Sixto Rodriguez : l'histoire d'une reconnaissance

Publié le 27 février 2013 par Ubik

Le destin qu'a connu le documentaire Sugar Man du suédois Malik Bendjelloul est un peu à l'image de celui de son personnage principal : un "conte de fées", selon les mots mêmes du cinéaste. Réalisé avec de tout petits moyens, sur une période de quatre ans, le film est devenu une sensation dans les festivals, avant d'accumuler les prix jusqu'au plus prestigieux : l'Oscar du meilleur film documentaire 2013. Ce "petit film" finit donc par obtenir la consécration, tout comme le personnage auquel il s'attache : le chanteur Sixto Diaz Rodriguez.

Ce dernier sortit deux albums, plutôt axés rock et folk, Cold Fact et Coming From Reality au début des années 1970 ; ils furent alors des échecs publics aux États-Unis. Ils rencontrèrent, toutefois, un énorme succès en Afrique du Sud, sans que le chanteur en ait le moindre écho. Sixto Rodriguez va ignorer son statut de star à l'étranger pendant près de trente ans. Au milieu des années 1990, le journaliste Craig Bartholomew et Stephen Segerman enquêtent pour essayer de lever le voile sur le mystère Rodriguez, dont ils ne savent quasiment rien et qui est considéré, en Afrique du Sud, comme mort. Après de multiples recherches, ils finissent par retrouver sa trace, et le rencontrer. Rodriguez apprend alors son statut en Afrique du Sud et y donne plusieurs concerts, à guichet fermé ; il obtient enfin la reconnaissance. Cette histoire donnera, par ailleurs, lieu à un court-métrage de fiction Looking for Jesus.

Le documentaire de Malik Bendjelloul suit une structure classique et nous conte cette histoire presque "hollywoodienne" d'un outsider qui a connu une existence extrêmement modeste et a droit à une seconde chance. Le film fonctionne très bien, s'avère plaisant à suivre, captive même et émeut, particulièrement lorsque Sixto Rodriguez se produit pour la première fois en Afrique du Sud, en 1998, devant une salle comble et un public en liesse. L'un des points les plus intéressants est, de mon point de vue, l'évocation de la période de l'apartheid en Afrique du Sud. Une séquence incroyable évoque la censure dont faisaient l'objet certaines chansons, les vinyls étant carrément rayés avec des pointes de ciseaux pour empêcher leur diffusion à la radio. J'ai été surtout surpris d'apprendre la résonance particulière qu'ont eu les textes de Sixto Rodriguez auprès de la population afrikaner et le rôle qu'ils ont pu jouer dans l'évolution de la société sud-africaine.

Sugar Man cherche, de toute évidence, à entretenir la légende, et faire encore davantage de Sixto Rodriguez un personnage mythique, une icône. Il a, pour ce faire, recours aux ressources formelles de la fiction, de manière pas toujours très subtile, à mon sens. On pourra également lui reprocher d'occulter le succès que rencontra Sixto Rodriguez en Australie et en Nouvelle-Zélande, sans doute afin de simplifier le récit mais aussi, certainement, pour accentuer le caractère exceptionnel de ce come back.

Sur le plan purement cinématographique, le documentaire de Malik Bendjelloul n'a rien d'innovant, ni même de vraiment singulier, mais on peut tout de même saluer le tour de force d'être parvenu à un résultat d'une telle facture avec si peu de moyens. Selon moi, ce film constitue, avant tout, un formidable moyen pour redécouvrir et apprécier un artiste méconnu. D'ailleurs, à peine sorti de la salle, je me suis immédiatement procuré les deux albums du chanteur, afin de pouvoir réécouter les titres entendus dans le film, comme les magnifiques "Cause", "I Wonder", "Crucify Your Mind" et, bien entendu, "Sugar Man". À travers ce documentaire qui lui rend enfin justice, Sixto Rodriguez apparaît non seulement comme un personnage fort attachant, mais s'impose comme un auteur et un interpète extrêmement talentueux.

Le site officiel de Sixto Rodriguez :

http://www.sugarman.org/