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Fleuve Amazone
Publié le 29 novembre 2011 par JacquesroadAprès trois semaines passées dans la selva, Iquitos me semble bien agitée et bien bruyante. J'y passe cependant quelques jours pour me remettre de mes courbatures. Cette grande ville a connu une brève prospérité entre 1880 et 1910, avec la culture intensive du caoutchouc. Elle garde de cette époque un certain nombre de bâtiments à l'architecture coloniale et même une " Casa de Fierro " construite par Gustave Eiffel ! Mais aujourd'hui l'exploitation du pétrole et le tourisme ne suffisent pas à assurer une richesse partagée par l'ensemble de sa population. Il y a une pauvreté importante dans les faubourgs. Comme dans beaucoup d'endroits du Pérou, des enfants travaillent pour gagner leur vie. Je rencontre Juan, onze ans, qui vend des tee-shirts pour financer sa scolarité. Il est très débrouillard et parle déjà l'Anglais, mieux que la plupart de ses ainés. A l'auberge où je loge, je fais aussi la connaissance de Gerson, un biologiste colombien qui fait sa thèse de doctorat sur les colibris. C'est un vrai aventurier. Il vient de passer quatre mois tout seul dans la selva, faisant son chemain à la machette, s'orientant au GPS et grimpant au sommet des arbres pour dénicher ses sujets d'étude !
Vendredi 25 novembre, je prends un bateau à destination de Leticia, ville colombienne à la triple frontière avec le Pérou et le Brésil. Après avoir navigué sur quatre de ses affluents, je découvre enfin le Fleuve Amazone. Bien que je sois à plus de 3000 kilomètres de son estuaire et que la saison des pluies n'ait pas encore vraiment commencé, sa largeur est déjà impressionante. Quand on vogue dans le sens du courant, ses eaux semblent paisibles mais, dès que l'embarcation fait un demi tour, on apréhende soudain la vitesse et l'énergie immense que génère le géant. Depuis le centre du fleuve, on réalise mieux la platitude du pays. L'horizon se perd à l'infini, découvrant à 360 degrés la voûte céleste. Ce qu'il y a de plus beau sur l'Amazone, c'est la lumière, en perpétuel changement. Au fil des heures, les nuages, agencés en d'improbables perspectives, se déclinent dans toutes les couleurs d'eau, puis de sang.
Pour se rendre à Leticia, il y a deux formules possibles : les " barcos lentos " et les " barcos rapidos ". Les premiers sont de grandes barges à fonds plats sur lesquels une bonne centaine de passagers vient installer son hamac. Ils mettent deux jours à rejoindre la frontière. Les seconds sont des sortes de hors-bords contenant une vingtaine de passagers. Ils sont trois fois plus rapides, mais aussi trois fois plus chers et beaucoup moins poétiques que les précédents. J'opte pour la première solution. J'arrive avec quelques heures d'avance à bord, pour m'installer tranquillement sur le pont supérieur encore désert. Car une heure avant le départ, c'est une vraie bousculade. Chacun lutte pour trouver une dernière place possible entre deux hamacs, déjà espacés d'une quarantaine de centimètres. Une multitude de marchands ambulants se pressent aussi pour vendre des victuailles en tout genre. Un illuminé vient prêcher la bonne parole de son église évangélique avec un haut-parleur tonitruant. Alors qu'un autre zouave explique les risques de transmission du sida sur de grands tableaux évocateurs, espérant empocher quelques soles pour son brillant exposé. C'est une vraie foire d'empoigne et il faut être très vigilant à ses affaires car de nombreux sacs se volatilisent mystérieusement dans la cohue. Puis, à l'instant où le bateau quitte ses amarres, tout se calme rapidement. Les passagers ont rejoint leurs literies suspendues, qui se balancent, de façon synchronisée, au rythme tapageur des moteurs. Le voyage est ensuite ponctué par les arrêts du bateau dans les différents hameaux qui longent le fleuve. Face à moi, une petite famille passe deux heures à s'épouiller tranquillement, comme pour passer le temps.
Au moment d'arriver en Colombie, je fais la connaissance d'un couple de voyageurs espagnols, Johnny et Leticia, on ne peut mieux nommée en la circonstance. Nous allons ensemble dans l'auberge la moins chère de la ville. Tout me semble hors de prix après sept mois passés en Bolivie et au Pérou. Le lendemain nous prenons un peque-peque (barque motorisée) pour faire un petit tour dans les environs. Nous nous arrêtons d'abord dans une lagune où pousse le plus grand nénuphare du monde, le Victoria Regia, qui peut atteindre la taille de deux mètres de diamètre !
Nous allons ensuite dans un village situé sur les rives de l'Amazone. C'est le début des grandes vacances d'été et les enfants ne vont pas à l'école. Ils sont contents de voir des étrangers débarquer et nous devenons vite l'attraction du moment. Ils nous montrent tous leurs animaux de compagnie : singes, oiseaux, tortues, crocodiles de toutes tailles... Ces derniers, quand ils sont petits, c'est mignon, mais les grands, pas touche !
Même si c'est intéressant de pouvoir comtempler de près les animaux que j'ai vu de loin dans la selva, c'est toujours dérangeant de voir des bêtes sauvages en captivité. Et je ne sais pas dans quelle mesure les enfants détiennent ces animaux afin de les montrer aux touristes de passage, dans l'espoir d'en tirer quelques petits profits. Nous repartons un peu mal à l'aise.
Dans le hameau suivant, une petite communauté indigène d'une dizaine de maisons, le contact avec les habitants est plus spontané. Il n'y a pas d'animaux à exhiber. Les adultes continuent leurs taches sans se préoccuper plus que ça de notre présence et les enfants jouent avec nous.
Voilà que s'achève mon dernier jour au Pérou et je réalise soudain que c'est le pays où j'ai passé le plus de temps depuis le début de mon voyage. J'y suis resté plus de trois mois et demi, pourtant il me semble n'avoir encore rien vu tant ce pays possède des richesses naturelles et culturelles. Une fois encore en Amérique du Sud, je quitte un pays en lui disant " hasta luego " car, c'est sûr, je reviendrai bientôt !