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Compliance, vous avez dit compliance ?

Publié le 20 novembre 2012 par Dominique Le Houézec

COMPLIANCE, VOUS AVEZ DIT COMPLIANCE ?Le mot compliance occupe une place très particulière dans la langue française. Utilisé par les médecins depuis plus de 50 ans et défini dans les dictionnaires médicaux, d’une manière très imparfaite d’ailleurs et qui est la raison de ce texte, il est absent de la plupart des dictionnaires généraux.Le nouveau Littré 2007, qui est une des rares exceptions au silence des dictionnaires, en donne la définition suivante: "Compliance: n.f., mot d’origine anglo-américaine, action conforme, de "to comply", se conformer) Méd. Application et suivi scrupuleux d’un traitement médical.


Il s’agit donc d’un terme qui pourrait être proche des mots observance ou adhérence et qui vient qualifier ce que fait le malade de la prescription et des conseils du médecin.
Je voudrais essayer de montrer que si l’on veut mieux comprendre ce qui se passe dans la relation médecin-malade, il serait bon de disposer d’un vocabulaire riche et précis. Je crois à contrario que l’absence de clarté et l’absence de précisions témoignent de l’imperfection de la réflexion et des échanges autour de la question de la relation médecin-malade.
COMPLIANCE, VOUS AVEZ DIT COMPLIANCE ?
Je parlerai de la compliance en signalant l‘excellent article  que Danielle Ofri a écrit dans le "New-York Times": "When the patient is noncompliant" 
Je  parlerai aussi de la relation médecin-malade en signalant la réflexion d’Alexandre Jaunait, "Comment peut-on être paternaliste ? Confiance et consentement dans la relation médecin-patient" (1)
Je signalerai aussi un article important "Four models of the Physician-patient relationship" (2) Emanuel E.J. et Emanuel L. L. décrivent quatre types de relation entre le médecin et le malade: paternaliste, informatif, interprétatif et délibératif. Ils ajoutent qu’il existe un cinquième type, le modèle instrumental qui leur semble  inacceptable. Les auteurs qui travaillent dans un centre anticancéreux à Boston décrivent de façon détaillée les quatre approches différentes lors de la découverte d’une tumeur du sein. Pour ceux qui ne lisent pas l’anglais, l’article des Emanuel  est longuement évoqué dans le livre de Mgr. Elio Sgreccia (préfacé  par le  cardinal Barbarin) Manuel de  bioéthique (3).
Mais je voudrais d’abord affirmer (et démontrer) la pauvreté des définitions données par les dictionnaires médicaux. 
On lit dans le Dictionnaire médical Flammarion 2008 de Serge Kernbaum :
"Compliance. s. f. (symbole C) (angl. compliance). Grandeur analogue à une impédance, correspondant au quotient de l'accroissement de volume (en ml) par l'accroissement de pression (en cmH2O) qui l'a engendré. La compliance mesure l'accroissement de volume dû à une variation de pression de 1 unité, elle renseigne sur la résis­tance à l'expansion du système considéré. C. pulmonaire (abrév. CL) (angl. lung compliance). Expression habituelle de l'élasticité pulmonaire repré­sentant la variation du volume pulmonaire en fonction des variations de la pression transpulmonaire. C'est l'inverse de l'élastance pulmonaire (V.c.m.). La compliance pulmonaire est normalement comprise entre 0,150 et 0,200 l/cmH2O. C. thoracique (angl. thoracic compliance). Quotient de la variation AV du volume thoracique par la varia­tion de pression AP qui lui donne naissance. La somme de la compliance pulmonaire et de la compliance thoracique représente la compliance globale."
En d’autres termes, en 2008 dans un livre édité par Flammarion (qui en 2004 avait édité le livre de Michel Leporrier, cf. ci-dessous), il n’est fait aucune allusion à quelque chose qui serait de  l’ordre de "Application et  suivi scrupuleux d’un traitement médical" (Littré 2007). L’auteur s’en tient à la seule définition technique.
De même, dans le Dictionnaire Garnier-Delamare 2009, rien n’est dit de la dimension relationnelle.
Je n’ai trouvé que deux dictionnaires médicaux évoquant la compliance dans sa dimension relationnelle.
Michel Leporrier, Flammarion médical 2004, qui parle de «docilité »
"Compliance. La compliance est la capacité avec laquelle un organe se laisse distendre : elle exprime la relation entre la variation de volume et la variation de pression. Cette relation est particulièrement utile pour apprécier les propriétés mécaniques des poumons (voir Explorations fonctionnelles respiratoires). De façon imagée, on parle de la compliance d'un sujet pour exprimer la notion de docilité face à des instructions, par exemple une prescription de traitement."
Manuila Dictionnaire médical Masson 2001, qui après avoir donné la définition physiologique écrit "assentiment  du patient au traitement –généralement de longue durée- qui lui a été prescrit et observance rigoureuse des recommandations quand à la poursuite de ce traitement."
J’aimerais parler de la question de la compliance avec ceux qui ont lu Danielle Ofri et les Emanuel (cf. ci-dessus) mais je voudrais faire quelques  remarques à partir des trois définitions disponibles.
COMPLIANCE, VOUS AVEZ DIT COMPLIANCE ?Littré parle de "l’application et suivi scrupuleux d’un traitement  médical."
Leporrier parle de "docilité face à des instructions, par exemple une prescription de traitement."
Manuila parle lui aussi, comme Littré, du traitement et n’évoque pas ce que Leporrier nomme des "instructions" et que l’on pourrait aussi appeler conseils ou recommandations.
La compliance concerne-t-elle le seul traitement médicamenteux ou bien s’étend-t-elle à tout ce que le médecin conseille et recommande ?
Si la compliance concerne aussi les recommandations (ne fumez pas, faites au moins une demie-heure de marche par jour, mangez tous les jours des fruits et des légumes…), dans ce cas, Danielle Ofri montre avec beaucoup d’humour  que faire tout ce qu’a dit le médecin. C’est-à-dire être compliant sur tous les points de sa prescription est quasiment  impossible. Elle le fait en citant l’article de John F. Steiner (4), "Rethinking Adherence" qui semble  difficilement  contestable..

COMPLIANCE, VOUS AVEZ DIT COMPLIANCE ?Il y a, selon moi, une différence majeure entre deux types de compliance : la compliance dans le domaine du médicament et la compliance envers les "instructions". De cette différence, il faudrait discuter, mais pour discuter, il faut  disposer de mots, il faut savoir ce qu’est la compliance et il faut que la population aussi sache ce qu’est la compliance. Le désordre et le non approfondissement de cette notion entre médecins et le silence de tous les dictionnaires sont des signes avec beaucoup d’autres du désintérêt pour la santé publique.

Il me semble incroyable et en tout cas difficilement acceptable que ni le dictionnaire culturel de la langue  française ni le dictionnaire historique ne mentionnent ce terme. Il aurait été intéressant, sur le plan historique comme sur le plan culturel, d’expliquer et de décrire l’évolution de ce mot. Le fait que les médecins utilisent un mot depuis plus de cinquante ans et que ce mot ne figure pas dans les dictionnaires est une vérité historique qui en dit long sur notre culture.

 Jean-Pierre LELLOUCHE

(1) Alexandre JAUNAIT. "Comment peut-on être paternaliste? Confiance et consentement dans la relation médecin-patient". Raisons politiques 11, 2003. Le corps du libéralisme (volume 1)(2) Ezekiel J. Emanuel, Linda L. Emanuel, "Four Models of the Physician-Patient Relationship" JAMA. 1992;267(16):2221-2226(3) Elio SGRECCIA. Manuel de Bioéthique : Les fondements et l'éthique. pages 217-220. Mame-Edifa 2004(4) John F. STEINER. "Rethinking Adherence". Ann Intern Med.  2012; 157(8):580-585

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