De la lecture, des cocktails et de l'Union Soviétique

Publié le 12 avril 2013 par Secondflore

Ouvrir (presque) par hasard un livre écrit à la première personne, c'est un peu comme démarrer une conversation avec un/e inconnu/e dans une soirée.

On pourrait voir la scène comme ça : il y a eu un bref échange de regards (la couverture), vous avez entendu des bribes de conversations (la 4e de couverture, ou un extrait), et au moment d'aller vous resservir au bar (la librairie), c'est vous qui avez brisé la glace (ouvert le livre).
… Et puis vous vous rendez compte que la personne est bavarde. Très bavarde. Vous avez d'autres amis à voir dans cette soirée mais le narrateur, lui, semble n'avoir que vous, et vous savez bien que vous aurez du mal à l'arrêter...

C'est un peu ce qui m'est arrivé avec Bye Bye Leningrad, de Ludmila Shtern – le roman autobiographique d'une scientifique soviétique et de sa fuite aux Etats-Unis dans les années 70.
J'ai été séduit par nos premiers échanges, tout en ironie soviétique, avec des komsomols, un enthousiasme communicatif et des sourires en coin. Quand Ludmila a commencé à me parler de ses grands-parents, j'ai eu un peu peur que ça n'en finisse pas, mais j'ai continué à l'écouter, parce qu'elle parle bien et que ses histoires sont cocasses. Et puis, c'est vrai, j'aime bien quand on me parle de komsomols. Plusieurs fois, quand même, mon œil a glissé au-dessus de son épaule : j'avais des gens à voir, des choses à faire, je me demandais comment j'allais m'en débarrasser. Mais à chaque fois elle me rattrapait par la manche – il y avait toujours une nouvelle histoire : celle du retour de son oncle émigré aux Etats-Unis, celle du KGB lui demandant de l'espionner, celle des premiers amours du temps des Soviets, les tracasseries du quotidien, la vodka, les absurdités administratives, les romans de Dos Passos qu'on se passe sous le manteau... La vie, en somme – l'URSS en couleurs quand on nous a appris que la vie là-bas n'était qu'en noir et blanc (et rouge). Puis la fuite, enfin.

Un ami s'est approché du bar alors qu'elle me racontait son arrivée aux Etats-Unis. Il m'a dit Salut, j'aurais pu en profiter pour laisser tomber Ludmila une bonne fois pour toutes, mais je me suis rendu compte que son aventure était devenue pour moi une sorte de suspense. Alors j'ai oublié les autres dans la soirée et je me suis résolu à l'écouter jusqu'au bout, pleinement concentré sur son sujet, et c'était comme un soulagement. En caleçon dans mon lit, un matin de semaine, je l'ai vue progressivement s'intégrer aux Etats-Unis ; pour être franc j'étais déjà un peu nostalgique de son URSS mais ce n'était pas grave, l'important c'est que Ludmila et moi, on est copains, maintenant. Si vous voulez je vous la présente.
Bon week-end.