Tout seul dans le métro

Publié le 06 février 2013 par Secondflore

Dans le métro, hier, m’apprêtant à suivre la looongue ligne 9 jusqu’à Boulogne, je m’installe au fond d’un carré en sautant par dessus les genoux d’une de ces voyageuses qui se muent en statue dès qu’elles sont assises en bord d’allée (les hommes font pareil).
Face à moi, une jeune femme d'origine maghrébine d’environ 25 ans, habillée et maquillée avec un bon goût discret. Elle a revu sa position pour laisser un peu de place à mes jambes, en poussant un sac qui manifestement recèle les dernières bonnes affaires des soldes d'hiver.

J’ouvre mon livre, distraitement, puis une idée me vient. Je rouvre mon sac pour y chercher un crayon. C’est un sac tout neuf, acheté pour 15 euros porte de Clignancourt, un sac tout bête mais comme on n’en trouve plus, sans nom de marque écrit en gros dessus, assez souple pour contenir n’importe quoi et assez rigide pour accepter un livre ou un document sans le transformer en chiffon – un an que je cherchais ça. Son seul défaut, c’est qu’il a tout plein de poches inutiles à l’intérieur, et que trouver le crayon qu’on y a jeté sans y prendre garde s’avère une entreprise délicate, surtout avec une voisine volumineuse et un livre à la main.
J’y suis encore lorsque ma voisine d’en face m’interpelle.

- Il est bien ? demande-t-elle.

J’avoue : j’ai cru qu’elle parlait du sac. Parce que j’y pensais, parce que son sac à elle, parce que oui bon, je sais, c’est con.
Elle parlait du livre.
Par réflexe, j'ai regardé la couverture avant de lui répondre.
Tout seul.
Y a-t-il plus beau titre pour entamer une conversation avec une jolie inconnue dans le métro?

- Il est bien, oui.
- Je l’ai acheté mais je n’ai pas encore eu le temps de le lire, dit-elle.
Elle a semblé déçue quand je lui ai dit qu’il y avait peu de passages vraiment croustillants. Puis elle a hoché la tête quand j’ai évoqué les passages les plus intéressants, sur la psychologie des personnages, la dimension affective au-delà de la seule performance, les trahisons...
Ma voisine de droite est descendue à la Chaussée d’Antin, un touriste a pris sa place et le silence du métro a repris ses droits, j’ai renoncé à trouver mon crayon et suis retourné à ma lecture – il était question d’un voyage en Afrique du Sud et d’une main baladeuse.

Deux stations plus loin, la jeune femme s’est levée pour descendre. Elle m’a regardé et m’a lancé un au-revoir muet, suivi de ce rictus auquel il faudrait donner un nom, lèvres plissées et menton retroussé – ce rictus parisien AOC, qui dit tout à la fois Je sais ça ne se fait souvent pas de parler entre inconnus je n’ai pas grand chose à ajouter mais ça m’a fait plaisir de partager ce moment avec vous bonne journée.

J’ai voulu dire Bonne lecture mais les mots sont sans doute eux aussi restés silencieux, puis le train est reparti, j’ai cessé de chercher mon crayon et j’ai repris le livre où j’en étais.
Tout seul, donc.
Un livre qu’on m’avait offert pour Noel – Je suis sûre que tu ne l’aurais pas acheté, mais tu pourrais avoir envie de le lire, avait dit ma sœur. Elle avait raison.

Et oui, c’est un bon livre - sur l’ego et la bêtise de vedettes surpayées, le pouvoir insidieux des journalistes, la lâcheté des dirigeants et d’à peu près tous les autres, le fonctionnement interne d’une équipe sous la loupe médiatique, et en creux le naufrage d’un type qui croit se cramponner à ses principes mais se noie dans un mélange de certitudes et de contradictions :

Bonne lecture à vous, passagère de la ligne 9. Et allez la France, un peu.