Celui qui ne dit jamais ce qu'il faut comme il faut / Celle qui détone dans la discussion de groupe des Anciens de la Poste / Ceux qui disent aimer qu'on les dérange sauf quand ça les dérange en effet / Celui qui se pointe le matin devant son miroir genre Thomas Bernhard l'emmerdeur autrichien pour lancer à son reflet: et maintenant je vais déranger ! / Celle qui répond au petit Descartes se pointant dans son boudoir le matin: mais non René, pas de philo avant l'apéro ! / Ceux que plombe le conformisme de l'anticonformisme / Celui qui ne s'indigne que pour la galerie et se conforme le reste du temps à ce qui se dit sur Facebook et environs / Celle qui cultive l'attention flottante sans cesser de se plier à l'éthique de l'argumentation fondée par ce professeur Habermas que son fils morganatique a fréquenté à l'époque sur les bords du Neckar / Ceux qui s'inscrivent au cours de Fantaisie heuristique proposé ce printemps à l'Université des champs / Celle dont le clavecin manque de tempérament ce matin et qui s'en remet donc aux bras du fougueux forestier / Ceux qui restent "assis dans l'oubli" / Celui qui croit aussi à "l'avenir d'éclaircie" entrevu par Joyaux le fugueur / Celle qui se retrempe dans L'Illiade sans le dire à personne / Ceux qui se sentent plutôt païens le matin et plutôt chrétiens le soir quand le corps "fatigue" / Celui que dérange la seule vision d'un lecteur lisant à l'écart / Celle que dérange la seule pensée d'une jeune fille écrivant un poème dans un tea-room désert / Ceux que dérange la joyeuse animation d'un petit groupe d'ados à capuches dans un train voué au transport des adultes responsables / Celui qui se rappelle les vociférations des voisins genevois de ce couple de Russes du nom de Dostoïevski (ou Tolstoïevski ? ) qui pleuraient si fort la mort de leur premier enfant que ça les dérangeait carrément / Celle que dérange l'obsession de pas mal de Suisses et de Finlandais et de Français et de sujets de diverses nationalités de ne pas être dérangés pendant le repas et même après / Ceux qui se disent épicuriens le matin et schopenhaueriens le soir mais ça peut changer / Celui qui dit volontiers (sur Facebook ou par Twitter) qu'il "relit" Lucrèce pour faire l'intéressant / Celle qui sait d'expérience que ceux qui sentent peu pensent mal / Ceux qui savent que les pourceaux d'Epicure n'ont jamais manqué de phosphate / Celui qui dérange en affirmant crânement que de la mort il n'a nulle peur / Celle qui est morte et ressuscitée par sa seule imagination reptilienne / Ceux qui se rappellent que Molière a traduit De natura rerum / Celui qui ne voit en Epicure et Pascal ou Montaigne et Calvin que des hôtes également bienvenus de son Abbaye de Thélème / Celle qui examine les doctrines au doctrinoscope / Ceux qui n'ont point d'idole à brûler ce matin faute de briquet et de briquettes / Celui que sa liberté d'esprit rend suspect / Celle qui s'entend bien avec son jardin / Ceux qui se gardent de déranger le lecteur aux anges / Celle que rien ne dérange plus maintenant / Ceux qui ont l'esprit dérangé par l'esprit du temps, etc.
(Cette liste doit un peu de son miel et de son fiel à la lecture incessamment roborative des éblouissantes Fugues de l'exaspérant Philippe Sollers)
Peinture: Pierre Lamalattie