Max | Le Libertin

Publié le 17 février 2013 par Aragon

C'est d'une performance rare qu'il s'agit. L'entreprise à mon sens était périlleuse, les "Amis en Scène" , troupe de théâtre amateur de Saint Pierre du Mont (Landes) ont relevé le défi et ont porté de manière admirable sur les planches la pièce de Schmitt qui est un sacré morceau.

Le texte est léger, aérien, mais ardu, il appelle à chaque virgule, à chaque reprise de souffle, la réflexion, la disponibilité de l'âme... Il est ENORME par sa densité lexicale, son contenu philosophique, son message est clair et lumineux - La liberté et le droit au bonheur - il est essentiel ce texte. Il m'a bouleversé !

Quelle écriture théâtrale ! Mais surtout dans ce que j'ai vu hier soir, quelle interprétation magistrale ! Je dis alors bravo, mais pas un bravo ordinaire, un bravo en croisant légèrement les jambes ainsi qu'il sied selon l'usage, j'ôte ensuite mon chapeau et faisant un huit en l'air, le porte à dextre en un geste large. Bravo les comédiens !

Des comédiens inspirés, habités, lumineux, transcendés par ce texte. Pas un faux pas, pas un bémol, pas un soupir, du fort, du poignant, de l'intrigant, du palpitant, de l'excitant, de l'émotion toujours, une mise en scène parfaite, des comédiens au taquet buvant l'espace scénique, donnant sans faute des répliques difficiles (professionnellement), parfaites. Et en prime... la beauté et la grâce de ces femmes qui volent en l'air, en ce bureau, comme abeilles en fleurs, en cette folle journée pour Denis Diderot...

Le temps n'existe pas, il est absorbé comme encre par buvard en manuscrit... La plume du philosophe encyclopédiste zèbre l'espace de messages invisibles mais parfaitement explicites aux hommes du 21ème siècle que nous sommes, il éclairera les hommes longtemps encore, jusque dans les siècles à venir. Diderot est éternel.

Incroyable Stéphane Renoult qui a donc osé ce défi (porté au grand écran en 2000 par Gabriel Aghion avec Vincent Perez, Fanny Ardant et Michel serrault entre autres...) et a largement gagné son pari avec toute sa "divine" troupe ! Bravo à : Magalie Mathé, Magalie Bogé, Marine Simon, Julie Aristouy, Emilie Herman, Nicolas Demangeon et un bravo paticulièrement appuyé au maître de scène, Stéphane Renoult - plus que vrai Diderot - habité - revêtu - par la grâce, mais là, en l'occurence, déshabillé par la muse. Du grand, du beau théâtre hier soir au forum des associations de Saint Pierre du Mont, ville incroyablement culturellement dynamique...







EXTRAITS...

Mme DIDEROT : Tu fais ce que tu veux mais je ne veux plus que tu me trompes autant. Nous sommes mariés ! L’oublies-tu ?

Denis DIDEROT : Le mariage n’est qu’une monstruosité dans l’ordre de la nature.

Mme DIDEROT : Oh !

Denis DIDEROT : Le mariage se prétend un engagement indissoluble. Or l’homme sage frémit à l’idée d’un seul engagement indissoluble. Rien ne me paraît plus insensé qu’un précepte qui interdit le changement qui est en nous. Ah, je les vois les jeunes mariés qu’on conduit devant l’autel : j’ai l’impression de contempler une couple de bœufs que l’on conduit à l’abattoir ! Pauvres enfants ! On va leur faire promettre une fidélité qui borne la plus capricieuse des jouissances à un même individu, leur faire promettre de tuer leur désir en l’étranglant dans les chaînes de la fidélité !

Mme DIDEROT : Je ne t’écoute plus.

Denis DIDEROT : Ah, les promesses de l’amour ! Je le revois, le premier serment que se firent deux êtres de chair, devant un torrent qui s’écoule, sous un ciel qui change, au bas d’une roche qui tombe en poudre, au pied d’un arbre qui se gerce, sur une pierre qui s’émousse. Tous passait en eux et autour d’eux et ils se faisaient des promesses éternelles, ils croyaient leurs cœurs affranchis des vicissitudes. Ô enfants, toujours enfants…

Mme DIDEROT : Que c’est laid ce que tu dis !

Denis DIDEROT : Les désirs me traversent, les femmes me croisent, je ne suis qu’un carrefour de forces qui me dépassent et qui me constituent.

Mme DIDEROT : De bien belles phrases pour dire que tu es un cochon !

Denis DIDEROT : Je suis ce que je suis. Pas autre. Tout ce qui est ne peut être ni contre nature, ni hors nature.

Mme DIDEROT : On te traite partout de libertin.

Denis DIDEROT : Le libertinage est la faculté de dissocier le sexe et l’amour, le couple et l’accouplement, bref, le libertinage relève simplement du sens de la nuance et de l’exactitude.

Mme DIDEROT : Tu n’as pas de morale !

Denis DIDEROT : Mais si ! Seulement, je tiens que la morale n’est rien d’autre que l’art d’être heureux. Tiens, regarde, c’est d’ailleurs ce que j’étais en train d’écrire pour l’article « Morale » de l’Encyclopédie :  « Chacun cherche son bonheur. Il n’y a qu’une seule passion, celle d’être heureux ; il n’y a qu’un devoir, celui d’être heureux. La morale est la science qui fait découler les devoirs et les lois justes de l’idée du vrai bonheur. »

Mme DIDEROT : Oui, mais enfin, monsieur le penseur, ce qui te rend heureux ne me rend pas toujours heureuse, moi !

Denis DIDEROT : Comment peux-tu croire que le même bonheur est fait pour tous ! « La plupart des traités de morale ne sont d’ailleurs que l’histoire du bonheur de ceux qui les ont écrits. »

http://www.paperblog.fr/241668/du-mariage-et-du-libertinage-1/
http://www.sudouest.fr/2012/10/21/un-libertin-au-forum-856181-2485.php
http://www.sudouest.fr/2012/10/29/le-libertin-plebiscite-863996-3452.php
http://www.sudouest.fr/2013/02/09/le-libertin-troisieme-961061-3536.php