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Tes yeux dans une ville grise - Martín Mucha

Publié le 02 mars 2013 par Anaïs
Tes yeux dans une ville grise - Martín Mucha

Auteur : Martín Mucha.Langue originale : Espagnol. 
Traduction : Antonia García Castro.Éditeur : AsphalteDate de parution : 2012.Pages : 184.Prix : 16€.Tes yeux dans une ville grise - Martín MuchaCe qu'en dit l'éditeur 
Tous les jours, Jeremías traverse en bus ou en combi la capitale péruvienne pour se rendre à l’université. Sous son regard sensible et lucide défile la Lima d’aujourd’hui, où coexistent quartiers pauvres et zones richissimes. Désenchanté, Jeremías est le représentant parfait d’une génération qui n’a jamais pu intégrer la prétendue "société parfaite" des années 1990 en Amérique du Sud. Récit poétique, portrait urbain, roman social, Tes yeux dans une ville grise est servi par une écriture précise et fragmentaire.


"Tant d'agilité, de brutalité et de beauté en si peu de pages. Le roman-mosaïque de l'Amérique latine contemporaine" El Cultural


Tes yeux dans une ville grise se lit comme un album photo dont il ne resterait qu'une succession de légendes. Chaque phrase dépeint un espace, une personne, un moment et rend ainsi compte de l'implacable conjecture qui régit la capitale péruvienne. À travers la plume de Martín Mucha perce en effet le regard indigné du journaliste, attisé par l'injustice qui règne autour de lui. Tes yeux dans une ville grise est donc un récit sociologique, un photo-reportagesur la mégapole Lima et les éclats de vie qui l'habitentIl faut s'arrêter à chaque paragraphe, que dis-je, chaque phrase pour regarder. Regarder la misère perdurer, la violence se propager. Et écouter. Écouter le rugissement muet de ces bribes de quotidienEt plus spécifiquement le cri aussi désarticulé que désenchanté d'un étudiant, Jeremías Carpio, qui, chaque jour, traverse Lima en bus ou en combi pour se rendre à l'université. Ce trajet est en effet l'occasion pour lui d'appréhender l'instable faune urbaine. À l'inverse de celles d'Ingemar dansMa vie de chien, ses pensées et ses réminiscences se fondent ici, en revancheavec une précision exemplaire dans ce récit fragmentaire

À mesure qu'il évolue dans les rues tentaculaires de la ville, la terrible et parfois insoutenable réalité aiguise son regard. Tes yeux dans une ville grise décrit ainsi sans le moindre pathos les tensions ethniques, géographiques – le mur de Berlin qui sépare favelas et quartiers luxueux – mais aussi les attouchements dans les transports en commun ou encore le viol, qui apparaît comme traditionnel, presque initiatiqueMartín Mucha illustre donc dans ce texte les contrastes d'une jungle urbaine malheureusement régie par la loi du plus fort.

En ce sens ce roman est, comme l'écrit si bien Antonia García Castro dans sa préface, "parfois poème, parfois témoignage" et signale "ce qu'on ne voit pas, même en ayant les yeux  ouverts", c'est-à-dire à mon sens cette grisaille généralisée dont plus personne ne se préoccupe et qui semble déteindre sur tout ce qui l'entoure – Jeremías lui-même n'est qu'un morne fantôme. Cette grisaille généralisée qui, enfin, semble anesthésier toute humanité.  


La dernière partie intervertit quant à elle brillamment le regard. Celui qui observe (Jeremías) devient celui qui est observé et ceux qui étaient observés (famille, proches...) nous brossent désormais son portrait. Cet épilogue complète le puzzle constitué par l'auteur de manière inopinée et permet d'avoir une vision plus objective du narrateur. Vecteur d'espoir, il révèle en outre subrepticement l’amitié, la tendresse et la solidarité qui les lient tous en dépit de leurs différences.

Tes yeux dans une ville grise c'est donc une complainte lucide ou, du moins, un chant profondément désillusionné. Je parle de "chant" car s'il est une particularité dans cet ouvrage c'est bien l'incroyable musicalité de Martín Mucha. Les chapitres, courts mais puissants, sonnent comme des octaves et hérissent les poils. Tes yeux dans une ville grise est une symphonie à l'honneur de Lima, terre de paradoxes, mégalopole ambiguë où le silence est gangrené par le désespoir. Martín Mucha offre ici un panorama réaliste même si désabusé de la capitale péruvienne. 

Un hommage saisissant, triste mais poétique, aux oubliés de Lima.

Ce roman a été reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique. Je remercie donc Babelio et les éditions Asphalte pour cette merveilleuse découverte ! 
Le petit plus Bien souvent exercice de style plus que de sens, l'avant-propos retrouve ses lettres de noblesse avec Antonia García Castro.Tes yeux dans une ville grise est en effet enrichi d'une excellente préface – c'est suffisamment rare pour être souligné – qui apporte de précieuses informations historiques et culturelles et éclaire, en conséquence, le texte de Martín Mucha de manière significative.
N'hésitez pas si :
  • vous désirez en savoir plus sur la capitale péruvienne ;
  • vous recherchez un regard sans concession sur la misère, la mort, le racket, le viol ou encore le racisme (Martín Mucha est votre homme) ;
Fuyez si :
  • les plumes synthétiques et/ou "hachées" vous dérangent ;
  • vous avez le moral dans les chaussettes (auquel cas je vous recommande plutôt l'une de ces 5 séries et après seulement, Martín Mucha – oui, dans tous les cas, vous n'y échapperez pas !) ; 

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Le conseil (in)utile Prenez le temps d'écouter la playlist spécialement concoctée par Martín Mucha pour les éditions Asphalte qui, si j'ai bien compris, ont fait de cette spécificité une tradition ! Et savourez ainsi cette aussi sublime qu'éclectique sélection qui, selon qu'on l'écoute avant, pendant ou après – chacun ses préférences – prépare, accompagne ou prolonge le voyage. En savoir plus sur l'auteurMalheureusement, hormis ce qu'en disent les éditions Asphalte, je n'ai trouvé aucune autre information sur Martín Mucha. Je vous livre donc ici la mini biographie contenue dansTes yeux dans une ville grise : "Martín Mucha est né en 1977 à Lima, au Pérou. Écrivain et journaliste, il vit à Madrid où il collabore au journal El Mundo. Ses reportages sur l'immigration lui ont valu le Prix Roi d'Espagne de journalisme en 2007. Tes yeux dans une ville grise est son premier roman, et sa première traduction en français".
Ce livre s'inscrit dans deux de mes challenges : les 170 idées et le tour du monde.

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