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Max | Assistés ?

Publié le 26 avril 2013 par Aragon

IMG_2735resto.jpgCet aprèm je rentre de Dax, temps de merde. Pluie, froid. Je roule tranquilou. Une forme humaine marche, descendant, à mi-côte de Pomarez direction Amou. Un camion la rase de presque frais, trois voitures aussi, je me rapproche. Je vois mieux.

C'est une femme qui marche avec un gros sac à dos noir lui tombant dans le dos, passé par les épaules, elle fait du "pouce" tout en marchant. Ni une ni deux je freine, je m'arrête, dangereux en presque fin de côte. Je lui fais signe de se grouiller, elle monte vite. Elle va à Amou. OK c'est bon, moi aussi.

Castelsarrazin, pas un mot, rendu presque à Amou je lui demande où la déposer. Elle me dit que c'est bon à l'entrée du village, elle ira au Resto du Coeur à pied, c'est à la piscine d'Amou, c'est pas loin.

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Là, CHOC ! Mais hyper choc, électrocuté le mec. Mon palpitant s'emballe, ma cervelle transpire. Mes mains et mes pieds deviennent moites. Ma glotte s'assèche. Je ne peux qu'articuler : "Quoi ???? avec une chiée de points d'interrogations ???? Y'a un resto du coeur à Amou ????". La fille me dit que oui d'un ton doux, elle précise, depuis plus de deux ans, car Orthez et Hagetmau étaient saturés, donc ils ont ouvert un centre à Amou.

Je suis scié mais je ne lui montre pas. Scié et plus que ça même. J'habite Amou, j'y suis né, en suis parti puis revenu, je connais la moindre écorce sur le moindre platane de la place de la Técouère, le moindre chien ou chat du village, les gens bien sûr, je sais tout d'eux enfin presque, le rhume du petit dernier et le grand-pépé qu'on a enterré lundi et je ne savais pas qu'il y avait un resto du coeur à Amou ! Ben merde alors !

Elle me dira un peu de sa vie avec pudeur et une très grande délicatesse, s'exprime très bien sans pathos, sans émotion appuyée, elle me dit, tout simplement, un peu, quand je la questionne en la ramenant chez elle car je vais la ramener chez elle.

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Je lui ai dit que je pouvais la déposer devant le local du "resto" et que si elle voulait je pouvais l'attendre et la ramener, que j'ai rien de spécial à faire cet aprèm, donc, à elle de choisir. Me dit d'abord non, puis me dit un "oui" franc car elle pourra en profiter alors pour ramener des boîtes et plus de lait. Elle habite Caupenne, le trou du cul de la Chalosse, venir à Amou en stop, mais comment fait-elle ? Par Pomarez y'a plus de 20 bornes. Elle aime pas trop, a déjà eu la trouille, y'a des tarés, elle en a vus. Peut pas faire autrement. Pas de transports en commun bien sûr, voiture en panne et pas moyen de la réparer.

Elle s'appelle Elisabeth, a trente-sept ans et cinq enfants de seize ans à quatre ans et demi. Son mari était "chef" dans une tuilerie industrielle locale, bon boulot, ça allait bien. Puis la galère, il se pète le dos, ne peut plus bosser. Ils ont donc cinq enfants "c'est un choix" à part le choix de la gemmellité des deux derniers. Quatre ans et demi, des féroces dit-elle en riant, un matin ils ont foutu le feu aux rideaux pour "voir". Grosse frayeur... Bref, ça rigole, ça s'amuse avec les mômes à part son conjoint qui est un peu dépressif depuis son accident, sa perte d'emploi, qui picole quand il a un peu de blé...

Elisabeth, je la sens courageuse, tenace, coriace, volontaire, pas une chiffe molle, mais la vie est dure, elle enchaîne quand elle peut des petits boulots, toujours très durs à la campagne et je pourrais faire un post là-dessus (abattoirs de canards, usines de plumes, conserveries, etc.) Sa mère l'a virée de la baraque à quinze ans, elle a zoné dans Grenoble sa ville natale et à Lyon, a vécu sous les ponts, connu mille vies effroyables quand on est fille et SDF. Elle me dit tout ça sans trembler, sa voix est claire. Puis elle a rencontré son compagnon, ils ont eu envie de s'en sortir, de construire quelque chose. Direction le Sud-Ouest, la chance leur sourit, boulot, enfants, maison, campagne, jardin... Puis l'accident et le dos pété. Puis les mois et le temps. Nuages noirs, pluie, grisaille, brouillard. "Ce temps, c'est mon quotidien" me dit-elle quand je la ramène... Je pense immédiatement alors au "Petit cheval blanc" du poème de Paul Fort, chanté par Brassens...

Assistés les gens ? Beaucoup de donneurs de leçons, de moralisateurs le disent haut et fort. C'est même dans certaines professions de foi politiques : "Ras-le-bol des assistés ! Qu'ils travaillent ces fainéants".

J'invite ces gens-là à venir à Amou charmant petit village de Chalosse, station verte de vacances, je les invite à visiter la piscine intercommunale, également centre des Restos du coeur d'Amou. C'est pas dans le 9.3, c'est à Amou que ça se passe aussi, mais c'est maintenant partout en France : chômage, grande précarité, misère au quotidien. Restos du Coeur...

C'est l'histoire du courage d'une femme debout, d'une femme qui se bat aussi. Elle n'est pas assistée cette fille. Elle marche sur la route pour aller se chercher de quoi manger pour elle et pour sa famille. Elle marche, elle marchera encore m'a-t'elle dit. Elle est debout. Elle lutte.

C'est notre société qui est malade, c'est notre société qui a besoin d'être assistée d'urgence, c'est notre société qui a besoin de changer radicalement, c'est notre société qui marche sur la tête, elle...


Kery James - Banlieusards par snoopbounce2dis


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