Bob Morane contre tous chacals
L'aventurier contre tous guerriers
Puis, j'ai renoncé, tant les romans étaient devenus indigestes.
Umberto Eco notait il y a plus de 15 ans,
la série répond au besoin infantile d’entendre inlassablement la même histoire, d’être soumis au retour de l’identique – transformé de manière superficielle. La série nous contrôle parce qu’elle récompense notre capacité d’anticipation ; nous sommes contents parce que nous découvrons notre capacité à deviner ce qui va se produire. Nous sommes aussi contents parce nous retrouvons ce que nous attendions.
Ce n'était pas le cas de sa parodie: Bob Marone.
Cette bande dessinée m'intriguait. Elle a une dimension quasi mythique. Elle constitue pour beaucoup le sommet de la collaboration entre Yann et Conrad. A l'époque, ces 2 trublions dynamitent le Spirou post-trombone, entre autres à travers des Hauts de Pages. Bob Marone y vécut ses premières aventures, avec le soutien du rédacteur en chef Alain de Kuyssche. Mais le ton trop libre effraye le bien-pensant Charles Dupuis qui suspend sa parution. Bob Marone rejoint alors Circus, le magazine édité par Jacques Glénat où il connaîtra la consécration d'une vraie bande dessinée en 2 tomes: Le Dinosaure Blanc. Malheureusement, elle est restée longtemps indisponible et je désespérais de pouvoir la lire un jour. Puis, en 2010, Dargaud eut l'excellente idée d'en proposer une intégrale très soignée.
Au menu, les 2 tomes du Dinosaure Blanc: A la Recherche de Franck Veeres et L'Affrontement, accompagné d'une foule de bonus: scènes inédites, les deux aventures parues en feuilleton dans les Hauts de Pages (Les Bonbons de l'Ombre Mauve et Les Gâcheurs de Dinosaures), illustrations diverses... le tout emballé dans une maquette qui imite la célébrissime maquette des Marabout Junior, version des années 60.
Une fois l'objet entre mes mains, la question était: est-ce que cette parodie mérite vraiment tout le foin qu'on fait autour ?
Pour être bref, j'ai ri.
Une bonne parodie doit autant s'attacher à ce qui est visible qu'à ce qui est passé sous silence. Autrement dit, se moquer de ce qui est et de ce qui n'est pas.
Yann base son scénario sur un roman existant: les Chasseurs de Dinosaures. Il suit le canevas de manière relativement fidèle, à l'exception, de l'intervention de la patrouille du temps. Il imite le style imagé de l'auteur avec un plaisir évident. A vrai dire, il mélange les métaphores ampoulées un peu ridicules:
aussi belle qu'un poète arabe aurait renoncé à la décrireavec d'autres de son cru
seul un poète arabe dément n'eût peut-être pas renoncé à décrire l'incroyable paysage cauchemardesque et obscène qui s'étendait à perte de vueou encore des passages hilarants comme
Bob grimaça; les grains de sable primitifs n'avaient, hélas, pas encore émoussés par l'érosion des siècles à venir et lui écorchaient cruellement les yeuxLes talents d'ingénieur de Bob lui sont très utiles, à tous points de vue, même pour identifier des plantes préhistoriques, parce qu'un ingénieur, c'est pas la moitié d'un con. Physiquement, Marone est plutôt du style nabot, loin de l'athlète des romans...
Il faut comprendre que l'absence de sexualité de Bob Morane n'est pas la volonté d'Henri Vernes. Il créera d'ailleurs sous le pseudo de Jack Colombo, le personnage de Don, qui vivre des aventures similaires à celle de Bob Morane, mais avec une sacré dose de sexe et de sang. Cette asexualité est plutôt une conséquence de la pudibonderie de la presse pour la jeunesse qui s'échine à évacuer toute notion de vie intime pour les personnages de l'époque. Les parents Vaillant dorment en lits jumeaux; Walter et Natacha ont tous les attributs d'un couple, mais ne sont que bons amis, tout comme Modeste et Pompon (Griffo, lors d'une éphémère reprise, les représenta dans le même lit... il fut viré sur le champ)...
La réussite de Bob Marone tient au fait que les auteurs ne se sont pas abandonné à la parodie facile qui aurait consisté à prendre systématiquement le contre-pied de l'univers de Bob Marone. Ils auraient pû faire de Bob et Bill des gays SM et drogués qui s'enfilent dans une impasse sombre en terrorisant les petites vieilles. Ils ont préféré une forme d'hommage parodique qui ne se contente pas d'aligner les vannes. Leur histoire repose sur un scénario qui tient la route et peut même s'apprécier sans connaître le personnage.
Spirou vu par Conrad
Un élément assez amusant à relever, outre la présence d'un prêtre qui préfigure Odilon Verjus, est le côté très "champignacien" de la Maronière, et de Pelissanne, le village avoisinant, avec ses ouailles très pittoresques. Yann rêvait sans doute déjà de reprendre le personnage de Spirou. En 1984, lorsque parait Bob Marone, Spirou ne va pas bien, après l'essai raté de l'équipe Cauvin & Nic Broca. Tome et Janry ne sont pas encore incontournables. Il ne serait pas surprenant que Yann et Conrad caressaient l'idée de reprendre les aventures du groom. Yann tentera une première fois l'aventure avec Chaland, avec de signer deux scénarios dans les HS de Spirou, l'un, très franquinesque, avec Tarrin, l'autre, dans la lignée de son expérience avec Chaland, avec Schwartz. Conrad, quant à lui, travaille à son propre Spirou, sur un scénario d'Arleston. Les albums de Yann se sont révélés concensuels, et rien ne laisse présager qu'il en sera autrement de celui de Conrad. Pourtant, un Spirou passé à la moulinette de ces 2 iconoclastes aurait pû être tellement réjouissant.Spirou, vu par Chaland
Dernièrement, Yann a réactivé Bob Marone au sein de Fluide Glacial. Quelques planches ont été signée par Tarrin, justement, et par Yoann, devenu entretemps... dessinateur de la série-mère de Spirou, après un premier hors-série très réussi. Marone et Spirou ne sont décidément jamais très éloignés.