Baudelaire, compagnon de nuit.
Publié le 18 mars 2013 par RomanegQuand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
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Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : " Souviens-toi !Les vibrantes douleurs dans ton cœur plein d'effroiSe planteront bientôt comme dans une cible ;
Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizonAinsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;Chaque instant te dévore un morceau du déliceA chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la SecondeChuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voixD'insecte, maintenant dit : Je suis Autrefois,Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor !(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)Les minutes, mortel folâtre, sont des ganguesQu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur avideQui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),Où tout te dira : " Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! "