, drôle mais aussi empreinte de philosophie et de spiritualité
- Jérôme, Nylso et Marie Saur flblb, Les Contrebandiers (France, depuis 2002)
- Jolies ténèbres, Kerascoët-Vehlmann, Dupuis (France, 2009), conte noir épatant, au point de départ génial et au déroulement implacable. Vehlmann s'impose comme l'un des scénaristes les plus doués de sa génération
- Kampung Boy, Lat, Thé-troc (Malaisie, 1979)
- L’École emportée, Kazuo Umezu, Glénat (Japon, 1972-1974), manga à mi-chemin entre l'horreur et la SF qui transporte une école dans un monde apocalyptique... un survival horror dérangeant et jamais manichéen
- L’Espiègle, Lili Al G., Vents d’Ouest (France, 1946-1974)
- L’homme qui se laissait pousser la barbe, Olivier Schrauwen, Actes Sud–L’An 2 (Belgique, 2010)
- La Passion d’un homme, Frans Masereel, In Gravures rebelles/L’Echappée (Belgique, 1918), un pan complètement et scandaleusement ignoré de la bande dessinée: les "novels in woodcut", ces récits muets, souvent au thème social, gravés sur bois ont pourtant gardé une influence énorme (Frans Masereel est cité par Art Spiegelman comme influence pour Maus). Le belge Frans Masereel, pionnier et maître du genre, n'est jamais mentionné au Centre Belge de la Bande Dessinée, si je ne me trompe.
- La Vie en enfer, Matt Groening, La Sirène (États-Unis, 1977-2012)
- Le Gant de l’infini, Jim Starlin-George Pérez-Ron Lim, Panini Comics (États-Unis, 1991)
- Les Aventures de Luther Arkwright, Bryan Talbot, Kymera (Grande-Bretagne, 1978-1988)
- Les Labourdet, Jean et Francine Graton, Graton éditeur (France, 1966-1972)
- Les Larmes d’Ézéchiel, Matthias Lehmann, Actes Sud (France, 2009)
- Les Mange-Bitume, Jacques Lob et Jose Bielsa, Dargaud (France, 1974)
- Les Oreilles rouges, Reiser, Glénat (France, 1972-1980), à ma grande honte, je connais très mal Reiser, et son nom me reste injustement attaché à des nanards des années 80 adaptés de ses bandes dessinées, en tête Gros Dégueulasse et Vive les Femmes.
- Les Petits Hommes, Seron, Dupuis, Clair de Lune (Belgique, 1967-2011)
- Les Rois vagabonds, James Vance et Dan Burr, Vertige Graphic (États-Unis, 1988-1989)
- Morte saison, Nicole Claveloux et Zha, Les Humanoïdes Associés (France, 1979)
- N comme Cornichon, Rosse et Schlingo, Les Humanoïdes Associés (France, 1989)
- Orfi aux enfers, Dino Buzzati, Actes Sud BD (Italie, 1969)
- Oumpah-Pah le Peau-Rouge, René Goscinny et Albert Uderzo, Les Éditions Albert-René (France, 1958-1962), sacrifié pour cause de succès planétaire d'un petit Gaulois qui résiste encore et toujours
- Petra chérie, Attilio Micheluzzi, Mosquito (Italie, 1977-1982)
- Rapide blanc, Pascal Blanchet, La Pastèque (Canada, 2006), une perfection graphique à tous points de vue
- Rose profond, Pirus-Dionnet, L’Écho des Savanes/Albin Michel (France, 1989)
- Taxista, Marti, Cornélius (Espagne, 1982)
- Travaux publics, Yûichi Yokoyama, Matière (Japon, 2004)
- Un monde de différence, Howard Cruse, Vertige Graphic (États-Unis, 1999)
- Usagi Yojimbo, Stan Sakai, Paquet (États-Unis, depuis 1987), rencontre improbable entre Itto Ogami et Bugs Bunny