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Max | Mon dabe, part one

Publié le 15 avril 2013 par Aragon

cab 011.JPGJ'aurais jamais pensé écrire un seul mot sur toi. Jeu des "7 familles" : Dans la famille "Ours silencieux", je veux le père. Bonne pioche, c'est toi ! Je pouvais pas te laisser aller là où tu dois aller sans t'interviewer un peu. Le temps des regrets se décline toujours grisaille, brouillasse, imper et parapluie. Alors aujourd'hui je suis allé te voir, un prétexte bidon et voilà que le moteur se met en route. Les bielles et les pistons parfaitement huilés, ça démarre au quart de tour. J'en reviens pas, la machine fonctionnait !

Mon dabe, je l'ai déjà dit à certains intimes, si je mets bout à bout les mots qu'il m'a consacrés en mes soixante de vie, ça doit à peine peser une heure. On passe une vie à côté de ses parents, à côté de ses enfants, à côté de ceux qu'on aime, pour leur filer la portion congrue. Nada, presque rien, des quarts de clopinettes. Puis un jour on se dit que c'est vraiment con. Heureusement, avant qu'il soit trop tard. Aux orties la victimisation, faut forcer le mot à sortir. Comme un point noir, un vilain comédon, faut le presser. Y'a toujours un truc qui sort. Qui doit sortir... Je me suis mis devant le miroir cet aprèm. Devant les comédons familiaux, je leur ai fait leur fête !

La vie n'est vie que par la relation avec l'autre. L'autre de tous les possibles, de tous les probables, de tous ceux qu'on pense impensables, l'autre miroir, l'autre reflet, l'autre radicalement différent, qu'importe, l'autre c'est toujours l'autre mais il compte.

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Mon dabe m'a foutu les jetons presque toute sa/ma vie par son silence. Le silence c'est un truc terrifiant. Le silence c'est du méga vide, le silence c'est de l'espace intersidéral inhabité, vide et vidé de toute substance vive, le vide s'installe un jour, faut vraiment avoir l'oreille fine pour entendre là-haut le chant des quarks, celui du départ du boson de Higgs... Même pas ça chez mon dabe, une vie sans un mot, le minimum syndical avec nous s'entend. Avec les autres je sais pas, je pense qu'il a jacté, qu'il a eu des potes, qu'il a parlé, j'espère... avec nous, que dalle. Donc, cet aprèm je vais le voir, naturellement, sans appréhension aucune, il est seul, il regarde "les Chiffres et les Lettres", j'entre, il n'éteint pas la télé - faut pas trop en demander quand même - mais... yes... il baisse le son, je lui parle. Et il me répond.

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Part one : je voulais savoir sa guerre, j'étais resté, en l'absence de mots, avec un sac plein d'histoires inventées par mon frère et moi. Mon père ça avait été G.I. Joe, il ne pouvait pas en être autrement. j'avais un peu entendu parler de sa guerre. On avait trouvé plein de trucs dans le grenier, des indices et des signes tabous, inquiétants et attirants pour des mômes : armes, uniformes, photos diverses d'hommes (presque enfants) soldats, engins blindés noirs et brillants. Cinq années pleines, de 40 à 45, mon dabe : la guerre totale. Alors au bout de cet aprèm, j'ai balancé G.I. Joe à la poubelle et j'ai trouvé - un peu - mon père. C'est pas fini, je reviendrai l'interviewer pour la suite que je veux savoir.

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En novembre 40, il a juste dix-huit ans, il part d'Amou avec 3 potes : Raymond, Louis et Charlot. Le STO se rapproche à grand pas, il n'en est pas question, les quatre pieds nickelés vont se barrer. En bagnole jusqu'à Pau puis le train jusqu'à Marseille, engagement dans l'armée "libre" et un bateau, direction l'Afrique du Nord. Il est dissert, précis, il a envie de parler lui qu'un double AVC a foutu sur le flanc, il veut vivre et parler, j'en reviens pas.

Il me dira en une heure trente avant que ma mère ne vienne nous interrompre en rentrant du jardin pour "le faire goûter". Il me fera un magnifique et émouvant condensé : la formation de la 4ème DMM, il entre au 4ème RSM, sa prise en charge par la suite par "les américains", les débarquements en Corse, Italie, Provence. Monte Cassino : terrifiant, la campagne d'Allemagne, le courage inouï des Tabors. La peur au ventre ravitaillant pendant toutes ces opérations les premières lignes en munitions et carburant. Le retour exactement cinq ans plus tard chez lui en décembre 45. Il me dira un peu de la suite, son engagement dans la gendarmerie, ce bonheur d'être flic en Allemagne, il me dira surtout ce qu'il aurait dû dire à un psy au lieu de nous infliger sa toute vie silencieuse durant : le traumatisme ressenti quand il a dû revenir prendre la suite du petit atelier de cycles familial sur injonction maternelle à la mort de son dabe.

Frustré mon dabe, frustré et silencieux d'avoir eu à réparer des bicyclettes, livrer des bonbonnes de gaz au lieu de s'épanouir dans son bel uniforme de motard-keuf, de batifoler avec sa femme dans les forêts du Schwarzwald au temps de sa belle jeunesse qui se termina en quenouille. Je te comprends mon vieux, mais pourquoi tu l'as pas dit plus tôt ? Tu vois, c'est bon de parler, de se parler...


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