J’ai connu un assez long passage à vide récemment. Beaucoup de livres commencés et abandonnés en cours de route. J’attendais la révélation, qui ne venait pas. La barre était trop haute sans doute. Quoi faire quand ce genre de malheur nous frappe? Retourner à ses classique.
Étrangement, par la suite, j’ai mis la main sur une nouvelle de Haruki Murakami, Sommeil, publiée originalement dans le recueil L’éléphant s’évapore et, cette fois-ci, éditée séparément sous forme de livre illustré. Ceux qui ont pratiqué Murakami connaissent son goût pour l’étrange. Voir sa trilogie 1Q84 qui décrit un univers légèrement décalé par rapport au nôtre. Ainsi, par exemple, le « Q » de 1Q84, serait simplement le chiffre « 9″ inversé. Dans le monde parallèle que dépeignent ces 3 livres, l’année où se situe l’intrigue n’est donc pas 1984 mais bien 1Q84. Bizarre.
Bon, ce n’est pas de cette trilogie dont je voulais vous parler mais plutôt de cette nouvelle, Sommeil, qui raconte comment la vie ennuyeuse d’une mère de famille sans histoire bascule le jour où elle perd complètement le sommeil.
Anna, comme la ménagère de Murakami, a choisi de vivre intensément plutôt que de se laisser engourdir par le ronronnement lénifiant du quotidien. Dans un cas comme dans l’autre, ce choix ne sera pas sans conséquence.
Au moins aussi étrange que peut l’être Murakami. L’histoire commence par un vol de banque plutôt inusité. Le cambrioleur s’en prend en effet aux clients de la ligne d’attente et leur demande de lui remettre, non pas de l’argent, mais l’objet qui est le plus précieux à leurs yeux. L’un donnera sa montre, l’autre une photo froissée. Une autre enfin, remettra sa calculatrice de poche. Une fois son larcin accompli, le voleur s’évanouira avec ce maigre butin après avoir déclaré aux clients médusés qu’il s’est ainsi emparé non seulement des objets qui leur tiennent le plus à cœur mais, en plus, de 51% de leur âme.
Par la suite, chacune de ces personnes sera l’objet de phénomènes insolites se rapportant, de près ou de loin, à l’agression dont elle a été victime. L’une se mettra à rapetisser, l’autre sera poursuivie par un lion, une troisième trouvera Dieu. Étrange, vous dites? Voyez plutôt:
Le jeudi 22 février, le lendemain du cambriolage, alors qu’elle cherchait la télécommande sous le sofa, Jennifer Layone trouva Dieu. Il ressemblait exactement à ce qu’elle imaginait —longue barbe blanche, tunique, sandales, tout le bazar. En revanche, il était vraiment sale (il y avait pas mal de poussière sous le divan). Puisqu’elle devait faire du lavage de toute façon, Jennifer l’emporta avec elle à la buanderie. Elle le mit dans une laveuse. Comme elle risquait de manquer de pièces de vingt-cinq cents, elle le lava avec une brassée de jeans. Elle avait dû oublier de vérifier le contenu des poches, puisque Dieu ressortit couvert de miettes de mouchoir. Il était visiblement déçu. Il refusait de regarder Jennifer dans les yeux et quitta la buanderie sans dire au revoir. En fin de compte, elle ne se sentait pas plus proche de Dieu qu’elle ne l’avait été avant le cambriolage. (p. 39)
Le récit suit un parcours hallucinatoire mais retombe sur ses pieds avec élégance. Essayez-le. Au pire, vous n’y perdrez qu’une heure ou deux.
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TOLSTOI, Léon. Anna Karenine. Gallimard, Paris, 1952, 858 p. ISBN 9782070392520
MURAKAMI, Haruki. Sommeil. Belfond, Paris, 2010, 78 p. ISBN 9782714448200
KAUFMAN, Andrew. Minuscule. Alto, Québec, 2012, 123 p. ISBN 9782896940677