La sentinelle de l’oubli

Publié le 30 avril 2013 par Fbaillot

Lors de la cérémonie en hommage aux déportés, le 28 avril 2013, Michel Carlier, au nom des anciens combattants de Templemars a lu la déclaration que je vous propose ci-dessous.

Germaine Tilly, résistante armée, déportée à Ravensbrück, infatigable témoin de la déportation, habitante de Ramegnies-Chin, décédée en 2012

Léon Boutbien, résistant français déporté au camp du Struthof, a écrit : “Ceux qui admirent la beauté de ce sommet ne pourront pas croire que cette montagne est maudite parce qu’elle a abrité l’enfer des hommes.”

KONZENTRATIONSLAGER, c’est ce qu’ils pouvaient lire sur le fronton. Premier regard sur une autre planète.

Qu’ils soient : politique, droit commun, résistant,

Qu’ils soient : juif, tzigane,

Qu’ils soient raflés, requis pour les camps de travail en Prusse orientale,

Ils ont tous été le jeu d’une hiérarchie incompréhensible.

Pour eux, le décor était planté : réveil à la trique, travail en carrière, à l’usine ou dans les ateliers souterrains, quand ils n’étaient pas victimes de la “solution finale”.

Pour leurs surveillants, ces étranges ouvriers ne sont pas sûrs. Ils rassemblent, fouillent, comptent et recomptent. A la fin de sa journée, le déporté retrouve alors l’obsession qui dirige sa vie et ses rêves. Se nourrir coûte que coûte et enfin s’étendre pour la nuit n’importe où, avec l’espoir de trouver dans le sommeil un moment de répit.

Ils nous ont laissé des notes sur des morceaux de papier, de carton, de tissu ou d’écorce pour se souvenir. Ils ont dessiné pour les autres, pour que nous sachions, pour ne pas oublier, ou tout simplement pour continuer à exercer leur mémoire.

On peut lire : que telle usine chimique achetait des lots de déportés pour essais, que l’on tuait un homme avec une seringue contenant 20cc de benzène. Une de ces notes retient mon attention : “Je m’appelle Arnaud Unger, c’est ma deuxième année à Dachau”, comme pour nous inviter à ne pas l’oublier ! Il en est de même pour les camps d’Auschwitz, Birkenau, Bergen Belsen, Buchenwald, Mathausen, Ravensbrück, sans oublier les deux camps d’extermination de Sodibor et Treblinka qui à eux seuls enregistrent le chiffre effarant d’un million cent cinquante mille morts.

Nous aurons également une pensées pour les déportées de ce camps de Ravensbrück, et de son satellite, le camp d’Uckermarck. Le premier train venant de France pour ce camp est parti de Lille, rempli de jeunes femmes âgées de 19 à 22 ans. Le deuxième de la prison de la Santé à Paris. Les dix trains qui suivirent déversèrent leur cargaison de jeunes filles et de femmes de vingt nationalités venues de toute l’Europe.

Pour rendre hommage à toutes ces femmes, rappelons que Brigitte Friang, Geneviève De Gaulle, Jacqueline Perry (numéro 35243) et Gilberte Tilly décédée le 26 août dernier, ont séjourné dans ce camp.  fut libérée par la Croix Rouge internationale. Le camp avait été abondonné, il restait près de 1200 femmes, la plupart d’entre elles étaient squelettiques et tenaient à peine sur leurs jambes. Elle témoignera sa vie durant, parce qu’elle ne pouvait oublier cette jeune femme qui lui a crié du camion qui l’emmenait à la chambre à gaz : “Dites-le au monde entier !”, c’est ce qu’elle fit.

Et c’est pourquoi nous sommes présents aujourd’hui : continuer de le dire. Que la jeunesse sache jusqu’où la barbarie peut conduire les hommes.

Souvenons-nous aussi de Charles Jeanin qui repose depuis le 6 mars 2013 au cimetière de Vénissieux,membre du réseau de résistance lyonnais. Il effectue des missions de sabotage et de stockage d’armes. Il est arrêté par la police française alors qu’il transportait des révolvers, remis à l’armée allemande qui, comme pour s’en débarrasser, l’enverra par le premier train en partance pour Dachau. Il en sortira en avril 1945, il pèse alors à peine 35 kilos. Une de ses phrase favorites, de Shakespeare : “La mémoire est la sentinelle de l’oubli”. Lui aussi témoignera toute sa vie.

Reposez tous en paix

Le minimum que nous devons nous imposer est de ne pas vous oublier. Ceux qui voudront le faire trouveront toujours les moyens de maintenir votre présence dans la mémoire collective.

Ceux qui ne voudront pas trouveront des excuses.

Michel Carlier