Magazine Journal intime

Points négatifs et désaccords démocratiques : protohistoire et rites funéraires

Publié le 10 mars 2013 par Deklo

Adel Abdessemd - Lise

 

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Il faudrait prendre un exemple précis, quelque chose qui résiste… je veux dire qui met en difficulté les paradigmes qu’on se fait à partir de cette utilisation identifiante/différenciante de la langue. J’en vois un qui me vient et qui m’agourmandit délicieusement : comment on ne sait pas, non pas même s’expliquer, mais déjà décrire le rapport de la préhistoire à ses morts. Cette difficulté-là, elle est faite pour forcer l’utilisation de la langue, son paradigme et ses façons, à se questionner et cela va faire tout à fait notre affaire à mon avis…

 

  Il faut voir qu’on ne peut pas se contenter de mots qui présupposent un accord qui n’en finit pas de nous glisser des mains. Le désir identifiant/différenciant est totalitaire. Je passe sur cela pour aborder les points, qu’on pourrait qualifier de négatifs… les points négatifs en tant qu’on désigne des points qui désignent des voisinages ; on désigne des points qui ne désignent pas ce qu’on désigne. Avec ces points, on ne procède pas comme avec le désir identifiant/différenciant, on coupe et on recoupe. On marque au moins deux points pour dessiner des tendances, des dynamiques, des processions, etc… L’opération a quelque chose d’artificiel qui ne renonce pas tout à fait au désir identifiant/différenciant, mais le court-circuite. On ne part plus d’un principe de l’accord totalitaire, mais on présuppose, pour que ça fonctionne, des désaccords démocratiques, en tant que la démocratie ne tend pas à l’accord, où l’intuition de l’autre va venir pressentir une tendance qu’on ne sait pas identifier.

 

  Ceci étant à peine dit, je pense qu’on peut s’attacher à notre exemple pour y voir plus clair. On va parler des rituels ou des pratiques funéraires des hommes et des femmes du Mésolithique au Néolithique… Il faut regarder d’abord à quel type de documentation on a affaire, quelle méthode la produit, etc., ne serait-ce que pour pouvoir se repérer un peu… Elle est drôlement faite cette discipline, quelle que soit la brochure sur laquelle on tombe, je crois que je n’ai rien vu d’aussi standardisé, où tout a l’air d’être écrit par la même plume. Eh bien, ces chercheurs, dont on peut vraiment qualifier la routine de rébarbative, ils trouvent quand même le moyen de se quereller… Ca, alors, bon… Mais précisément ces querelles pointent ce qu’il peut y avoir de plus excitant dans cette discipline, qui n’en finissent pas de s’interroger sur les conditions de la production même d’un savoir à partir de traces d’outils, de traces d’habitats qu’on découvre dans les sols de la terre et dont on ne sait pas bien quoi en déduire. La littérature archéologique, elle est repoussante ne serait-ce que parce qu’elle n’en finit pas de rappeler ses trouvailles, tel artefact ici en telle année, tel outil là, etc. et quelle ne parvient pas à savoir jusqu’où elle peut se permettre d’étendre ses déductions… Reconstituer des civilisations, des cultures, des modes de vie de peuplades entières ? Déduire des lois économiques, sociales ? Aller jusqu’à deviner des idéologies, des croyances, des paradigmes ? Et ceci à partir d’indices qui n’en finissent pas de se contredire, où l’on retrouve telle façon d’enterrer ces morts ici qui semblerait impliquer que telle peuplade avait tel mode de vie mais où on retrouve une autre façon là qui contredit la première déduction, etc… Et d’autres indices qui insistent assez pour croire pouvoir se permettre de prendre appui et esquisser quelque chose… (cf Nicolas Cauwe, Pavel Dolukhanov, Pavel Kozlowski, Paul-Louis Van Berg, Le néolithique en Europe, Armand Colin, 2007, chapitre 1.3, qui décrit ces courants, leurs méthodes et leurs limites). On peut prendre des exemples… Cauvin qui trouvait des figurines féminines et des cornes d’aurochs dans les soubassements d’habitations y reconnaîtra l’association femme-taureau des religions proche-orientales et en déduira que la mise en place de l’agriculture s’est faite à la condition d’une approche spirituelle (Ibid., chapitre 1.3.4.). D’autres, comme les auteurs de l’ouvrage que l’on cite ici, constatent « les rapports qui unissent les systèmes d’idées aux espaces dans lesquels ils s’actualisent » (Ibid, chap. 1.3.5.), c’est-à-dire qu’ils considèrent que « toute activité humaine se déroule dans l’espace perçu et/ou dans l’espace virtuel de la pensée ou du discours ». Ils s’appuient pour défendre leur approche sur « Scobeltzine » qui « a illustré les liens qui unissent les monuments et les arts romans à la société médiévale » ou Panofsky qui « a rattaché la structure des cathédrales gothiques à l’exigence scolastique de clarification et la perspective au souci de l’objectivité de la Renaissance », etc. Cette approche ne sera pas faite pour nous surprendre, ici, dans ce blog. Pour autant, la volonté de parvenir à dessiner des ensembles bute contre le manque et les contradictions des indices sur lesquels elle s’appuie : « Ainsi verra-t-on, à Malte, l’association d’éléments caractéristiques du Néolithique de la Méditerranée centrale et d’autres issus de l’Occident mégalithique »… Mais c’est aussi que les indices mêmes glissent entre les mains… Certains chercheurs se concentrent sur les artefacts qu’ils découvrent, quand d’autres se déterminent à partir de l’économie des peuplades dont ils reconstituent les mœurs à partir de ces objets… Regardez, si la période même, Mésolithique, Néolithique, se délimitait à partir des outils jusqu’au début des années 1960 (lithique = pierre), c’est l’économie, la société de ces hommes que l’on reconstitue à partir de ces objets, qui vient délimiter les périodes aujourd’hui, où le corps humain cultive et élève au Néolithique, là où il cueillait, chassait et pêchait au Mésolithique… Et c’est bien ces difficultés, comment l’archéologue va venir reconstituer les évolutions internes de peuplades et les influences et les échanges avec d’autres dus à leurs déplacements à partir d’indices et de traces toujours forcément insuffisants ; comment les chercheurs vont dessiner des dynamiques à partir de points négatifs, qui vont particulièrement m’intéresser…

 

  C’est que si les protohistoriens seraient tentés d’épingler leurs trouvailles en multipliant les « sous-groupes » et les « sous-catégories » (Ibid), l’insuffisance des données vient leur compliquer la tâche. Boris Valentin regarde « le bel espoir d’identifier des cultures préhistoriques » s’éloigner (B. Valentin, Jalons pour une paléohistoire des derniers chasseurs, publications de la Sorbonne, p. 71). Il constate les redéfinitions qui se font au fur et à mesure des découvertes, des grands ensembles qu’on parvient à morceler, le « Creswello-Tjongérien », par exemple, « qui réunissait sous un seul vocable, pour cause de mélanges entre industries et de dates approximatives, des traditions finalement bien différenciées techniquement et chronologiquement » (Ibid.). Puis enfin, il lâche devant une pareille entreprise, celle d’une volonté de précision dont les données n’en finiront jamais de manquer, qui ne peut que manier un découpage temporaire, qu’elle redéfinit encore et encore : « tout découpage culturel revient à morceler des continuités à la fois géographiques et historiques. Or les méthodes – aussi bien que les partis pris – qui guident ce morcellement resteront toujours sujettes à débat elles aussi, et c’est tant mieux » (Ibid.). Une question se pose donc forcément… celle de savoir si on peut aller jusqu’à dire que telle peuplade – on n’est pas censé dire peuplade, mais ça me plaît – que telle peuplade donc n’a jamais existé… Valentin s’amuse d’un raisonnement de J. Zammit qui osait : « Ne faudrait-il pas rappeler […] que les Magdaléniens n’ont jamais existé et qu’ils ne représentent que la somme arbitraire d’un découpage culturel établi il y a plus de 150 ans par les pères fondateurs de la préhistoire » (Ibid., p. 66). Alors, savoir si les Magdaléniens n’ont jamais existé, ce n’est pas notre problème ici du tout. Ici, on ne s’occupe pas de préhistoire, on s’occupe de comment les gens pensent, disent et agissent. Je ne peux pas résoudre leurs problèmes, je ne suis pas du genre à faire des pas hasardeux et inconsidérés du tout. Mais regardez comme le mécanisme nous rappelle quelque chose… Forcément devant l’arbitraire du jeu identifiant/différenciant, vous trouverez bien quelqu’un pour saisir le corrélat binaire qui va nier tout à fait telle identité. Et nous ici, on sait bien que la question ne se pose pas en ces termes, que la question n’est pas de savoir si la couleur bleue existe, si l’individu existe. Nous ici, nous disons qu’on n’atteint pas le niveau où on aurait ici un groupe et là des individus, ce n’est pas pour dire que l’individu n’existe pas, là on aurait fait ce qu’on appelle un tour de promenade en danse classique, c’est-à-dire du surplace gymnastique, non, c’est pour dire que la question de l’individu ne se pose pas, qu’elle est poisseuse. Alors, à un point précis, je suis certain qu’on pourra dire qu’on a affaire bel et bien à des Magdaléniens, je ne suis pas spécialiste, je ne le garantis pas, mais j’en ai l’intuition ferme, je suis sûr qu’on peut désigner une date, un lieu et une façon et dire ça, c’est des Magdaléniens. Bien. Et même, à mon avis, on va trouver des degrés de Magdaléniens, comme la couleur bleue, on n’en aura jamais des purs, mais des mélanges, mais c’est mon avis, il ne vaut que pour ce qu’il critique le paradigme que l’on se fait à partir de la façon dont on utilise la langue… Et sans doute mon intuition n’est pas parfaitement stupéfaite : « ceux que nous désignons aujourd’hui dans le Bassin parisien comme tailleurs « magdaléniens » ont sûrement existé, tout comme d’ailleurs les bâtisseurs d’églises gothiques, mais ni les uns ni les autres ne se laisseront enfermer dans des identités à jamais fixées, car elles ne l’ont jamais été… » (Ibid., p. 72). Nous ici, on dit, on s’en fiche. De désigner précisément les Magdaléniens ou de dire qu’ils n’existent pas – c’est pareil, enfin pareil… je veux dire la tentation de l’un ou de l’autre, la tentation duelle, est folle –, on s’en fiche. Si on pense par prolifération, la question ne se pose pas du tout. Et je crois qu’avec cet exemple de la façon de ces protohistoriens d’apprivoiser leur sujet d’étude, je crois qu’on va bien voir comment ça…

 

  Les voici, ces protohistoriens, devant un mouvement, celui de la néolithisation, où les pratiques et les modes de vie changent, les savoir-faire et les économies, sans qu’on sache très bien déterminer quand il est le résultat d’une colonisation, d’une avancée lente de peuplades qui diffusent leurs façons, ou d’une évolution interne des groupes. Car si, à partir des fouilles, on croit pouvoir désigner un foyer d’origine, la Mésopotamie, et reconstituer des déplacements longeant le Danube et les côtes méditerranéennes, on remarque d’autres foyers de néolithisation en Chine, dans la vallée de l’indus… et surtout c’est toute une modulation de façons, tout un jeu de degrés et de voisinages qui suggèrent tout autant des évolutions que des échanges… « Pourquoi l’industrie lithique qui parvient sur l’Atlantique est-elle si différente de celle qui est partie d’Europe orientale ? L’évolution interne des groupes ne suffit pas à rendre compte de ces changements… » s’interroge Grégor Marchand (Les zones de contact Mésolithique/Néolithique dans l’ouest de la France, in Gonçalves V. S., Muita gente, poucas antas?, Trabalhos de Arqueologia, 25, p. 192), avant d’en venir à l’hypothèse que « les stabilisations s’accompagnent de transferts techniques de part et d’autre des zones de contact » (Ibid., p. 193) et de pointer des exemples où le « système technique néolithique s’enrichit » des traditions mésolithiques, mais où on suppose quand même des « effets de ‘feed-back’ », et où l’on constate l’apparition de façons « hors des traditions mésolithiques et néolithiques ». Boris Valentin vient compliquer encore la chose un peu plus en pointant le « rôle tout aussi primordial que d’autres chasseurs ont pu jouer dans la diffusion des pratiques néolithiques une fois constituées, une diffusion qui ne tint pas seulement à l’expansion territoriale des Néolithiques seuls » (op. cit., p. 23). D’ailleurs, si Grégor Marchand remarque qu’« adossés à la barrière océanique, certains groupes ont développé des économies prédatrices et des modèles culturels suffisamment performants pour s’opposer un temps au paradigme néolithique. » (op. cit.), Boris Valentin rappelle le propos de M. Zvelebil : « Le Mésolithique doit être vu tout à la fois comme prédécesseur des sociétés agro-pastorales du Néolithique et comme alternative à ces sociétés » (op. cit., p. 40). Déplacements, échanges, résistances, évolutions… Nous voici devant une prolifération dont l’insuffisance des données doit faire accepter de ne pas savoir la saisir et vous devinez comme c’est fait pour nous réjouir…

 

  Bien. Revenons à l’exemple que j’ai choisi, celui des pratiques funéraires, cette évolution des façons entre le Mésolithique et le Néolithique. J’aurais pu prendre l’exemple des armes ou celui de l’habitat ou… Il fallait en choisir un pour faire simple, et même si ce n’est pas vraiment de protohistoire dont je m’occupe, mais de la façon dont les protohistoriens parlent, il se trouve que ces pratiques funéraires me ravissent… Alors quels sont les points négatifs qui se dessinent çà et là… On va prendre appui sur un article qui retrace quelque chose comme l’émergence des sépultures collectives du Paléolithique au Néolithique (Nicolas Cauwe, Les sépultures collectives dans le temps et l’espace, Bulletin de la Société préhistorique française, 1996, volume 93, pp. 342-352). On peut prendre un point de concours étudié dans cet article, par exemple celui des « nécropoles occidentales » (cf p. 346). L’article décrit les façons que l’on retrouve dans les nécropoles de la façade atlantique : quelques tombes collectives, qui ne sont pas « disposées selon un schéma bien établi », des traces de manipulations des cadavres… qui semblent combiner à la fois les façons d’un « Épipaléolithique ou un Mésolithique de la plaine russe, habitué à fixer les tombes les unes par rapport aux autres », « qui ne songerait pas à manipuler le corps de ses ancêtres, pas plus qu’il ne choisirait son dépotoir pour y disperser quelques os humains » avec les façons du Magdalénien ; où il est « bien plus fréquent » « de démantibuler les corps que de les inhumer » (p. 343), c’est-à-dire qu’on manipule les squelettes, découpe les crânes ou colmate les orbites oculaires par des « fragments de vertèbres de cervidé » (p. 343), etc. ; où l’on repousse les morts en dehors de l’habitat (p. 344), c’est-à-dire qu’on rassemble les corps manipulés, sans pour autant leur donner « une sépulture formelle » (Ibid.), recouverts d’amas détritiques. Sur ce point, Nicolas Cauwe conclut : « Les nécropoles occidentales semblent donc combiner trois tendances au moins : l’installation d’amas détritiques par dessus les morts – attitude esquissée au Madgalénien, qui prend de l’essor dès le début de l’Holocène ; le recours occasionnel à la sépulture collective, dont on trouve des antécédents dans le Mésolithique ancien du bassin de la Meuse ; enfin, l’assimilation de la nécropole d’origine orientale » (Ibid., p. 346). Bien. Notons que chacun des points négatifs qui permettent de visualiser cette combinaison, sont en quelque sorte eux-mêmes des combinaisons. Ainsi, par exemple, dès le début de l’Holocène, si on trouve « d’authentiques sépultures collectives », on remarque aussi que certains corps sont enterrés dans des tombes individuelles (cf p. 345). Quant au Madgalénien, on doit noter qu’il arrive de rencontrer des squelettes manipulés isolés (p. 344), même si Nicolas Cauwe les balaie comme des exceptions, puisqu’il lui faut bien trancher pour avancer, ou encore qu’on trouve quand même des sépultures primaires en fosse (p. 342), même si l’auteur de l’article ne s’y attarde pas pour se concentrer sur la « grande majorité des restes humains magdaléniens [qui] ne provient pas de sépultures formelles » (p. 343). Et pour mesurer le voisinage de la combinaison des nécropoles de la façade atlantique, on notera tout de même que « les manipulations ne sont pas systématiques, mais sont régulièrement attestées sur la plupart des sites » (p. 346).

 

  Gardons en tête, qui plus est, que pour des questions taphonomiques, on n’est pas toujours certain de savoir si la récurrence concerne la façon ou la trace de façon : si on a devant soi la façon qui se pratiquait le plus ou c’est celle dont on retrouve le plus la trace… La modalité protohistorienne est hypothético-déductive. Elle dessine des tendances à partir des éléments qu’elle retrouve à différents degrés. Et ces degrés, si elle les pointe – et on ne saurait assez insister sur les précautions prises par exemple par l’auteur de cet article dont on fait l’examen critique ici et les mentions, la collection de toutes les contradictions dans la fabrication de ses hypothèses –, si elle les pointe donc, la modalité même de production de son savoir veut qu’elle en soit embarrassée et qu’elle finisse quand même par les ignorer… C’est que cette procédure qui se croit amenée à trancher, découper, épingler, en même temps se concentrer sur les façons qui reviennent avec le plus d’insistance et balayer celles dont on ne va pas savoir quoi faire si on veut finir par dire quelque chose, déduire ou se faire une idée…, elle ne constitue qu’un mince intérêt tant pour nous, qui nous occupons des mécanismes de conception, que pour quiconque s’intéresse à la protohistoire. On ne se fait pas une idée du mouvement de la Néolithisation à partir d’interprétations ou de déductions, et même de ces déductions, on ne tient pas compte du tout. On se fait une idée à partir des contradictions et des désaccords que l’on pressent et que la déduction étouffe pour ne pas savoir les traiter.

 

  La question n’est pas, la question ne peut pas être pour la Philosophie, aujourd’hui, de mettre au point une méthode définitive. Ce que l’on peut observer, c’est le mésusage de points négatifs, de trous identifiants/différenciants, posés, épinglés, même temporairement, par commodité, quand même les points n’en finissent pas de proliférer ; l’accord totalitaire que l’activité de produire des points présuppose ; et l’embarras à faire usage d’un paradigme qui ne parvient pas en penser ce qu’il observe. Alors, il est une ruse qui consiste non plus à poser des points positifs ou négatifs temporaires pour établir des rapports de mouvement mais à établir des rapports qui permettent de dessiner des poussées. On ne s’occupe plus de définir des identités, on provoque des fuites. C’est très intéressant comme façon. Ca rappelle les Improvisations de Kandinsky, avant qu’il ne s’attache à épingler des identités avec ces dessins qui précèdent les Compositions… Prenons un exemple. Voilà Nicolas Cauwe qui poursuit son étude et s’occupe de savoir si les nécropoles du Néolithique moyen ne sont qu’évolution de pratiques du Néolithique ancien qui réinterprétaient la nécropole mésolithique ; si le mégalithisme trouve son origine dans des nécropoles plus anciennes… (cf p. 348). Et voici des approches mises en parallèle : la description de sépultures individuelles au Mésolithique, des tombes alignées, les corps dans la même orientation, la tombe plate qui atteint le gigantisme par recouvrement, accumulation, tandis que les sépultures mégalithiques sont collectives, anonymat des morts… Les approches lui paraissent trop exogènes pour être le fruit d’une évolution, mais bien plutôt de rencontres et d’échanges… L’auteur prend appui sur la multiplicité des façons des Michelsbergs qui déposent les corps dans les grottes ici ou enterrent les morts dans la fosse là, selon ce qui se fait autour d’eux : « La diversité du traitement des morts au Michelsberg ne serait pas le fruit de mutations internes, mais le résultat de rites déjà en place depuis un certain temps »  (p. 349). Et c’est bien à partir de ces rencontres, qu’il aurait pu dessiner des degrés, des insistances ou des épuisements. C’est bien à partir de ces rencontres, que le lecteur, en tout cas, pressent des mouvements, des déplacements, des délires. Je parlais de rapports… mais on voit bien qu’il s’agit de contradictions et de disputes, de recoupements et de désaccords qui ne pointent pas des identités même temporaires, pas même des trous de voisinages, mais des proliférations qu’on ne sait pas tenir dans les mains… 

 

  Boris Valentin épinglait la difficulté des protohistoriens, dans ces phrases sur lesquelles je voudrais m’arrêter pour finir : « De fait, entre périodes de notre longue durée, il se produit des ruptures dont la brutalité pourrait n’être qu’apparente : si nous les saisissons comme telles, c’est peut-être faute de pouvoir enregistrer les lents glissements qui les préparent. Ce qui empêche cet enregistrement, et donne parfois l’apparence d’une histoire peut-être plus heurtée qu’elle ne le fut réellement, c’est bien sûr l’imprécision de notre chronométrie. » (op. cit., p. 31). Bien. On a affaire à des mouvements synchroniques et diachroniques, des évolutions internes, des rencontres et des échanges, des résistances… Et on voit bien l’impuissance du paradigme totalitaire du désir identifiant/différenciant ; on voit bien l’impossibilité d’établir des accords ; on voit même encore l’inefficience de l’établissement de points négatifs arbitraires et artificiels qui dessineraient des dynamiques… Il n’y a point, c’est-à-dire point de ruptures, disjonction… que du fait de l’incapacité de notre perception et la multiplication de points n’y pourrait mais. Et on voit bien comme on peut, à partir de désaccords démocratiques – pensez à Film socialisme de Godard pour visualiser une chose pareille –, dessiner des poussées, des flux, des courses folles d’effectuations… Enfin il me semble qu’on le voit bien.

 


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