La résistance des bactéries aux antibiotiques est un phénomène préoccupant.David Isaacs et David Andresen (1) affirment à juste titre qu’il est temps de lutter sérieusement contre les résistances, non pas par une guerre contre les résistances qui a, selon eux, autant de chances de réussir que la guerre contre le terrorisme, mais en désescaladant et en nous assurant que nos hôpitaux ne soient pas des amplificateurs de résistance.
“The treatment of an infection is often described in military terms: the war on microbes, the war on infections, or the battle against antimicrobial resistance. We believe the chance of winning the "war on antimicrobial resistance" by escalation is about as likely as the chance of winning the "war on terror". Our war should be against human error, particularly the erroneous belief that new drug discoveries will be the solution to resistance development. We should de-escalate rather than escalate antibiotic use, invest in diagnostics, ensure our hospitals do not act as "resistance amplifiers", and try to prevent infections.”
Ils ont raison mais ils omettent un certain nombre de choses: On sait tout d'abord depuis plus de 40 ans que les résistances sont un problème important. De plus on connaît depuis plus de 40 ans certains facteurs aggravants et on sait aussi depuis longtemps comment lutter contre les résistances.
En mars 1973, des étudiants en médecine de Caen, dans une brochure sur les laboratoires pharmaceutiques dénonçaient ainsi la publicité pharmaceutique :
- Rovamycine : "l’antibiotique 100% français"- Thiophénicol : "l’antibiotique total"- Rubitracine : "l’antibiothérapie magnifiée pour tous les âges, contre toutes les virulences en toute quiétude"- Et l’Istipen qui poussait le bouchon jusqu’à se proposer au nom de la résistance bactérienne : "très large spectre englobant les germes Gram + et les Gram - , un atout majeur contre la résistance bactérienne."
Ils citaient surtout Finland et Worms qui disent l’essentiel du problème. Au début des pénicillines semi-synthétiques, Finland écrivait : "Le risque de voir apparaîtra un nombre croissant de souches qui leur résisteront dépendra avant tout de la judicieuse restriction que le corps médical apportera ou non à leur utilisation."
Le professeur R. Worms (2) écrit quant à lui : "Loin de tolérer la diffusion la plus large et la plus massive à laquelle tout nouvel antibiotique est soumis sous la poussée publicitaire, il conviendrait surtout, si celui-ci possède un large spectre, de le soustraire à la compétition, de le tenir en réserve pour en réserver le bénéfice aux cas les plus graves. A ce prix, son pouvoir gagnerait en durée."
En 2000, un article intéressant de P. de Man (3) se terminait par une phrase qui ressemble beaucoup 30 ans après à celle du professeur R. Worms en 1970 : "Cette étude confirme les bénéfices si souvent prêchés mais si rarement mis en pratiques des antibiotiques à spectre étroit. Cette étude devrait inciter les cliniciens à mettre plus souvent en pratique ce vieux précepte."
La lutte contre les résistances devait bien sûr comporter un effort pour utiliser les antibiotiques de façon plus rationnelle mais elle ne se limite pas à cela. Pour diminuer les infections et donc le recours aux antibiotiques et les résistances on peut citer, dans le champ pédiatrique, la lutte contre la prématurité, la promotion de l’allaitement au sein, le respect des rythmes de sommeil, la méthode kangourou...
Mais parce qu’ils attirent l’attention sur un autre facteur important de la vie des hôpitaux et parce qu’ils le font avec humour, je voudrais laisser le mot de la fin à Norman Simmons et David Williams (4). Ils disent que les infections et les bactéries résistantes prospéreraient moins s’il y avait des chambres pour isoler certains malades, si les malades n’étaient pas trimbalés comme dans des excursions touristiques. "Meanwhile, patients and their bacteria are shunted around open hospital wards like tourists on coach trips”.
Jean-Pierre LELLOUCHE
(1) ISAACS D, ANDRESEN D. Combatting antibiotic resistance : the war on error. Arch Dis Child 2013;98:2 90-91(2) WORMS R. L’Année du Praticien 1970 : 43(3)DE MAN P, VERHOEVEN BA, VERBRUGH HA, VOS MC, VAN DEN ACKER JN. An antibiotic policy to prevent emergence of resistant bacilli. Lancet 2000; 355 (9208) : 973-978(4) SIMMONS N, WILLIAMS D Prudence and isolation. The Lancet, 2000; 355 (9219)