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Scène 9 – Le fou (Willy), la dame (Nelly), les deux enfants (pions) et la cavalière (Chloé)

Publié le 06 février 2013 par Ctrltab

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37ème étage. Willy et Nelly sont en train de faire l’amour. Les deux enfants dorment à leur côté. Halo de lumière sur Willy.

WILLY

C’est bon. Nous faisons l’amour. Comme si c’était notre dernière fois. Nous partageons notre ultime partie de jambes en l’air. Tous les deux cachés dans les chiottes d’un avion prêt à se scratcher. Mourir dans un orgasme, loin des terroristes et de tous ceux qui, même au dernier moment, veulent encore vous envahir avec leur morale, leurs idées, leurs remèdes… Il n’y a pas de solution à la mort. Laissons-nous en jouir, laissez-nous seuls. Ne dirigez pas nos derniers moments.

Les enfants dorment de leur côté. Suzie, comme toujours. Je pense qu’elle bat le bébé des Simpson dans le rôle du bébé mutique accroché à sa tétine. Quant à Balthazar, je l’ai gentiment drogué avec les calmants que j’avais pris avec moi. Au cas où je craquerais ou me rebifferais au moment de l’écroulement des tours. J’ai bien dosé. Rien de dangereux pour lui. Je m’y connais, j’ai potassé Internet. Dans une autre vie, j’aurais aimé être médecin.

Plein feu sur toute la scène. Chloé entre brusquement et s’immobilise à la vue du couple tendrement enlacé.

CHLOE

Surtout, vous me dites si je dérange ! Devant des enfants en plus, vous devriez avoir honte. Bande d’exhibitionnistes !

WILLY (se détachant doucement de Nelly)

Putain, on ne peut être tranquille nulle part. Bordel ! On vient peinard dans une tour au bord de l’autodestruction et il faut encore que des pétasses nous dérangent !

CHLOE (s’approchant de lui)

Attends, je rêve ! C’est toi, Willy ?

WILLY

Oui. Et ta mère ?

CHLOE

Ma mère est morte, pauvre con. Depuis cinq ans.

NELLY (à Willy, tout en se rhabillant lestement)

Tu la connais ?

WILLY

Non, bien sûr ! Pourquoi veux-tu que je fréquente des pétasses du seizième ?

CHLOE

Dix-septième, s’il te plait, ce n’est pas pareil, j’y tiens. Je peux te prendre en photo avec moi ?

NELLY (à Willy)

Tu n’as pas à avoir honte de tes ex. Moi, ça ne me dérange pas. Les goûts sont variés. Je ne pensais pas qu’on en arriverait tout de suite là. Mais comme on y est. Sache que je suis très libérée. Vraiment. La polygamie est dans ma culture, t’inquiète. C’est naturel. C’est l’inverse qui ne l’est pas.

WILLY

Mais puisque je te dis que je ne la connais pas. Où diable aurais-je pu la rencontrer ? On n’a rien à voir. Il y a une chance sur un millième pour que je croise dans la vraie vie ! Et une chance sur un million de mêler mes lèvres et mon sexe aux siens.

Nelly hausse les épaules, reprend Suzie dans les bras et la berce. Willy réattaque Chloé.

C’est plutôt à elle de nous dire ce qu’elle fait, là. On s’est perdu, le petit chaperon rouge ? On cherche sa grand-mère ? Attention, c’est dangereux pour toi ici.

CHLOE

Oh, ne te fais pas de souci, les tours ne sont pas prêtes de tomber…

WILLY

Ah oui, pourquoi ?

CHLOE

A cause de toi, pardi.

WILLY

A cause de moi ? Elle est bien bonne, celle-là !

Chloé brandit son Iphone et lui montre son portrait sur le fond d’écran de son portable avec la bannière « Sauvez Willy »…

Sauvez Willy ?! C’est quoi, cette connerie ? Putain, je n’ai jamais demandé à être sauvé ! C’est quoi cette société de merde où l’on ne peut même plus se suicider en paix ?

Il s’enfouit dans les bras de Nelly.

CHLOE

En tout cas, désolée, c’est trop tard pour toi ! Le buzz est lancé sur Internet. Il a été repris par les Anonymous et les anti-casse-tours. Et puis, il y a mon copain sur le coup. Ahmed, tu le connais ? (Fièrement) C’est le dealer le plus connu jusqu’au fin fond de Neuilly. Avec lui, tu peux être sûr que tout le monde va rappliquer dans moins d’un quart d’heure : (son excitation monte le long de son énumération) les pompiers…la police…les médias…TF1 ! (Ton plus posé) Enfin, les politiques bien sûr. Papa aussi. Il ne permettra pas une faute aussi grave. Il n’aime pas avoir de morts sur la conscience. C’est très gênant, tu comprends, dans l’exercice de ses fonctions. Tu ne peux pas savoir le nombre d’électeurs qu’il perd chaque fois…

WILLY (de nouveau agressif)

Et toi, t’es qui, toi ? T’existes en dehors de ton co-pain ? Ou de ton pa-pa ?

CHLOE

Je m’appelle Chloé, enchantée !

Elle lui tend la main que Willy refuse. Nelly donne Suzie à Chloé et prend Willy à part. Pendant ce temps, Chloé pouponne comme elle peut ce bébé tombé dans ses bras.

NELLY (à Willy)

Sois doux avec elle. Tu vois bien que ce n’est qu’une gosse.

WILLY

Elle a le même âge que moi ! Attention, ne te fais pas avoir par ton empathie de classe. Tu bascules de l’autre côté. Ecoute, on l’attache et on la fait taire. Elle me saoule.

NELLY

Le problème, si elle dit vrai, c’est qu’on est repéré. Elle ne viendrait pas faire un tour de safari ici pour rien. Franchement, moi, je n’ai nulle part où aller.

WILLY

Entre nous, tu ne peux pas aller bien loin avec ces deux gosses sur le dos.

NELLY

Si, on pourrait descendre vers le sud, passer les frontières, se faire la malle en Espagne ou en Grèce…

WILLY

Tu es coincée. Cela reste l’Europe. Ca ne marche pas. Tu te feras rattraper.

CHLOE (qui s’est approchée doucement du conciliabule, s’immisce dans leur conversation)

Quoi, quoi, elle a kidnappé les enfants ! C’est génial, je suis dans un vrai film. Ca va bien m’inspirer pour mes scènes de Racine au cours de théâtre.

Nelly et Willy se regardent. Ils acquiescent tous les deux. Nelly reprend Suzie des bras de Chloé et la remet doucement dans son dos. Puis, en silence, Nelly et Willy prennent Chloé l’un et l’autre par le bras,  pour la bâillonner sur une chaise. Chloé hurle et se débat.

NELLY

Surtout n’oublie pas son arme.

WILLY

Pardon ?

NELLY

Son Iphone.

WILLY

Je vais encore faire mieux.

Willy prend le Iphone de Chloé et le balance par la fenêtre. Juste avant de ne plus pouvoir parler, car Nelly lui a fourré le doudou de Suzie dans la bouche, Chloé hurle une dernière fois, désespérée.

NELLY

Vérifie bien qu’elle n’en ait pas un deuxième. Avec ces gosses de riches, on n’est jamais trop prudent.

Willy fait ses poches puis abandonne Chloé à son sort de prisonnière.

WILLY

Ah, on se sent déjà mieux, une fois l’ennemi neutralisé.

NELLY

On pourrait retourner en Afrique ? Dans ce sens-là, c’est beaucoup plus facile. On n’aura même pas à payer de passeur. Avec ta gueule de blanc, on franchira les frontières comme une lettre à la poste. On pourra même croire que je suis la vraie mère de Bathie et Suzie. Les gènes noirs, chez eux, se seront juste fait la malle. Expulsés lors de la transmission (comme d’habitude d’ailleurs…). Toi, on te fera un peu pousser la barbe et le tour est joué ! (Willy la regarde, interloqué) S’il te plait, Willy…

WILLY

Nelly, t’oublie que je voulais me tuer, pas devenir père de famille.

NELLY (Espiègle)

Oui, mais voilà, au lieu de croiser la mort dans cette tour désinfectée, tu as croisé l’amour.

WILLY

Le sexe, c’est différent.

L’échange entre leurs répliques s’accélère.

NELLY

L’amour.

WILLY

Le sexe.

NELLY

L’amour.

WILLY

Le sexe.

NELLY

L’amour.


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