Ecriture vs Littérature : le match

Publié le 25 mars 2013 par Secondflore

(note écrite d'une traite ; sinon ce serait tricher)

Un peu plus tôt dans l’après-midi, des jeunes gens énergiques m’avaient tendu un flyer – Le premier match d’impro littéraire ! criaient-ils façon festival d’Avignon. Rendez-vous était donné sur la Grande scène du Salon du livre à 15h30.
Je suis arrivé à l’heure : il y avait plus de monde que pour entendre David Abiker interviewer Tatiana De Rosnay. Une centaine de sièges occupés et dix rangées de gens debout. On avait envie de voir.
La mise en scène était clairement inspirée du théâtre d’impro : les bleus contre les rouges et le public comme arbitre, peignoirs de boxe pour les joueurs, et l’arbitre en nœud tatillon qui en faisait des caisses pour inspecter le centre de la scène : une table, deux ordis face à face, et une lampe en plastique.
J’ai pensé qu’ils auraient vraiment pu s’amuser avec les clichés de l’écrivain-au-travail, que tout cela semblait assez peu littéraire mais après tout pourquoi pas, quand on ouvre une brèche autant casser les codes, seul comptait le plaisir qu’on allait prendre et ça partait plutôt bien.

Le speaker a annoncé la première épreuve : l’incipit. Une première phrase imposée, trente secondes accordées à chaque équipe pour se concerter, puis deux joueurs qui s’avancent face à l’autre…

Le suspense était déjà dans le dispositif : comment allaient-ils rendre ça vivant ?
La réponse, c'était un écran géant tendu au-dessus de la table, synchronisé avec les deux ordis. Bonne idée. Sauf que la logistique n’a pas suivi, la connexion était foireuse (du coup le faux arbitre avait l'air un peu couillon). Pour meubler, le speaker a remercié le Labo des histoires, une des associations qui porte ce projet. Nous avons compris alors que les écrivains/joueurs étaient aussi les organisateurs… Un atelier d’écriture, en live! Le public est resté malgré l'interruption, un vent de fraîcheur soufflait sur le salon. Enfin la connexion a été rétablie, les deux joueurs se sont rués sur leur clavier, la foule attendait impatiente des prouesses littéraires tandis que sur l’écran défilaient les lettres…
... Et après dix secondes l’écrivain rouge a fait une faute de conjugaison en recopiant la phrase imposée.   (je sais. je sais. peux pas m'en êmpêcher)

Pour être franc, la suite de cette première épreuve n’avait pas grand intérêt, en tout cas littéraire : on aurait aussi bien pu avoir un conteur improvisant à l’oral. Mais c’était un pilote, après tout, et un atelier, on n'était pas là pour juger. Des idées nouvelles flottaient dans l’air, je les ai notées dans mon carnet. Oui, l’expérience serait à retenter. En jouant sur le décor, par exemple, et avec des écrivains aguerris qui accepteraient le défi, qui joueraient avec les mots ET avec le public - en s’amusant à écrire des phrases puis à les effacer, par exemple, comme autant de fausses pistes… puis en accélérant le rythme une fois l’inspiration venue. Un jeu, de l’écriture et du plaisir, pour dépoussiérer le petit monde littéraire. Vraiment, ce serait bien.

Je suis parti un peu trop tôt, avec ces idées en tête, et un ami à rejoindre. J’ai arpenté les allées, joué des coudes pour fendre la foule, fui des conférences où l'on parlait de littérature avec un grand L, découvert ou salué des éditeurs qui parlaient de leurs livres avec des étoiles dans les yeux (Anacharsis, Intervalles, L’Atelier, Zulma...), croisé d’autres amis (salut à toi, Erwan Larher), échangé les potins (t’as vu ? Myriam est venue sans Kevin…), acheté des livres. Bref, un dimanche au Salon. On y prend un peu goût.
Mais en partant c’est surtout à ce match d’impro que je pensais, et à mon atelier à venir dans un collège. Vive la littérature avec des fautes d’orthographe, disait mon cerveau droit tandis que le gauche s’offusquait. Ils n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord (voilà sans doute pourquoi cette note est si longue).

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La suite se passe dans le métro du retour. Station Falguière, le conducteur prend son micro – je vais devoir me rendre dans la troisième voiture, on me signale un sac avec la carcasse d’un animal qui sent très mauvais. 
- Ce doit être la littérature, a plaisanté quelqu’un.
Après quelques minutes d’arrêt, le conducteur a redémarré en remerciant les passagers pour leur patience.
- Eh, mais on veut la suite de l’histoire du sac ! me suis-je écrié en même temps que mon voisin.

Nous n’en saurons rien.

En tout cas ce n’était sûrement pas la littérature, dans le sac de la troisième voiture. Avec ou sans papier, avec ou sans fautes, tant qu’on aura envie de connaître la suite de l’histoire ou de savoir si Myriam est vraiment avec Kevin, elle sera toujours là.