A propos de Martha de Rainer Werner Fassbinder, où sensibilité, solitude et sadisme ravagent une vie de femme.
Le thème de la prisonnière, déjà bien perceptible dans Effi Briest (1974), se retrouve exacerbé dans Martha (1975), dont la puissance expressive lancinante n'a rien perdu aujourd'hui de son impact.
Sous les apparences d'un thriller glamoureux à la fois hollywoodien (on pense à Douglas Sirk et à Hitchcock) et viscontien (on se rappelle les décors de Senso), RWF dessine un couple de personnages magnifiquement habités par Margit Carstensen et Karlheinz Böhm, dont c'est la première apparition dans la "famille" de RWF. Au demeurant, c'est une histoire "allemande" que raconte Martha, où l'on retrouve le "froid" affectif et social d'Effi Briest et de L'Amour est plus froid que la mort, premier long métrage de Fassbinder. Des trouvailles, qui sont du pur Fassbinder, ponctuent une mise en scène et en images (signées Michael Ballhaus, dont le témoignage en Bonus sur le tournage du film est extrêmement intéressant) des plus élaborées, sans rien pourtant du haut esthétisme des maîtres décorateurs que sont un Lubitsch, un Welles ou un Visconti. RWF reste une espèce de voyou, et la séquence où, dans le Luna Park, après un tour du couple en Grand Huit qui la fait vomir au coin d'une baraque foraine, Helmut crie à Martha qu'il veut l'épouser alors qu'elle se relève à peine de ses vomissures, dégage un humour grinçant réjouissant dans le registre mélo-sarcastique. Michael Ballhaus raconte d'ailleurs que l'équipe du film s'est bien amusée à tourner les scènes les plus pénibles du film...
Ce qu'il y a de passionnant, chez RWF, c'est que son regard sur la lutte des classes ou la guerre des sexes n'est jamais réducteur et moins encore flatteur. Dans Le Droit du plus fort, ainsi, la sécheresse de coeur et le snobisme du bel amant friqué de Fox sont aussi sordides que les mesquineries des gays que celui-ci retrouve dans son bar habituel, et le même manque d'humanité se retrouve chez les communistes de salon de Maman Küsters s'en va au ciel et chez les nantis puants de Martha.
Ce film déchirant pourrait être rapproché, aussi, du Journal d'Edith de Patricia Highsmith, en cela qu'il montre une femme à la fois fragile et originale, intelligente et sensible, verser peu à peu dans la parano faute d'amour. On sourit en outre de voir le présumé suave Karlheinz Böhm, devenu célèbre pour son identification à l'empereur François-Joseph de la série consacrée à Sissi, camper ici un ingénieur au coeur de béton armé et aux pulsions de marteau-piqueur, épris d'ordre et tout imbu de domination masculine, jusqu'au sadisme. La première scène du coup de soleil imposé, assorti d'un quasi viol, est une séquence d'anthologie, et la montée aux extrêmes qui s'ensuit est à l'avenant, même si la violence montrée est moins efficace, du double point de vue émotionnel et artistique, que ses manifestations suggérées ou juste entrevues.
À cet égard, la fin spectaculaire du film, après l'accident de voiture dont Martha sort paralysée à vie, donc livrée sur fauteuil roulant à son persécuteur, m'a semblé plus conventionnelle au terme d'un film âpre et pur, d'une cinglante beauté...