Elle n’était pas particulièrement jolie (je dis ça parce que certains s’imaginent, à chaque fois que je parle d’un visage croisé dans le métro, que j’ai flashé sur une jolie brunette). Elle n’était pas particulièrement jolie, donc, le corps un peu massif dans sa jupe en jean et ses bottes en cuir, mais dans la grisaille de cet hiver interminable, des collants multicolores et de longs cheveux frisés sur un visage antillais suffisaient à mettre un peu de soleil sur les quais de Jules Joffrin, au milieu des odeurs de tabac et de pisse.
Je n’ai d’abord vu que son dos. Elle était tournée vers le fond de la station, comme si elle guettait l’arrivée de la prochaine rame, pourtant une intuition me disait qu’elle regardait autre chose. J’ai regardé dans la même direction : tout ce que voyais, c’était le campement de fortune d’une demi-douzaine de SDF redescendus sous terre avec la dernière vague de froid. Un des gars s’est levé – c’était le moins abîmé de tous, la quarantaine maghrébine et la démarche droite. Nous nous sommes croisés, il m’a semblé le reconnaître.
Quelques secondes plus tard, je me suis retourné : il discutait avec la jeune femme.
Je suis resté planté sur le quai, luttant pour ne pas trop les regarder. On a annoncé le prochain train dans une minute, je ne sais pas qui a pris la main de l’autre mais maintenant ils discutaient, distants mais tendres, comme s’ils se connaissaient depuis longtemps. Le métro est arrivé, ils n’ont eu aucun geste sinon un rapide salut de la main : elle est montée dans le wagon, il est resté sur le quai.
Il me reste une demi-heure pour tenter de deviner le début de l’histoire.