Pour moi, je suis contraint de passer de l’un à l’autre à une vitesse effrénée. Je profite d’un bref moment pour aller boire de l’eau et j’éclate nerveusement de rire tant j’ai l’impression que la vie passe à cent à l’heure et que je n’ai pas le temps de digérer tout ce qui se déroule dans ses coulisses. Chapeau bas pour les employés des Pompes funèbres qui, tout au long de l’année, accompagnent les familles et soignent les corps. C’est une école. Et d’abord une invitation à profiter de chaque quart d’heure de l’existence, une invitation à dire, exprimer mon amour et peut-être mes ressentiments. Je ne veux pas attendre une gerbe mortuaire pour témoigner de mon affection à mes proches. Parfois, je vois un corps tomber sans résistance dans un cercueil. Cette passivité me déconcerte et, pour tout dire, me révolte. Je me suis dit : « Tout ça pour ça. » Après ces quelques jours, je peux jeter un autre regard : voir chaque défunt comme le lieu d’une vie accomplie. Le soir, je vais me coucher, si heureux d’avoir trois enfants et une femme en bonne santé. À la fin de ce stage, mon ami me raccompagne à la maison. Il me sert dans les bras et, devinant dans mes yeux quand même un peu de tristesse, me dit : « N’oublie pas tous les êtres qui sont vivants, qui naissent aujourd’hui. » La vie et la mort, je le sens, ne sont pas en opposition. Pire que la mort, il y a la solitude. Lutter contre son œuvre, c’est aller vers l’autre et l’aimer sans mesure.
Source : La Vie juin 2012