Magazine Journal intime

La fois où Baïo a fait son Julius*

Publié le 16 avril 2008 par Boo
Baïo

Mes parents sont partis une semaine sous les tropiques. Les petits veinards. Ils se sont envolés, direction les caraïbes, en laissant derrières eux leurs soucis, leurs obligations, les coups de téléphone indésirables, les corvées journalières, et le chien.
Et nous, on a récupéré le chien. Le reste, on leur a laissé, mais le chien, on a pris. Pour une semaine. Dans notre maisonnette/appartement de 45m².

Je me dis que ça aurait pu être pire… Baïo aurait pu être un effroyable chien hurleur. Mais non, il n’aboie jamais, tout juste un petit couinement quand on l’a oublié sur la terrasse depuis trop longtemps. Baïo aurait pu être un petit monstre désobéissant et caractériel. Mais il obéit au doigt et à l’œil, assis, au pied, recule, pas bouger, attends, donne, lâche, arrête de tes lécher les pattes, bon chien bon chien. Baïo aurait pu être de ces petits roquets hyperactifs et acariâtre, se jetant aux mollets des gens qui ont le dos tourné. Mais c’est un adorable labrador, gentil comme un bisounours et qui ne doit même pas savoir qu’il a des dents, juste une grosse langue rose et affectueuse.
Par contre… Baïo fait ses bons 35 kilos, et quand il remue la queue (90% du temps), il ne fait pas bon avoir laissé traîner des verres sur la table basse. Baïo est un chien élevé à la campagne. Pas trop habitué à sentir les odeurs d’autres chiens. Alors quand on le balade dans le quartier, c’est l’affaire du siècle. La truffe vissée au sol, il détale, stoppe net, recule, renifle, un pipi par ici, un pipi par là. Mon chéri, qui n’a jamais eu de chiens, découvre les joies de la promenade canine. Et il s’extasie devant le flair de la bête. Ca le rend philosophe : « Tiens regarde comme il renifle ce pneu là, il doit y avoir un message… Finalement, les pipis des autres chiens, c’est un peu son internet à lui ».
Baïo est un chien du Nord, conçu pour nager dans les mers froides. Et à Montpellier, il est plutôt en appartement surchauffé. Alors il s’adapte. Gentiment. Il laisse son tapis de poils au vestiaire. Enfin, sur le carreau, plutôt. Baïo aime deux choses dans la vie : jouer et manger. Avec une petite préférence pour la bouffe. On lui donne deux doses de croquettes par jour, mais si on lui en donnait dix, il serait pas contrariant, il finirait. D’ailleurs il nous a mis à l’aise dès le début. Le jour où on a oublié de refermer le bidon de croquettes. Quand au jeu, c’est obsessionnel chez lui, il faut qu’il rapporte. Quelque chose. N’importe quoi. Les chaussures, la serpillière, un sac qui traîne. Et à n’importe qui. A moi, à mon chéri, au voisin qui passe. A Saucisse. La gueule de Saucisse quand le monstre de 35kg la bloque en se dandinant, une botte dans la gueule et la queue fouettant l’air. Elle a beaucoup boudé, Saucisse. Surtout quand le goinfre s’est attaqué à sa sacro sainte gamelle à elle, par terre dans la cuisine. Une dose de croquettes de chat, ça lui a même pas fait l’apéro à Baïo. Même pas il s’est rendu compte qu’il mangeait. Ben quoi ? Qu’est ce que vous avez tous à me crier dessus ? J’comprends pas… Au bout de trois jours, pour ménager le chien et le chat, on a instauré une règle simple : cuisine interdite pour Baïo, et autorisation de squattage d’armoire pour Saucisse. Sans ça, c’était la crise de jalousie assurée (et une Saucisse jalouse, hein, très peu pour moi, merci). Heureusement qu’il est obéissant ce gros chien, au bout de trois « NON ! » fermes et autoritaires, il avait très bien compris : pas une patte dans la cuisine.

Oui, décidément, je me dis que ça aurait pu être pire.
Mais quand même, Baïo est un petit peu spécial. C’est un chien épileptique.

« Il vous fera peut-être une crise » m’ont prévenu mes parents. « Vous vous affolez pas, vous ne le touchez pas, vous n’essayez pas de lui bloquer la langue, il ne peut pas l’avaler. Vous attendez la fin et vous le rassurez quand il se réveille, parce qu’il ne saura plus où il est ».

Il fait environ une crise tous les 2 mois, y’a quand même peu de chances que ça tombe juste la semaine où on le garde. Tu parles…

Avant-hier, 6h du mat’. Je suis réveillée par un bruit inhabituel. Je sais pas pourquoi, je comprends de suite. Je bondis du lit, descends les escaliers à poil, et manque buter dans le gros chien. Il est étendu en bas des marches, raide, tendu comme un string, et il tressaute des pattes. Il a la gueule qui claque, l’œil grand ouvert, et il bave.

En vrai je vous le dis, c’était pas drôle du tout. J’avais beau être prévenue, j'ai cru qu’il allait mourir.

Mon chéri descend à son tour, un œil ouvert, l’autre pas, le cerveau encore embrumé, « késsissepass' ? » Mais il ne se passe plus rien. Baïo ne convulse plus, mais il reste raide. Il a toujours les yeux ouverts, mais il ne capte pas mes doigts qui claquent à deux centimètres de ses pupilles. Il ne bouge pas. Il est raide, et c’est tout.
Saucisse aussi est descendue voir ce qui se passait. A un niveau que notre statut d'humain nous interdit à tout jamais d'accéder, elle a compris. Elle ne fait pas le dos rond, ne gonfle pas son poil comme un yack en furie, comme elle le fait d'habitude devant son nouveau co-locataire. Elle s'approche de lui tout doucement, lui renifle la truffe, envoie une patte curieuse effleurer le gros nez humide. J'essaie de ne pas verser dans l'anthropomorphisme, mais j'ai l'impression qu'elle compatit. Un peu. Et puis, faut pas déconner, Saucisse étant ce qu'elle est, elle lâche l'affaire pour aller faire un tour à sa gamelle. C'est que ça creuse, les émotions.
Petits bruits de croquettes croquées. Et d'un coup *pof*, Baïo se réveille. Il se redresse d’un bond, me regarde, incline la tête, dresse l’oreille, ne comprends pas. On le caresse, on lui parle, mais on le voit bien, il ne nous reconnaît pas. Il nous renifle, tourne sur lui-même, couine un peu, revient renifler...

La crise est passée, et maintenant, l'épileptique est amnésique. Mais content. Content qu’on soit là à le caresser, même si il ne sait pas qui on est. Il nous fait même des fêtes. Il part nous chercher une chaussure. Et il passe devant la cuisine. Oh tiens, des croquettes pour chat ! C'est chouette ça ! Hop un coup de langue, nettoyée la gamelle. Ben quoi ? Depuis quand c’est interdit ? Et vous êtes qui, vous, d'abord ?


Baïo carpette

* Mais c'est qui, Julius ?
Hé bien Julius, c'est le chien épileptique de Benjamin Malaussène, dans la Saga Malaussène, de Daniel Pennac. Et il sait de quoi il parle, le bonhomme Pennac, quand il décrit les crises de Julius, c'est moi qui vous le dit...

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