La bande dessinée se prête mal à l'horreur. Ses spécificités sont aussi sa faiblesse lorsqu'il s'agit de faire naître la tension. Pas question de jouer sur les mouvements de caméras, les cuts rapides ou les effets sonores comme au cinéma, ou jouer sur l'imaginaire pur comme en littérature. La bande dessinée, par essence, en montre trop. De plus, et ce surtout dans sa composante franco-belge, son approche graphique est trop picturale pour générer la peur. A l'exception de quelques pages glaçantes dans Cromwell Stone d'Andreas ou l'ambiance générale du second tome d'Adam Sarlech, qui restent des cas isolés, la bande dessinée franco-belge se révèle souvent trop sage quand elle touche à l'horreur.
Ring, d'Hideo Nakata
Par contre, les Japonais ne nourrissent aucun complexe en la matière. L'horreur est un genre prisé en manga. Le style de lecture, plus dynamique et plus immersif, est sans doute plus adapté à ce genre. Mais dans la tradition même, l'approche de l'horreur au Japon est différente. La vague de la Japanese Horror, portée par le phénomène Ring (le film de Hideo Nakata et les romans de Koji Suzuki) nous a familiarisé avec un genre qui mélange l'horreur psychologique, une peur viscérale causée par une force souvent indicible et mystérieuse et le grotesque assumé des situations. L'autre caractéristique de la J-Horror repose sur la capacité à faire monter la tension progressivemement. C'est exactement sur ce principe que se joue toute l'efficacité de Audition de Takashi Miike. D'un point de départ léger, le cinéaste instille progressivement des éléments qui font monter l'impression de malaise qui culmine dans une scène qui, prise hors-contexte, n'aurait sans doute pas la même force.En manga, de nombreux auteurs se sont fait une spécialité de ce genre: Shigeru Mizuki, Kazuo Umezu, Hideshi Hino, Hitoshi Iwaaki ou dans une moindre mesure Suehiro Maruo, dont l'oeuvre est plus spécifique du ero-guro, sous-genre qui mèle grotesque gore et érotisme. Mais l'un des auteurs les plus populaires dans ce genre est sans conteste Junji Ito et Spirale constitue un bon exemple de cette J-Horror en manga.Cette série suit 2 adolescents: Kirie et Suichi, qui vivent dans la petite ville côtière de Kurouzu. Suichi a peur. Il n'en peut plus de cette ville qui lui semble de plus en plus étouffante. Il tente de l'expliquer à Kirie qui ne semble se rendre compte de rien. Quoique le comportement du père de Suichi soit effectivement de plus en plus bizarre. Elle l'a surpris en train de fixer intensément une coquille d'escargot sur un mur. Puis il a demandé avec insistance à son père, potier, de lui fabriquer un plat en spirale.La spirale, voilà ce qui inquiète Suichi. Son père lui voue une obsession totale qui confine au culte. Il ne travaille plus et reste des heures à admirer sa collection de spirales. D'ailleurs, Suichi se rend compte qu'elles sont de plus en plus présentes à Kurouzu, comme si toute la ville était sous l'emprise d'une malédiction de la spirale.
Si les deux premiers tomes de cette trilogie, rééditée sous forme d'épaisse intégrale aux éditions Tonkam, se constituent de récits plus ou moins indépendants, déclinant ce motif de la spirale, le troisième tome lie l'ensemble pour apporter une "explication" et une conclusion très satisfaisante à ce récit horrifique.Si la spirale joue ce rôle de force mystérieuse et indicible qui pousse les protagonistes à la folie, les récits ne lésinent pas sur les excès horrifiques. Junji Ito joue la carte d'un grotesque typiquement japonais. A condition de se laisser porter par la folie de l'ensemble, l'ambiance morbide et délétère prend aux tripes et se révèle diablement efficace. Il vaut mieux ouvrir se livre l'esprit relativement vierge, parce qu'un rapide feuilletage risque de refroidir devant les excès gores qui, pris hors-contexte, peuvent paraître ridicules. Mais au coeur de l'intrigue, ils font leur petit effet.
Le manga connut un tel succès qu'il fut adapté au cinéma (par Higuchinsky en 2000) avant même la fin de sa publication dans le magazine Big Spirit (entre 1998 et 1999), ce qui explique que sa conclusion est assez différente de celle du manga. Le film, Uzumaki, est malgré tout assez réussi et très fidèle à l'esprit général du manga. Parfait pour une soirée d'halloween.