Théâtre Antoine, samedi, 21 heures. Comme cadeau d’anniversaire pour le papa récent de jumeaux turbulents, Une heure de tranquillité, c’était une idée magnifique. De la pièce nous ne savions rien, sinon le nom de Luchini en énorme sur l’affiche, le symbole était plus fort que tout, et le plaisir d'être ensemble.
J’avais même oublié que la pièce était de Florian Zeller.
Et quand bien même, me disais-je en québécois, ça ne pouvais pas être si pire.
Eh bien si, c’était pire.
Tentons de le dire en peu de mots : le théâtre était beau, le décor était plutôt réussi, malheureusement le texte était en carton-pâte.
Résumons : Luchini rentre chez lui, il a enfin trouvé aux puces un disque qu’il cherchait depuis des années, il voudrait une heure de calme pour l’écouter peinard avant que n’arrive son vieil ami Pierre, oui mais voilà, son fils est annoncé pour le déjeuner, un plombier polonais bosse dans la pièce d’à côté et sa femme a très envie de lui parler pour lui avouer quelque chose. A partir de là, vous pouvez prendre cinq minutes pour imaginer comment la pièce se noue (ajoutez le voisin du dessous et la meilleure amie de la femme) et comment elle se termine, il y a de grandes chances pour que vous ayiez tout bon.
Vous me direz : pas facile d’être bien surprenant avec du théâtre de boulevard. Mais il y a du boulevard qui tient la route ! La pièce de Zeller relèverait plutôt du boulevard d’imitation, ou du théâtre d’autoroute : tout y est souligné, répété, prévisible, répété, surjoué. Les acteurs se débattent avec des personnages sans le moindre relief et crient pour faire oublier la faiblesse insigne d’un texte pauvre et sans la moindre nuance.
Chéri, j’ai couché avec Pierre / Avec qui ? / Avec Pierre / Quoi ?? / Eh bien oui, avec Pierre / Mais comment as-tu pu ? Comment as-tu pu ? / Mon chéri laisse-moi t’…/ Pierre. / Oui. / PIERRE, NON MAIS, PIERRE ! / Etc.
(texte non conforme)
Alors évidemment, Luchini en fait des tonnes. Une journaliste enamourée du Monde, ce week-end, évoque à son propos un "art magistral", mais nous n’avons pas dû voir la même pièce. Parce que Luchini ne cabotine même pas : il fait le job comme il sait le faire, roue libre et volume à fond. J’avais plutôt l’impression qu’il s’en foutait (je le comprends), et sans doute quelques-une des innombrables répétitions étaient dues à quelques trous de mémoire.
Pendant toute la pièce, j’ai pensé à ces auteurs amateurs qui écrivent sans prétention des pièces dix fois meilleures, qu’ils doivent jouer dans des petits théâtres qui demandent des textes courts pour pouvoir programmer deux spectacles dans la soirée. Je me suis même une furieuse empathie avec d’autres auteurs de boulevard qui doivent déprimer de voir le public affluer au théâtre Antoine. Parce que le public répond présent ! Le théâtre était plein, les dates à venir sont complètes. Et la salle a ri, oui. Un rire un peu mécanique, à chaque grosse ficelle de boulevard (il y en a quand même quelques-unes qui fonctionnent), mais un rire franc, le plus souvent. Mais le signe qui ne trompe pas : au moment des saluts, un petit rappel poli et déjà tout le monde se levait pour partir.
Dans les escaliers, en descendant, j’ai croisé des aficionados comblés de Luchini, des visages plus neutres, puis un couple, trente-cinq ans peut-être. "Eh ben putain", disait le type en rigolant, avec une voix qui disait Quand même qu’est-ce que c’était mauvais, désolé chérie mais viens, allons rattraper ça. Dans mes bras, l’ami ! Je ne sais pas si ça peut servir à quelque chose mais ce serait bien qu’on passe le mot. La prochaine fois on ira au théâtre, plutôt.
Je vous aurais bien conseillé deux pièces parfaitement rafraîchissantes vues ces dernières semaines. Elles avaient de l’humour, de l’intelligence, du rythme : là aussi les salles étaient complètes, mais pour quelques jours seulement, et elles ne sont déjà plus à l’affiche. Si elles reviennent, promis, on en parle.
Oh, et à propos : le 14 avril, les critiques du Masque et la plume se pencheront sur cette Heure de tranquillité. Je serai là, les gars, faites-vous plaisir.