Magazine Bd & dessins

De l’édition (titre pourri, mais on fera avec)

Publié le 22 février 2013 par Hesperide @IsaBauthian

Mots-clefs du jour :  (1) « j’avais la traduction google sur twitter formspring et autres , plus maintenant , pourquoi »
(2) « une longue phrase »

Suite à la polémique suscitée par son interview sur ActuaBD, madame la ministre s’est exprimée sur Twitter a propos d’une petite phrase, prononcée à l’occasion d’une réunion du Syndicat National de l’Édition, et qui avait légèrement agacé mes confrères. Si vous désirez en savoir plus, c’est ici.
En ce qui me concerne, cette fameuse phrase ne m’a pas fait sauter au plafond. On sait ce que c’est que la comm’, faut dire un petit mot sympa qui brosse dans le sens du poil les gens qu’on va voir tout en sachant qu’une armée de pit-bulls peut vous sauter à la gorge en cas de maladresse, et dieu sait que les auteurs de bd peuvent être des pit-bulls. Cette phrase, je la trouvais surtout déplacée, et pour deux raisons :
- La focalisation sur les éditeurs et non les auteurs dès qu’on parle d’économie du livre (vous me dites si je me répète),
- Le fait qu’elle reflétait le point de vue d’écrivain de Mme Filippetti, alors qu’elle s’exprimait en tant que ministre.

Notez que, ce point de vue, je le trouve tout à fait intéressant, même s’il peut difficilement être plus éloigné du mien. Et, du coup, j’ai un peu envie de vous le donner, le mien, de point de vue, c’est même là que je voulais en venir.
Mon point de vue c’est que, pour l’instant, et à de rares exceptions près (j’ai des opinions très tranchées) je souhaite travailler avec un éditeur.

Des raisons qui font que l’éditeur m’est utile :

Déjà, parce que j’en ai déjà un. C’est con à dire mais, tant que je trouve mon compte dans une collaboration, je ne vais pas m’imposer des contraintes pour le plaisir. Mais, plus précisément, ma raison numéro 1 est bassement terre à terre : faire la distribution et la promotion de mon bouquin, ça m’emmerde.
Mon conjoint et moi, depuis plusieurs années, tentons de travailler dans le cinéma. Un milieu hautement consanguin, qu’il est quasiment impossible de pénétrer, en tant qu’acteur, sans piston. Et, quand je dis « piston », entendons-nous bien, je ne parle pas de simple réseau. Je parle de donner le poste au cousin de la frangine de sa belle-mère que ça amuserait de venir sur le plateau plutôt qu’à une personne compétente, parce que ça économie un casting qui se fasse au-delà du physique du candidat et que de toute façon le public, ce con, ira voir le film, que les petits rôles soient bien joués ou non.
Nous avons produit, avec notre argent, plusieurs courts et moyens métrages. Nous avons recruté des équipes d’artistes et techniciens, tous également bénévoles malgré leurs qualités professionnelles. Nous avons travaillé des heures, des semaines, des années sur ces films qui nous permettent, maintenant, enfin, de commencer à vaguement entrevoir la possibilité éventuelle de, pourquoi pas, faire un premier long métrage.
Nous sommes épuisés par ce combat épouvantable qui, alors qu’il se résume à un banal « laissez-nous faire notre taf », a plusieurs fois failli nous briser. Il est hors de question que je revive ce sur-investissement dévastateur dans mon métier d’écrivain, quand bien-même le milieu de l’édition serait moins destructeur (il l’est).
Le temps que je passe à vendre ma soupe, je ne le passe pas à écrire. Si quelqu’un est disposé à le faire pour moi, et qu’il le fait correctement, oh oui, grave, je signe son contrat !

Ma raison numéro 2, quoique liée à la première, est plus artistique. L’éditeur, c’est un gars qui va faire que votre œuvre sera un minimum visible.
Entendons-nous bien, je ne fais pas ce métier pour la gloire (haha). Je le fais, par contre, dans le but de parler aux gens. Je veux poser des questions, mettre en lumière des points de vue, engager des discussions, suggérer des remises en question, et je veux le faire auprès du plus grand nombre. Plus précisément : auprès des gens qui ne font pas nécessairement partie de mon quotidien, ma culture, mon réseau. Si je n’écrivais que pour ma gueule, je ferais un journal intime, et j’aurais la décence de ne pas étaler mon exutoire sous les yeux d’un public non concerné. Si je ne souhaitais prêcher que des convaincus, j’irais dans un bar, avec mes potes, refaire le monde, ça m’économiserait du temps de travail et ce serait plus convivial. Mon éditeur, il a un diffuseur, un distributeur, des commerciaux qui, s’il font bien leur boulot, ont de fortes chances de ratisser plus large que mes petites jambes et mes beaux yeux.

Ma raison numéro 3 est si bêtement matérialiste que je vais à peine la développer : gros éditeurs = possibilité de bosser sur de gros projets, et donc de gagner un peu plus de thunasse, et donc de nourrir ses gosses se consacrer à ses travaux plus personnels avec un minimum de sérénité et de disponibilité, sans devoir courir les petits boulots, baisser son froc dans un milieu dont on ne cautionne pas toujours les règles, ou multiplier les dossiers à côté.

J’entends ça et là des gens couiner que, travailler avec un gros éditeur, c’est nécessairement aligner les compromis artistiques. Je suis trèèès tentée de réagir d’un rictus méprisant, mais comme d’une part je suis une personne polie et de l’autre l’outil blog est peu compatible avec une expression purement corporelle, je vais répondre, avec ce sens de l’opinion ferme et tranchée que j’ai déjà évoqué : ça dépend.

Des raisons qui font que l’éditeur est mon pote :

Comme tout le monde, je suis déjà tombée en amour pour des artistes dont la survie était une lutte de tous les instants. Pas assez accessibles, trop trash, trop menaçants, trop novateurs, « d’une autre époque »… la liste des arguments qui donnent des envies de baffes est longue, d’autant qu’elle nous renvoie à un triste double constat : l’assommante logique de marché dans laquelle nous vivons, et le manque de curiosité de nous autres, public, qui, qu’elle soit la conséquence d’un manque de temps ou d’un lâche abandon, nous empêche de donner à ces talents immenses le succès qu’ils méritent.
Que ceux-là ne puissent signer avec les majors qu’aux dépens de leur intégrité, je le crois, je le sais, je le hais.

Mais tout le monde n’est pas un artiste conceptuel ultra-novateur expérimental dont l’œuvre nécessite une culture de malade pour être vaguement appréhendée. Et tout le monde n’a pas cet univers siiiiiii personnel et teeeellement unique qui fait les incompris.
De nombreux auteurs, dont je suis, ont la prétention de produire des œuvres dignes d’intérêt, parfois originales, parfois audacieuses, mais de prime abord accessibles au plus grand nombre.
Et quand ceux-là clament que s’ils n’ont pas d’éditeur/producteur, c’est parce qu’ils sont trop purs, trop décalés, trop audacieux pour la plèbe, et trop courageux pour se prostituer au nom du vil argent sale, j’ai un peu envie de leur faire péter leur grosse tête à coups de batte.

Soyons clairs : jamais, en sept ans de carrière, je n’ai vu un éditeur tenter d’imposer sa vision des choses à l’auteur dont il avait accepté le projet. Je me doute bien que ça doit arriver, mais j’ai du coup beaucoup de mal à croire à la fréquence supposée de la chose.
Je possède, certains nez-fins l’auront peut-être constaté, une légère prétention quand à la qualité de mon travail. J’ai un peu tendance, si on veut toucher à ma prose, à dévoiler un sens de la diplomatie à la Mc Fly (révisez vos classiques) : « PERSONNE ne touche à mes dialogues ». Ceci pour dire que, l’éditeur intrusif, je l’aurais croisé, il m’aurait probablement marquée.
En sept ans de carrière, disais-je, mes directeurs de collection m’ont proposé quelques fois de changer un bout de phrase avec un autoritarisme dément : « Tu ne penses pas que ce serait mieux comme ça ? Je trouve, mais c’est toi qui voit ».
Jamais on ne m’a suggéré de modifications de l’histoire, du ton ou des personnages.
Jamais on ne m’a imposé quoi que ce soit.
Jamais on ne s’est fâché quand j’ai campé sur mes positions.
Jamais on n’est intervenu pour que ce soit « plus accessible », « plus vendeur », « plus peuple » ou que sait-je, et ce même pour mes bouquins les plus littéraires (bon, je ne fais pas du Proust, mais on se comprend).
Les seules modifications qu’on m’ait demandées ont concerné les commandes, les adaptations dans l’univers de quelqu’un d’autre. Et, même dans celles-ci, j’ai été autorisée à mettre « ma patte ».
Les seules suggestions qu’on m’ait faites, si on peut les appeler ainsi, se sont résumées à me tenir au courant qu’on cherchait des projets dans un style donné à un moment donné.
JAMAIS je n’ai eu à faire de compromis artistique pour un éditeur. Même les pires collaborations n’ont jamais « clashé » sur ce point, car on m’avait signé pour un projet clair et on savait à quoi s’attendre.

Ca ne signifie pas, d’ailleurs, que l’éditeur n’a pas à se mêler de l’artistique. Avec mon livre actuel, Alyssa 160, je suis, pour la première fois, demandeuse de conseils scénaristiques. Parce que je n’avais encore jamais écrit de gags, que je n’aurais probablement pas abordé ce genre si je n’avais pas eu une idée qui s’y prêtait particulièrement, que j’y prends cependant un plaisir qui le donne envie d’approfondir, que je souhaite des retours sur l’efficacité de mes chutes, et que la dessinatrice et l’éditrice sont mon premier public.
Mais si vous n’êtes pas assez carrés pour justifier vos choix d’auteur et tenir tête à un éditeur quand il vous fait une simple suggestion, ne lui mettez pas vos compromis sur le dos. Accusez votre propre inconsistance.

Des raisons qui font que ce n’est pas la panacée non plus :

Je n’exclus pas, cependant, de tester un jour l’auto-édition, car je déplore le manque d’audace actuel de la plupart des gros éditeurs. J’ai la faiblesse de penser que la production, par définition, implique une réelle prise de risque et, si l’on en croit l’état d’autres industries françaises, j’ai du mal à croire au caractère purement passager de cette tiédeur.
Je constate aussi que, de plus en plus, dans l’avalanche des sorties, beaucoup des rares innovations n’en sont qu’à moitié. Ok, on édite, mais on va voir si ça se vend tout seul.
Les projets osés sont difficiles à placer. Il faut s’appeler Larcenet pour faire du Blast.
J’ai, déjà, choisi pour un de mes futurs albums de m’adresser directement à une petite structure. Parce que je craignais que les grosses, même si elles l’éditaient, ne défendent pas bien le livre.

A l’ère du numérique et du crow funding, l’aura de la reconnaissance de l’artiste par le producteur s’affadit. Le jour où il deviendra plus rentable pour les auteurs de se passer d’un éditeur, seuls quelques égos fragiles ressentiront encore le besoin impérieux d’emprunter cette voie traditionnelle. Et, là, je pense qu’on pourra vraiment parler de crise du livre.
Mais pas tellement pour les auteurs.


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