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Le baron de Charlus

Publié le 28 avril 2013 par Stella

Le baron de Charlus

Aujourd'hui, dans le métro, j'ai croisé le baron de Charlus. J'étais assise face à lui, sur un strapontin. Dans un premier temps, c'est son visage qui a retenu mon attention. Il me semblait vaguement connu et j'ai cherché dans ma mémoire : qui cet homme me rappelait-il ? M'est revenue alors une image depuis longtemps oubliée, celle de Monsieur H., ce directeur d'école - dont l'un des fils est aujourd'hui très connu dans le monde politique - avec lequel mes parents ont travaillé, à Ivry sur Seine. A l'époque, nous le trouvions fat et maniéré, confinant presque au ridicule. Pourtant, c'était probablement un homme simple et bon et pendant de nombreuses années, il nous a conservés dans son souvenir. Je lui envoyais mes voeux, chaque année, jusqu'à ce qu'il ne me réponde plus...

L'homme dans le métro avait les mêmes traits plutôt ronds, la lèvre charnue quoique un peu pincée. Ses yeux vifs, sous des paupières légèrement tombantes, posaient sur les gens et les choses un regard presque surpris. Une affiche, aperçue à travers la vitre du train, retint un instant son attention. Elle vantait un site de rencontres extraconjugales et s'affirmait "créé par des femmes". Une lueur amusée traversa son visage, et il sembla réprimer une pensée inconvenante.

Je regardais ses mains soignées, aux ongles blancs manucurés, qui serraient entre ses jambes un parapluie noir à manche recourbé, soigneusement replié. Je me mis à penser à l'oncle Pavel O., ce vieil aristocrate russe, dont le père était officier dans l'armée du tsar Nicolas II. C'est en partie à cause - ou grâce - à lui que j'ai fait les Langues orientales, comme pour accéder à sa culture et à son charme, pourtant inimitable. Aujourd'hui, il possède toujours, malgré son âge, beaucoup de distinction et un chic incomparable.

L'homme devant moi était un mélange de ces deux personnages. Tout en lui était net et de bon goût. Son pantalon, bien coupé, avait une couleur qui rappelait subtilement sa veste de drap épais, vert avocat. Chemise à fines rayures, cravate parfaitement nouée, tout respirait le soin de soi.

Lorsqu'il s'est levé pour sortir, m'est revenu alors le souvenir du baron de Charlus, si magnifiquement né sous la plume de Marcel Proust. Oui, décidément, c'est lui qui se tenait là devant moi. Légèrement déhanché, mais sans ostentatoire. Un homme du monde, sachant vivre, amateur de vins fins, de cigares de Cuba et s'encanaillant parfois à suivre du regard de jeunes garçons.

Si j'étais romancière, je créerais un monsieur Ho qui lui ressemblerait.


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