Darklanneur : « Un bilan sur la baisse des revenus publicitaires fin 2012 a été publié par l’IAB (Association internationale dédiée à l’optimisation et à la promotion de la publicité interactive). Quel est votre point de vue sur la question en tant que Directeur d’une plateforme qui puise toute son essence dans ce grand groupe média français qu’est TF1 ? »
Olivier Abecassis : « Il est difficile d’analyser internet de façon macro car il y a un réel écart entre le jeu et la réussite des acteurs. Le bilan général du display n’est pas excellent ; catastrophique pour certains, très bon pour nous mais la température globale du marché ne veut rien dire du fait des écarts types entre ses différents facteurs. Si l’on regarde le marché de la vidéo, celui-ci est en croissance. En croissance à deux chiffres, à la fois en volume et en valeur. C’est donc une très bonne année de ce point de vue-là et chez ETF1 nous sommes au-dessus des objectifs. Il y a une demande des annonceurs et une demande du marché malgré le contexte de crise, qui induit que l’on a des campagnes annulées. Aussi, certains budgets ontswitché de la télévision vers d’autres supports mais on en a récupéré d’autres avec notre offre digitale. Le contexte est illégal mais pour nous c’est une année plutôt bonne. »
D: » Comment définir lepré-roll et son rôle de « prime » sur Internet ? »
OA : « C’est un produit phare actuellement et les études le montrent, car il fonctionne. En effet, le spectateur qui veut regarder son épisode de Grey’s Anatomy, il va attendre, regarder le contenu (pré roll, ndlr) et va s’en souvenir. Etant plus efficace qu’un pavé-vidéo, dire qu’avec le pré-roll on a tout exploité en matière de publicité vidéo serait tout de même une erreur. A l’époque où la publicité vidéo n’existait pas, les annonceurs sont venus nous voir en nous demandant de mettre des campagnes vidéo et nous sommes allés les chercher dans les spots télé, de façon générale. Et c’était là. On a commencé à faire des choses et l’on va sophistiquer tout ça. Souvent, quand je vais aux Etats-Unis je vois des campagnes en pré-roll avec de l’interactivité, chose qu’on voit peu en France. Ça va venir, on a toujours deux ou trois ans d’écart avec les USA. Il faut aussi nuancer ça, car pour certains le pré-roll c’est quelque chose de très passif mais en même temps c’est efficace : Une campagne pré-roll est plus efficace qu’une bannière. »
D: « Quelle arme publicitaire avez-vous envie de pousser sur vos plateformes replay, catch-up etc… ? »
OA : « En premier, il faut mettre plus d’interactivité dans ces pré-roll. Ce qu’il faut se dire c’est que l’on va monopoliser l’attention de l’internaute de 30 secondes à 1 minute avant le visionnage de son contenu, peut-être qu’on pourrait mieux viser ce qu’il veut. On pourrait lui proposer de choisir sa pub – soit pour un soda, soit pour une voiture – soit on lui proposerait pour une voiture un modèle familial plutôt qu’un modèle sportif. Je pense que sans rentrer dans des choses trop complexes pour que le budget de création ne soit pas trop excessif, on doit pouvoir mieux solliciter l’internaute ou alors mieux le connaitre. Et cela peut être aussi sur du comportemental pour faire en sorte de lui délivrer un message publicitaire qui lui corresponde encore plus et qui lui apporte quelque chose. »
D : « Quelle est la raison d’être de WAT.TV ? »
OA : « La première raison, qui était une fausse bonne idée, se basait sur les UGC (users generate content, ndlr). On se disait qu’il y aurait des UGC de qualités et qu’ils finiraient en tête. Basé sur le modèle de curent tv, où à l’époque il y avait encore TPS et CanalSat où il y avait une concurrence,WAT.TV est arrivé au moment de la fusion de ces deux derniers bouquets concurrents. Avec cette rationalisation des chaines payantes qui s’arrête, le modèle de la chaine s’est arrêté. Il est difficile de faire du volume avec des contenus peu qualitatifs malgré les semi-pros qui gravitent autour. Et quand il s’agit d’une chaîne et que vous êtes basé sur un modèle publicitaire, faire de l’audience avec des UGC, cela devient difficile. Cela ne veut pas dire que dans le futur le modèle des chaines thématiques, et pas seulement diffusées classiquement n’a pas de sens mais je n’ai pas l’impression que la consommation des chaines lancées sur Youtube soient énormes. Ce n’est pas nul et il y a des contenus pas inintéressants mais ce n’est pas massif et ça fait un peu peur car si Youtube ne sait pas faire quelque chose de massif, c’est que ça va être dur. Qui mieux qu’eux a la faculté de promouvoir un contenu ? Cela pose une réelle question et je pense que dans le futur nous auront besoin de faire des chaines thématiques pour répondre à des demandes de niches. En tous cas, à l’époque où nous avions imaginé cela sur WAT, c’était trop tôt. Ce n’était pas le bon modèle et l’on en a donc fait une plateforme de diffusion de contenus pour une cible différente de TF1 – qui est globalement celle de MYTF1 – la femme responsable des achats autrement dit, la ménagère. Une cible plus jeune, et l’on a donc travaillé le catalogue de TF1 mais pas seulement, le catalogue des partenaires sur la cible 15/24 ans aussi. WAT Aujourd’hui ? C’est un labo intéressant où l’on teste les choses avant de les déployer. WAT a atteint un équilibre économique et peut apporter des profits au groupe. Aussi nous avons un contact avec une cible tout en diversifiant nos contenus car souvent était retenu que les contenus qui étaient rattachés à l’image de TF1 mais il faut savoir que c’est un produit à part, une adresse à part. On souffre souvent de cette image-là. Nous n’avons donc pas réussi à fédérer d’autres grandes chaines car il s’agit souvent de positions de groupes. »
D: Votre mot clé : c’est le 2ème écran. Quelle est la vision stratégique de WAT avec le deuxième écran et comment une marque peut jouer avec le deuxième écran ?
OA : « C’est un peu le mot magique de 2012 mais en même temps, quand on creuse, on voit qu’il n’y a pas grand-chose derrière. Il faut être honnête et en saisir la chose. Mon point de vue c’est que s’il s’agit de dire comment je drive des gens de la télévision vers le web, si ce n’est que ça : ce sera un pétard mouillé. Parce que quand tu es devant ta télé, tu as de plus en plus ton smartphone, ta tablette ou ton pc sur les genoux. D’abord parce que tu as un problème de temps dans la vie, donc tu fais tes billets d’avion, tes commandes de cadeaux de noël, etc… Et ça, on peut dire ce que l’on veut mais ce ne sera jamais du second écran. Alors oui, on peut essayer de se dire que dans tel prime on va voir un chemisier et on va le vendre sur le net, oui, on en vendra 12. Parce qu’à un moment donné, ce n’est pas parce qu’on aimerait que le consommateur fasse quelque chose d’autre depuis sa télé, qu’il va le faire. C’est comme si les vendeurs de pots de yaourt s’attendaient qu’à la diffusion de leur spot on descende au marché du coin pour acheter des yaourts en se disant : C’EST MAINTENANT ! Il faut donc jouer l’effet long terme. L’approche du second écran sera donc de voir comment l’on va jouer sur les rebonds multiples. De la même façon que l’on a créé le replay en se disant que l’on n’allait pas seulement prendre le truc et le mettre en replay. Il y a des gens qui veulent revoir The Mentalist, d’autres n’ont pas vu Danse Avec Les Stars spécial Noël. Ces derniers ne vont pas se taper 2h30 de programmes pour voir qui a gagné. On a donc adapté l’offre en créant des contenus spécifiques. Oui, il y a des gens qui vont passer sur la tablette pendant l’émission mais il faut leur donner l’occasion de le faire avant ou après. Et donc pour moi, et selon MY TF1, le second écran, il vit tout le temps. Et son timming, on l’a pensé plutôt indépendamment de l’antenne, même si la catch up dépend de la diffusion de TF1 .
Si l’on réussit, dans les 5 ans à convertir 1% des spectateurs, ce n’est pas massif mais c’est déjà ça… Il s’agit pour nous de savoir comment on va construire des rebonds. Il faut que le spectateur se dise qu’il peut avoir une expérience enrichie de la télévision et qu’il peut aussi décider de consommer du TF1 sur sa tablette et d’interagir pour nourrir le rebond, dès aujourd’hui. »
D : « Ce 2ème écran, aujourd’hui communément admis dans notre société, ne trouve-t-il pas toute sa raison d’être dans la télé réalité ? »
OA : « Pour moi, le second écran est drivé par le live. Et l’avantage que l’on a chez TF1 par rapport à beaucoup d’autres chaines c’est que l’on a beaucoup de lives. On a la télé-réalité, le divertissement fort, on a le sport – même si c’est de moins en moins – et on a l’info. C’est vrai que pour nous, le second écran est une opportunité mais de nouveau on ne doit pas penser au taux de conversion des gens qui regardent les lives de The Voice, celui-ci sera trop petit probablement… Il faut donc trouver quelque chose qui fasse durer l’effet. La diffusion télé est pensée et nous devons en trouver les aspérités pour prolonger l’écho. Cela fait un an ou deux que l’on parle chez TF1 de l’écho permis par le digital. Il y a cet écho-là, il faut lui donner de l’ampleur. »
D : « Quel bilan peut-on faire concernant le deuxième écran en matière de fiction télé ? »
OA : « Ce n’est pas le programme le plus facile, puisque déjà en télé, il est en souffrance par rapport à d’autres formats. Mais on a de bonnes expériences, par exemple on a produit des contenus autour de Clem. Et cela a bien marché. C’était Clem quelques années après avec des compléments, un personnage qui communique avec sa communauté etc… Il va falloir s’inspirer des USA mais honnêtement, pour le moment, nous allons privilégier le live. Parce que le live c’est l’adn de TF1 et c’est ce qui nous donne la possibilité d’avoir de la matière venant du second écran pour la mettre dans la télé. Et moi, je crois en ce système permanent du renvoi de l’un vers l’autre. La fiction ne nous permet pas ces allers retours. »
D : »La place de la marque pour jouer avec l’écho ? »
OA : « Il vaut mieux tendre vers du sponsoring plutôt que la vente digitale classique. Il vaut mieux travailler avec un petit nombre de marques sur des intégrations spécifiques qui deviendront expérientielles. Plutôt que de vendre un produit au kilo, car des kilos on en aura. Mais la bonne nouvelle c’est que les kilos que l’on aura, seront engagés. Comment intégrer la marque à l’expérience afin qu’elle soit visible ? Nous sommes dans des choses complètement nouvelles, qui ne sont pas dans l’optimisation des formats et qui sont nouvelles dans la captation d’attention du spectateur-internaute. On va être dans l’écrin. Est-ce que ce sera toujours le cas ? Probablement non mais on va démarrer dans l’écrin. »
D : « La télévision connectée est-elle viable ? Quand est-il de son modèle économique ? »
OA : « Elle n’est pas viable pour le moment. Si ce n’est que les FAI (Fournisseurs d’accès à internet, ndlr) le font au travers de box avec un modèle pas intéressant. Mais les FAI ne poussent pour le moment que les contenus de VOD ou catch up TV. Le marché de la télévision connectée n’est donc pas autant développé qu’aux Etats-Unis du fait des FAI, et je ne pense pas qu’il le sera à court terme. A moins que les FAI se disent qu’elles vendent de l’accès et pas le service qu’il y a autour, auquel cas j’ouvre ma box aux autres mais tant que la box est contrôlée par les FAI, je ne suis pas sûr qu’il y ait de grandes possibilités pour pousser une offre de contenus. Tout d’abord parce que les FAI ont souffert cette année avec l’arrivée de FREE dans le mobile et parce que l’approche globale fixe-mobile fait penser qu’ils n’ont pas les poches assez pleines pour investir dans du contenu. Deuxièmement, les FAI cherchent des modèles qui pourraient booster leur ARPU (Average revenue per user, ndlr) et donc ce ne sont pas des chaines gratuites. Pour l’instant, la télévision reste une opportunité mais qui passent par les FAI. Compte tenu de ça, on n’a pas fait le choix, avec WAT, d’investir le sujet. On verra ce qu’il se passera dans le futur. Maintenant, il est sûr que l’on doit continuer de travailler des catalogues de contenus. On doit savoir thématiser. Même si l’on a fait une bonne année, tout est toujours précaire dans le digital et tout prend du temps. Il faut donc mettre des priorités et mettre l’élan sur quelques sujets et celui-là n’en a pas fait parti. On verra ce qu’il se passera car il se passe toujours beaucoup de choses dans le domaine des FAI, Canal et SFR ont annoncé qu’ils allaient travailler ensemble par exemple. Le marché de la Pay-TV évoluera aussi parce que le non linéaire doit pouvoir apporter une réponse. On est dans un marché qui dans les deux années à venir va probablement évoluer, et en fonction de ça nous déciderons de faire pivoter notre stratégie. En 2012, on sent qu’aucun modèle n’est certain. Vous vous en sortez si vous pivotez au bon moment. C’est une opportunité car si vous avez des difficultés cela veut dire que vous pouvez vous en sortir mais c’est une épée de Damoclès que vous avez en permanence au-dessus de la tête car même quand vous trouvez le bon modèle ça peut dérailler. »
D: « La philosophie de TF1 pour 2013 sera-t-elle d’être dans une forme de raison ? »
OA : « On est assez pragmatique, car cela fait 4 ans que l’on a tout changé. A la fois on a appris des choses formidables sur la puissance de certains programmes et le champ des possibles. A l’inverse, il y a des choses qui sont de la modernité absolue bien perçue par les CSP + ou le Geek mais qui ne sont pas un produit mass média. Et une bonne idée, face à la surabondance des contenus sur le web peut passer complètement inaperçue. Je ne cours pas derrière des trucs qui peuvent être l’idée géniale et j’essaye d’inculquer un pragmatisme absolu. On est dans l’innovation mais aussi dans la construction à plus long terme. Il est vrai que l’on est parfois un peu trop prudent.
On me demande d’accompagner les challenges de TF1 dans leur globalité plutôt que de penser seulement à mon champ digital. Je suis à la fois dans les deux. On peut être un peu moins innovant que d’autres mais on peut être plus impactant, parce que quand on y va, là c’est assez massif. On est à la deuxième place en termes de temps passer sur la vidéo web derrière Youtube. C’est deux fois plus que Daylimotion ou M6. Et l’on va lancer des choses sur le deuxième écran, pour toujours être en amont, je pense que cet écho est donc permanent et dans les deux sens. «