Le 26 février, à Turbo, je prends une lancha jusqu'à Capurgana, village côtier situé à la frontière Colombienne. C'est le moyen le moins onéreux de rejoindre l'Amérique Centrale car aucune piste ne traverse la selva montagneuse du Darién. De l'Alaska à Ushuaïa, c'est le seul endroit où s'interrompt la Panaméricaine, sur une distance d'environ 200 kilomètres. On appelle cette partie de forêt vierge,où se cachent encore quelques guerrilleros, le Tampon du Darién. L'isolement de cette zone, au centre des Amériques, à l'avantage d'assurer la protection d'un écosystème d'une rare richesse, qui est aussi un point névralgique pour la migration de nombreuses espèces. Ci-dessous, les photos de deux spécimens rares d'homo-cyclopédo-jonglagus en pleine transumance.
A cette saison la traversée maritime est une vraie aventure. Sur une mer démontée, notre petite embarcation, une coque de noix sur-motorisée, fonce au maximum de sa puissance. Elle vole au dessus des flots puis, à chaque instant, s'écrase avec fracas sur une vague plus haute que les autres. La trentaine de passagers subit le même mouvement induit par les lois de la gravité. Les corps décollent d'un mètre de leurs siège avant de retomber, trempés et dans un ordre imprécis, sur les dossiers en bois, en recevant à l'ocasion quelques bagages sur la tête ! Un sac s'ouvre et son propriétaire a juste le temps de voir disparaître ses affaires dans l'écume. Après deux heures de supplice, nous arrivons enfin au poste frontalier colombien. Certains passagers sont en sang. Les plus chanceux n'ont que des bleus et le dos en compote.
Je ne reste à Capurgana que le temps de faire tamponner mon passeport pour valider ma sortie du territoire colombien. Dans la foulée, je reprends une autre lancha, heureusement moins rapide pour aller à Puerto Obaldia, où se trouve le poste-frontière panaméen. Ici, la douane ne rigole pas. Accompagnée d'un chien renifleur, elle fouille minutieusement les bagages. Soudain le labrador s'arrête devant ceux de mon voisin colombien. Apparement il a flairé quelque chose de suspect à l'intérieur des montants métalliques du sac à dos. Le gars est immédiatement arrêté. Une heure après, je vois qu'on le conduit à la prison les menottes aux poings. Le Golfe d'Uraba est un important point de passage de la cocaïne vers l'Amérique du Nord et, depuis la chute de Noriega, la vigilance policière a été grandement renforcée.
Puerto Obaldia est une sorte de no man’s land. Aucune route ne relie ce village au reste du pays. D’un côté il y a l’infranchissable selva, de l’autre une mer tempétueuse en ce mois de février. Pour rejoindre la capitale panaméenne, un petit avion de six places assure la liaison trois fois par semaine. Mais il faut réserver son billet à l’avance, car le peu de voyageurs qui transitent par cette frontière ont vite fait de remplir l’appareil. En fait, la plupart des touristes, qui se rendent de Colombie au Panama, prend un vol direct de Cartagena à Panama-City ou bien s’offre une onéreuse croisière en voilier à travers l’archipel des San Blas. Cependant, depuis Puerto Obaldia, on peut aussi trouver des lanchas ou parfois des bateaux de ravitaillement qui longent la côte. C’est l’option que j’ai retenue même s’il n’y a aucune date certaine de départ. Bien qu’au centre du continent, Puerto Obaldia ressemble à une île triste et sale, perdue au bout du monde. Quelques maisons abandonnées et une grande place centrale, incongrue en ce lieu, semble témoigner d’une époque à l’activité économique plus importante qu’aujourd’hui, quand vingt ans en arrière, des avions chargés de cocaïne colombienne transitaient impunément par ici. Maintenant, le village, avec ses quatre ou cinq rues vides, a quelque chose de fantomatique. Mais cela n’est pas sans un certain charme. Assise seule à la terrasse de son bar restaurant totalement vide, une gérante m’interpelle : « Bonjour ! Que vous faites par ici ? Où allez-vous ? « Lorsque je lui réponds que je vais à Panama-City pour trouver un voilier afin de traverser le Pacifique, elle me supplie : « Non, c’est pas vrai ! Vous en avez de la chance. Je voudrais tant voyager. Emmenez-moi avec vous ! J’en ai marre de ce trou. Ils n’ont pas besoin d’une bonne cuisinière sur votre bateau ? Goutez moi ce guisado et vous verrez comme je cuisine bien ! «
Sous le kiosque à musique couleur bonbon de la place, je rencontre deux cyclo-randonneurs. Cristina est Argentine et Ariel Colombien. (…) Il pratique à cinq balles, à quatre massues, le contact avec une boule de cristal et aussi le spining avec un ballon de foot. Arrivés la veille à Puerto Obaldia, Cristina et Ariel attendent un bateau pour suivre la côte jusqu’à la première route leur permettant de gagner la capitale à vélo. Ils sont vraiment buena onda, alors j’installe ma tente près de la leur, au milieu d’une rue déserte faisant face à la mer. A côté, la ruine d’une maison coloniale, au bois vermoulu et à la peinture délavée, nous offre un robinetet des toilettes en état de fonctionnement. Même si quelques seringues usagées jonchent le sol, après deux mois de camping sauvage, c’est pour moi le summum du confort que d’avoir de l’eau courante.
Dans le village, il y a aussi un groupe de six autres cyclo-randonneurs argentins, qui se sont nommés les« Talento 0 » car ils disent voyager sans avoir aucun talent particulier pouvant les aider dans leur entreprise. Voir leur blog : www.talento0.com . Ils nous expliquent qu’ils attendent un bateau depuis plus de dix jours et qu’ils viennent de se résigner à prendre un avion le jour suivant. Je commence à réaliser que cela ne va pas être simple de me sortir de ce cul de sac. De leur côté, Cristina et Ariel se rendent à l’évidence qu’ils ont mal budgétisé le coût du transport jusqu’à Panama-City et que ce n’est pas ici qu’ils vont pouvoir gagner quelque chose. Ils comptaient prendre le bateau transporteur de noix de coco moins coûteux qu’une lancha mais aucun ne passe à cette saison. Il leur manque 100 dollars que je me propose de leur prêter en leur disant qu’ils me rendront cela quand ils pourront et que de toute façon je suis heureux de pouvoir les aider dans leur belle aventure. De ce fait, je me retrouve aussi pauvre qu’eux car il n’y a aucune banque dans le village. Nous adaptons notre cantine commune en conséquence, au menu quotidien : pain et crema de maïs, cuite au feu de bois. C’est une sorte de bouillie protéinée, distribuée par une association humanitaire, dont nous avons hérité de 10 kilos. Nous agrémentons ces repas de quelques noix de coco décrochées, au fruit de grands efforts, du cocotier voisin. Et nous buvons des litres du délicieux maté que Cristina, en bonne Argentine, a toujours avec elle. Autant dire : nous pouvons maintenant tenir la mer en siège en attendant un prochain départ de bateau.
( photo Ariel Diaz )
L’attente va durer cinq jours. Chaque matin, nous sommes réveillés par la rumeur d’un départ imminent, chaque fois annulé car la houle est trop forte. Un jour, après être repassés par les douanes, nous prenons finalement la mer. Mais au bout de dix minutes, la barque motorisée manque de chavirer et le pilote décide de faire demi tour : « Le mois dernier, une barque s’est retournée et une fillette est morte noyée alors moi je ne veux prendre aucun risque. « nous dit-il. Cristina et Ariel, qui ne nagent pas très bien, sont plutôt rassurés de retourner à terre. De retour à notre campement, nous passons le temps comme nous pouvons. Cristina fait des bracelets. Ariel joue de son petit clavier portatif. Et moi je transforme une noix de coco en calebasse à maté. Ariel se moque de moi : « C’est ton nouvel ami ? Tu t’inventes un Wilson, comme dans le film Le naufragé, le type, seul avec son ballon sur une île déserte. « Nous égrainons les heures ainsi en regardant la mer s’écraser sur les rochers car il n’y a pas de plage à Puerto Obaldia. Mais chaque jour une petite anecdote vient distraire notre ennui. Un matin, un Mexicain, artesano voyageur, arrive au pas de course devant notre bivouaque tranquille : « Je jette un coup d’œil au village, j’ai dix minutes, car j’ai perdu mon passeport en Colombie, alors les Colombiens ont bien voulu me laisser sortir de leur pays mais les Panaméens ne veulent pas me laisser rentrer ! Ils me remettent dans la prochaine lancha pour Capurgana. En plus, je n’ai plus un seul dollar en poche, je suis dans la merde », nous dit-il rapidement et il repart aussi vite qu’il est arrivé. Face à cette apparition aussi soudaine que surréaliste, Cristina, Ariel et moi éclatons de rire : « Que loco ! « Le Mexicain a juste eu le temps de nous informer qu’il y a eu, ce matin à l’aube, un attentat des FARC au poste de police de Capurgana. Depuis que la Colombie a arrêté les deux principaux leaders du mouvement révolutionnaire et ouvert la porte à une représentation politique officielle des FARC, le terrorisme a très fortement diminué. Mais il y a encore, dans la selva du Darién, quelques factions de guerrilleros dissidents qui ne souhaitent pas se faire oublier. A cause de cet attentat, la frontière va être fermée quelques jours et le trafic maritime interrompu. Alors on n’est pas sorti de l’auberge !
Mais ici, il y a plus infortunés que nous ou que le pauvre Mexicain. Ce sont les Cubains sans papiers, actuellement au nombre de 11 à Puerto Obaldia. Le jour de mon arrivée, j’ai rencontré un couple dans la rue. Quand ils me disent qu’ils sont Cubains, n’ayant pas compris leur situation, naïvement je leur demande : « Mais ce n’est pas trop difficile pour vous de voyager à l’étranger ? » « Non, non, ce n’est pas difficile de sortir de Cuba « me répondent-ils de façon étrangement laconique. Lorsque les jours suivants, je croise des Cubains à chaque coin de rue, je réalise ma méprise. Cristina, Ariel et moi sympathisons avec certains d’entre eux qui nous racontent l’histoire de migration hallucinante qu’ils vivent. D’après ce que j’ai compris : légalement, il est possible aux Cubains de sortir de leur pays mais seulement pour une période maximum de onze mois continu. Après quoi, ils doivent revenir à Cuba, sans quoi leur patrie les prive de leur nationalité. Lorsqu’ils sont dans la situation d’être apatride, s’ils arrivent à rentrer illégalement aux Etats Unis, l’Oncle Sam les accueille à bras grands ouverts, en tant que réfugiés politiques ayant fuit l’adversaire communiste. Le problème que rencontrent les Cubains candidats à l’exil est qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter de billet d’avion et l’obtention d’un visa étranger est très difficile. Mais un pays fait exception. L’Equateur offre certaines facilités aux Cubains dans le cadre d’échanges professionnels, de formations universitaires et ne leur demande aucun visa. Alors tous ceux que l’Amérique du Nord fait encore rêver s’engouffrent dans la brèche. Mais le parcours jusqu’aux Etats Unis est très difficile. Dans un premier temps, ils restent plus de onze mois en Equateur, où ils travaillent au noir, avec l’exploitation que cela implique, afin d’être bannis de Cuba et d’avoir le temps de gagner l’argent nécessaire pour entreprendre le long voyage terrestre jusqu’aux USA. Ils doivent ensuite transiter illégalement par la Colombie, puis tous les pays d’Amérique Centrale et enfin le Mexique, avec toute l’insécurité que cela implique. Le passage le plus difficile est celui du Darién car il n’y a plus de route à cet endroit du parcours. Les Cubains sans papiers traversent la frontière à pied, en se frayant un chemin à la machette dans la selva, trois jours durant - Une femme me montre alors ses bras et ses jambes couvertes d’ecchymoses et dévorés par les moustiques - Le but est de parvenir du côté panaméen de la forêt, où la police les arrête et les conduit ici. On leur confisque leurs passeports et ils sont libres de circuler librement dans Puerto Obaldia qui est, en soi, une prison. Certains Cubains sont en cellule à la caserne mais peuvent sortir durant la journée. Ceux qui en ont les moyens, louent une chambre chez l’habitant. Ils passent généralement un mois ici, en attendant d’être assez nombreux, une quinzaine habituellement, pour que le gouvernement panaméen fasse affréter un avion militaire, qui les conduira à Panama-City, où ils seront à nouveau incarcérés, le temps d’attendre une extradition leur disant : vous êtes libres mais vous avez 48 heures pour quitter le territoire. Ils continuent alors la route vers le Costa Rica et ainsi de suite jusqu’aux Etats Unis. Dans ce pervers Jeu de l’Oie ( jeu de lois comme on voudra), chaque pays connait la destination finale des Cubains, ne souhaite pas encombrer ses prisons d’innocents, mais reste somme toutes assez indifférentes à leur sort. Ils ferment les yeux sur leurs situations, soit en les avançant, soit en les reculant d’une case, selon la règle du jeu du moment. Les exilés, souvent diplômés, perdent plus de deux ans de leur vie sur la route, souvent dans des conditions dangereuses, qui peut aussi les faire passer basculer dans la délinquance. Ils sont hors la loi dans les pays qu’ils traversent et totalement improductifs. Durant plus de deux ans, les compétences de ces individus ne profitent à personne, ni à Cuba, ni aux USA. Quand on sait que la plupart vont en Floride, juste en face de La Havane, cela frise à l’absurde. Le plus kafkaïen de l’histoire est que l’Etat de Floride est le plus revendicatif à maintenir le blocus contre Cuba, car la communauté cubaine de cet état, toujours grandissante et très anti-castriste, veut à tout mettre en œuvre pour abattre le régime, même si cela doit continuer à faire souffrir leurs frères. Vive la politique ! Vive les frontières ! C’est tellement adapté à la vie des humains ! Heureusement, il y a encore des résistants comme Cristina, Ariel et leur Universidad Sin Fronteras, qui avec leurs petits vélos, luttent contre les divisions artificielles de la Terre.
A Puerto Obaldia, nous rencontrons aussi Alessandro. Il est Colombien et étudie l’anthropologie en Allemagne. Il écrit son mémoire de master sur l’économie des noix de coco dans la Comarca Kuna-Yala, une réserve indigène autonome, dont fait partie l’archipel de San Blas. Il nous parle de la culture des Kunas et nous explique le comportement à avoir sur leurs îles car ces indiens forment une société très protectionniste et conservent farouchement ses traditions. L’organisation matriarcale est soumise à de nombreuses règles très strictes, qu’il est important de respecter, car les contacts avec les étrangers, dont fait aussi partie le reste des Panaméens, ne sont pas toujours bien vus. Et c’est sans parler de l’impossibilité d’union mixte avec des non-Kunas. Les rares à avoir tenté le coup, avant les années 1970, ce sont tous fait massacrer, avec leurs conjoints et leurs enfants. Les Kunas disent vouloir préserver la pureté de leur race ! Et pour le signifier clairement aux visiteurs, certains villages ont eu le mauvais goût d’ajouter à leur drapeau une croix gammée… Espérons que ce soit par méconnaissance de toute la portée de ce triste symbole. Cette attitude, proche de la xénophobie, est probablement le résultat de plusieurs siècles de tentatives de colonisations violentes. Quoi qu’il en soit, le caractère de ce peuple fier lui a certainement permis de maintenir ses traditions vivaces jusqu’à nos jours, malgré le rouleau compresseur de l’occidentalisation généralisée, contre lequel tant d’autres sociétés indigènes d’Amérique Latine n’ont pas pu résister. Par leur persévérance, les Kunas sont arrivés à obtenir le premier territoire autonome amérindien, servant ainsi d’exemple politique à d’autres peuples natifs.
Alessandro est pressé de rejoindre son terrain d’étude, l’Ile de Mulatupu. Car, cette fois ci, son séjour ne peut pas excéder trois semaines. Il nous propose de prendre une lancha avec lui, jusqu’à Caledonia, une île proche de Mulatupu, à l’extrémité orientale de San Blas. Il suffit de trouver un pêcheur qui accepte de nous emmener avec sa barque et nous partagerons les frais. A partir de Caledonia, Alessandro nous dit qu’on peut facilement trouver d’autres bateaux qui longent la côte vers l’Ouest. Le lendemain, la mer est plus calme et nous embarquons tous les quatre sur un frêle esquif. Voilà six jours que nous sommes coincés à Puerto Obaldia et nous ne sommes pas mécontents de pouvoir décamper. A notre arrivée, l’eau turquoise de San Blas nous semble d’autant plus paradisiaque. A Caledonia, nous sommes accueillis par Atiliano. Nous lui demandons la permission de planter nos tentes pour deux nuits sur son île. Il nous répond que ce n’est pas possible, mais que le village possède un îlot inhabité, tout proche, pour accueillir les voyageurs, très peu nombreux dans cette partie de San Blas. Il peut nous y déposer en pirogue et nous apporter tout ce dont nous avons besoin. Les Kunas vivent sur de petites îles-villages qui semblent surpeuplées, tant la densité de maisons en bambous y est importante. Les cases occupent presque tout l’espace émergé disponible. Les autres îles alentours servent à cultiver la noix de coco, qui a ici valeur de monnaie. On peut aller faire ses courses en payant avec, au cours officiel de : 1 noix de coco = 0,25 centimes de dollar, si je me souviens bien. C’est pourquoi ici,surtout il ne faut jamais cueillir une noix de coco, même dans un endroit qui semble isolé, sans avoir l’accord préalable du propriétaire de l’arbre, car ce serait considéré comme le pire des vols ! Sur le continent tout proche, il y a aussi de petits terrains agricoles, aménagés sur des parcelles de forêt défrichées. Ces terrains sont utilisés en roulement, le temps d’une saison, puis ils sont rendus en jachère à la nature et la forêt reprend rapidement ses droits. Atiliano nous accorde une heure pour visiter le village et faire quelques courses. Mais il est formellement interdit de prendre des photos. Les habitants nous observent du coin de l’œil et les enfants nous suivent de loin en riant. Les femmes Kuna, dans leurs tenues traditionnelles sont très belles. Elles sont vêtues d’une robe aux couleurs chatoyantes, recouverte d’une broderie de tissus superposés, appelée molas. Elles portent de longs colliers de perles fines qui recouvrent entièrement leurs bras et leurs mollets. Et les femmes mariées se percent le nez avec un gros anneau en or. Effectivement tout cela peut attiser la convoitise… Après le déjeuner, Atiliano nous emmène sur l’îlot où nous sommes autorisés à poser nos tentes. L’endroit est en cours de débroussaillement et une petite plage artificielle a été aménagée sur le récif corallien. En dix minutes, avec quelques feuilles de cocotier, Atiliano nous construit une cabane servant de toilettes et un espace protégé du vent pour faire le feu. Ce n’est pas le plus bel endroit de la Terre mais le simple fait d’être sur une île déserte nous ravi. Cristina et Ariel propose à notre hôte d’organiser un spectacle de cirque pour les enfants du village. Atiliano est enchanté par l’idée mais il doit d’abord demander l’autorisation au Sahila. C’est le chef élu du congrès local, situé dans une grande hutte appelée : onmaked nega. A l’intérieur, le Silha prend ses décisions en prenant conseils au près du argargana, son porte-parole, et du sualibedi, le gardien de l’ordre. Comme le veut la tradition, ils exercent confortablement allongés dans des hamacs. Chez les Kunas, le hamac est aussi important que la voiture aux Etats Unis. On y passe tous les moments de sa vie. Le lendemain Atiliano revient nous dire que le Silha a donné son autorisation pour le soir même. A la tombée de la nuit, il nous conduit sur la place centrale de Caledonia. En arrivant, nous sommes un peu déçus car il n’y a que sept ou huit enfants présents. Mais dès que le spectacle commence, des dizaines de gosses accourent de partout, peu à peu rejoints par quelques parents. Les enfants sont très impressionnés par les massues lumineuses de Cristina et par la boule en cristal d’Ariel, qui semble léviter dans les airs. Tout le monde rit et cela nous rapproche. Lorsque nous leur débitons les quelques phrases de Kuna que nous avons appris, les rires redoublent. A la fin, Cristina et Ariel sont obligés de faire une autre représentation pour ceux qui ont raté le début. Le jour suivant, Cristina, Ariel et moi reprenons une lancha en direction de l’Est. Nous passons à Malatupu, dire au-revoir à Alessandro qui s’est installé chez une famille du village. Puis nous visitons Nargana et Nusadup. Ensuite Cristina et Ariel continuent sans moi jusqu’à Carti. Il y a là une route cyclable leur permettant de gagner la capitale panaméenne, où nous prévoyons de nous retrouver plus tard.
Pour ma part, je décide de rester quelques jours de plus dans l’archipel, à Najanco, autrement connu sous le nom de son propriétaire, l’Ile de Robinson, un Kuna qui a pas mal bourlingué. Mais cet îlot n’a de Crusoé que le nom et le décor de carte postal. Dans cette partie touristique de San Blas, c’est l’endroit le meilleur marché qu’on puisse trouver. Alors cela en fait un repaire de jeunes back-packers, une cinquantaine répartie sur les deux sites de camping de cette petite île paradisiaque de moins de 700 mètres de long sur 100 de large. Il y a beaucoup d’Argentins, de Chiliens et quelques Européens. Cela m’est étrange de me retrouver là, après quelques semaines hors des sentiers battus. Mais il y a deux Français tour-du-mondistes, un jeune couple d’Allemands très sympas, un bar bien garni et une ambiance très festive, alors ce n’est pas pour me déplaire ! Le temps est pourtant à la pluie et les températures sont descendues en dessous des 23° C, ce qui est anormalement froid ici. Cela inquiète les Indiens. Robinson me dit que les anciens pensent que des mauvais dieux leur font ce tour parce qu’ils ne sont pas contents. Alors il leur répond : « Les mauvais dieux, ce sont les hommes blancs qui envoient du gaz carbonique dans l’atmosphère et cela dérègle le climat. » Malgré le temps maussade, je passe quatre jours bien reposant, avant de rejoindre Carti, puis Panama-Ciudad.
Puerto Obaldia, Jacques et son " Wilson " ( photo Ariel Diaz )