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Doppler - Erlend Loe

Publié le 26 janvier 2013 par Anaïs
Doppler - Erlend Loe
Auteur :Erlend LoeLangue originale : Norvégien
Traduction : Jean-Baptiste CoursaudÉditeur : GaïaDate de parution : 2006.Pages : 203Prix : 19€.Doppler - Erlend Loe
Ce qu'en dit l'éditeur
Andreas Doppler fait une chute de vélo dans la forêt. Il tombe et tout lui tombe dessus : sa vie jalonnée par la docilité, son père décédé qu'il a à peine connu, sa fille qui le taxe de cynisme, son fils gavé de culture enfantine débilitante, son pays si insupportablement sympathique. Il faut changer. Ni une ni deux, il rompt avec la civilisation et plante sa tente dans la forêt. Devenu chasseur-cueilleur, il tue pour survivre un élan femelle dont le petit ne le quitte plus d'une semelle. Qu'à cela ne tienne, mieux vaut un ruminant muet que des êtres humains assommants. Et Doppler de ressasser son couplet préféré : "Je n'aime pas les gens. Je n'aime pas ce qu'ils font. Je n'aime pas ce qu'ils sont. Je n'aime ce qu'ils disent." Mais peut-on vraiment vivre seul ? Et comment ? Un beau jour, sa femme déboule pour lui annoncer sa nouvelle grossesse, précisant que s'il n'est pas rentré au bercail d'ici à l'accouchement, elle le plaque – quelle tuile. Doppler est dans de beaux draps. Situations cocasses, humour grinçant, Doppler est un bouquin savoureux... et allègrement décalé.

Avec un titre aussi peu accrocheur et une couverture aussi peu attrayante, soyons honnêtes, jamais Doppler n'aurait fini dans ma bibliothèque s'il ne m'avait pas été chaudement recommandé.

En fait, ce n'est que lorsqu'on referme le livre qu'on en saisit l'harmonie. On comprend alors que la couverture et le titre sont, contrairement à ce qu'on imaginait jusque-là, en parfaite adéquation avec le contenu venimeux du livre. 

Tous deux suscitent en effet un malaise chez le potentiel lecteur, malaise que je qualifierais de constructif et dont émane un tout aussi jouissif que corrosif "je vous emmerde, je ne veux pas que vous me lisiez et, surtout, je ne suis pas là pour vous plaire"Oui car Doppler n'est pas seulement une belle histoire d'amitié entre un homme et un élan, c'est aussi et surtout un regard incisif posé sur les travers de notre corps politique et social. Pour fuir la société normalisée et mondialisée qui le débecte ainsi que le contact humain, Doppler décide de planter sa tente dans la forêt et applique ainsi le précepte du plus célèbre des misanthropes (celui de Molière) : "et chercher sur la terre, un endroit écarté, où d’être homme d’honneur, on ait la liberté"

Notre Alceste des bois est toutefois plus radical. Il prône un retour à la nature, au troc et à l'oisiveté afin d'échapper à la société de consommation qui nous fabrique toujours plus de besoins et d'obligations  c'est d'ailleurs la réflexion la plus intéressante selon moi. Il remet par exemple en cause notre système de valeurs et son principe premier ("l'application") : "Je me suis tellement appliqué que c’est à en gerber. […] Pendant des décennies, j’ai pataugé dans cette mare d’application. Je me suis réveillé dedans, et je me suis endormi dedans. Je respirais l’application, j’ai respiré l’application et, peu à peu, j’ai perdu la vie." 

Naturellement, le ton est à l'image du personnage : acerbe, mordant mais aussi touchant. La relation qui le lie aux deux autres personnages semble d'ailleurs symboliser les deux facettes de sa personnalité. Doppler se montre en effet incisif avec le "mec de droite" en qui il ne voit qu'une marionnette dénuée de toute substance mais il est a contrario bienveillant avecDüsseldorf, un solitaire qui s'est mis en tête de reconstruire la bataille où son père a été tué en modèle réduit afin de lui rendre hommage.

Si ses thématiques (amitié, nature, relation avec un animal a priori non domestique, critique sous-jacente de la société) peuvent l'apparenter à Arto Paasilinna, pour autant, la vision d'Erlend Loe me semble plus sombre. Certes Doppler se lie d'amitié avec un élan (Bongo) et certes ce Bongo a plus d'une initiale en commun avec le Belzebuth de Paasilinna (Doppler tente de lui apprendre à parler et à jouer au loto animalier) mais l'atmosphère est dénuée d'optimisme chez Loe, en témoigne les dernières lignes du récit ("c'est la guerre") ou même la scène d'introduction (la mort de la mère de Bongo), bien plus violente que celle qui explique comment Belzebuth est devenu orphelin.

Une récit loufoque donc, à la limite de l'absurde, exacerbé par un personnage à mi-chemin entre l'Alceste de Molière et le célèbre philosophe Diogène, qui paradoxalement touche du doigt bon nombre des problèmes politiques et sociaux qui agitent notre siècle. Le petit plus
J'ai une culture très limitée en littérature (feignez d'être surpris, merci) alors je ne peux préjuger de rien mais c'est probablement le seul livre au monde qui tourne en dérision le Seigneur des Anneaux (et ses fans). Ce petit plus s'adresse donc à toi, oui toi la/le groupie de Tolkien qui comme moi (je suppose ?) respire à nouveau depuis que Games of Thrones a surgi du néant : munis-toi impérativement d'un sac d'auto-dérision avant de t'aventurer dans le Comté Loeïen.N'hésitez pas si :
  • vous détestez les gens (ou alors vous les aimez mais les gens qui les détestent vous amusent) ;
  • vous avez apprécié le film God Bless America (pour les malheureux qui sont passés à côté de cette pépite, je la décrypte dans mon bilan des films qui ont marqué l'année 2012) ;
  • vous aimez l'humour caustique et le second degré ;
Fuyez si :
  • vous avez eu votre dose de satires cette année (auquel cas, ce sera peut-être celle de trop !) ;
  • vous cherchez un livre où le retour à la nature est d'une puissance et/ou d'un radicalisme équivalents à ceux d'Into The Wild ;
***

Le conseil (in)utile   

Aussi surprenant que cela puisse paraître, Doppler peut s'avérer thérapeutique pour toutes les personnes qui ont été traumatisées par le dessin animé Bambi. Oui car comme l'indique la quatrième de couverture, le héros est contraint de s'occuper d'un bébé élan dont il a tué la mère (pour survivre) et auprès duquel il va trouver le meilleur des amis. Bon, les pointilleux objecteront que Bambi n'était pas un bébé élan, certes, mais ça reste un cervidé, bordel.  
En savoir plus sur l'auteur
Diplômé de l'école de cinéma de Copenhague, Erlend Loe est un scénariste, traducteur et écrivain norvégien. Il a passé un an en France et en est ressorti suffisamment traumatisé et dégoûté pour se mette à écrire et ainsi coucher sur papier son désarroi (yeah nous, sur ce coup-là, le monde nous doit une fière chandelle !). Auteur de renommée internationale depuis Naïf. Super. qui a été traduit dans dix-neuf langues et récompensé par le Prix européen des jeunes lecteurs, Erlend Loe partage son temps entre l'écriture de romans pour adultes dont Volvo Trucks et Autant en emporte la femme (adapté au cinéma par Petter Naess) mais aussi pour la jeunesse et enfin celle de films (sources : evene.fr et wikipedia.org).

Ce livre s'inscrit dans deux de mes challenges : les 170 idées et le tour du monde.



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