20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas

Publié le 20 avril 2013 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


Ph., G.AdC
[LA VEILLE DE L’ENTERREMENT D’ANDRÉ DU BOUCHET]
LA VEILLE DE L’ENTERREMENT d’André du Bouchet, le 20 avril, Marie, sa fille, m’ayant téléphoné pour me demander si je dirais quelques mots, à cette occasion, je lui avais répondu n’être pas sûr d’en avoir le courage. Puis, le soir même, ayant fait réflexion que si personne ne parlait ― comme je me doutais déjà qu’il n’y aurait pas de véritable cérémonie ―, ce serait encore plus douloureux, j’avais écrit, rapidement, ceci :

« Dans la dernière lettre reçue d’André du Bouchet, datée du 31 mars, ces mots : ‘Arrivé à Truinas dans une merveilleuse tempête de neige…’

Alors me sont revenus ces vers d’Hölderlin dans ‘Mnémosyne’ :

Et la neige comme des muguets de mai qui signifie
Noblesse d’âme, où
Qu’elle soit, brille avec le vert
Des prairies au flanc des Alpes,
Là-bas où s’en va sur la haute route, parlant
De cette croix au bord du chemin plantée
En souvenir des morts,
Un voyageur avec
L’autre. Mais qu’est-ce donc ?

‘Noblesse d’âme’ : mots devenus presque imprononçables : C’est pourtant ce que nous avons tous admiré, aimé, chez André du Bouchet ; comme sa fougue préservée jusqu’aux derniers jours malgré ce qu’il a eu à endurer ; et cette vaillance, elle aussi gardée jusqu’au bout, et que je lui ai toujours enviée.

Aussi bien, chaque fois que nous revenions de Truinas, Anne-Marie et moi, nous nous sentions revigorés, retrempés. Et, si c’était encore de jour, il y avait à droite de la route du retour, après Dieulefit, l’étroite rivière qui brillait en avant de nous comme de la lumière qui nous eût précédés, conduits, ayant fendu par endroits la roche elle-même brillante. Ce sont ces choses-là qui nous ont gardés proches pendant plus de cinquante ans, ce sont ces choses-là qu’il a atteintes dans les mots comme peu d’autres poètes l’ont pu, d’un trait de flèche, l’arc à sa plus vive tension.

Paroles incandescentes.

Ne plus les entendre, je veux dire oralement prononcées par lui, va beaucoup nous manquer, à tous.

‘Emporté à Truinas ce 20 avril comme dans une merveilleuse tempête de neige’ : ‘la neige comme des muguets de mai’― ils ne vont plus tarder― ‘qui signifie noblesse d’âme, où qu’elle soit’… ». [...]

Philippe Jaccottet, Truinas, le 21 avril 2001 [incipit], Éditions de La Dogana, Genève, 2004, pp. 7-8-9.


Source



ANDRÉ DU BOUCHET


Source

■ André du Bouchet
sur Terres de femmes

→ 19 avril 2001 | Mort d’André du Bouchet
→ En pleine terre
→ sur la terre immobile

■ Voir | écouter aussi ▼

→ (sur Terres de femmes) Isabelle Baladine Howald, La Douleur du retour (note de lecture)
→ (sur remue.net) Truinas : le 21 avril 2001 (Philippe Jaccottet)
→ (sur le site de Radio Télévision suisse) Présence d’André du Bouchet (Entre les lignes, émission du 14 janvier 2013)

■ Philippe Jaccottet
sur Terres de femmes

→ Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet
→ Accepter ne se peut
→ [Encore des fleurs | Flowers again ?]
→ [Sois tranquille, cela viendra !]
→ Tout à la fin de la nuit
→ Toute fleur qui s'ouvre
→ 3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet
→ Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
→ Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
→ 26 juin | Philippe Jaccottet, L’Ignorant



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