Magazine Humeur

Hervé Guibert dans le métro

Publié le 29 mars 2013 par Secondflore

Une amie m’a fait découvrir l’autre jour cette collection de croquis de métro de Paris et d'ailleurs. Comme un cadeau d'anniversaire parfaitement choisi.
Le site s'appelle
"
De lignes en ligne" et je leur aurais proposé ma collaboration dans la seconde si j'avais su dessiner. Oui mais voilà, toujours pas... Et ce matin, bingo : travaux pratiques. Avec des mots pour seule couleur, mais vous n’aurez qu’à imaginer.

Quand je suis entré dans ce métro matinal, Porte de Clignancourt, l’homme était déjà installé au fond de son carré, les deux mains sur son sac. Il avait le nez au vent mais semblait ne rien voir.

On aurait pu écrire sa biographie en considérant un à un ses vêtements dépareillés, mais en l’absence d’indice tout tenait de l’énigme.
D’ailleurs, pour un portrait, par où commencer ? Par le haut, ou par le bas ? Ce qui frappait le plus, chez lui, c’était ce contraste entre les deux.

croquis de métro, barberon, hervé guibert
Un pantalon bleu électrique trop court tombait sur des Nike montantes blanches, mais en remontant, on notait la qualité du cuir de la doudoune, et la fourrure au col et aux manches. Un béret et une écharpe encadraient un visage classique, la soixantaine rigoureuse rajeunie par des lunettes carrées sans montures. Sur ses genoux, un sac Freitag d’un bleu pétard. Et sur le sac, grand ouvert, un livre des éditions de Minuit, dont l’homme soulignait des passages avec un critérium, de ligne en ligne.

Bien sûr, pour compléter le tableau on tenterait de voir le titre du livre, mais on s’arrêterait surtout sur les mains. Marquées par l’âge (la peau légèrement ridée, les veines apparentes), elles avaient encore toute leur force, et de la fermeté dans le soulignage. C’est qu’il en faut, de l’adresse, pour tracer un trait à peu près droit dans les cahots de la ligne 4.
Alors on arrêterait de prendre l’homme pour un gentil hurluberlu, on oublierait le pantalon trop court et on ne verrait plus dans son attitude que les marques de la réflexion la plus puissante : la tête levée, le pouce et l’index écartés au-dessus du menton, et ce regard de juge suprême porté sur le texte – ça je garde, ça je jette. Comme un éditeur qui travaillerait sur le texte de son auteur fétiche. Ou comme un homme dont la vie serait dans le livre et qui ferait le tri dans son passé.
C’est à ce moment seulement qu’on verrait le titre : Fou de Vincent, d’Hervé Guibert. 1989.

L’homme est descendu à Châtelet. J’ai voulu l’attendre pour voir où il allait : il s’était arrêté au milieu de la foule pour enfiler des gants rouges cerise, puis je l’ai perdu.

Illustration - Nicolas Barberon - De lignes en ligne


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