Je lui parle en français, elle me répond en anglais. Violence. Ca a toujours été ainsi. Ma fille se refuse à parler ma langue. Si elle en comprend les moindres nuances, elle me répond immanquablement avec les mots de son père. Les oreilles extérieures s’étonnent toujours de notre dialogue trébuchant. Cette discussion où il n’y a pas de terrain d’entente. Nous ne disposons pas des mêmes armes et nous les entrecroisons pour détricoter chaque jour davantage le lien qui nous unit. Ses voyelles légères explosent, bubble gum, contre mes consonnes françaises qui voudraient les ramener sur terre. Je suis exilée de ma propre fille.
Ironie du sort : j’enseigne les langues étrangères. Sept à mon actif. Je les chéris chacune comme les doux souvenirs charnels de terres qui m’ont, chacune, un temps, accueillie et nourrie. Avons-nous une seule fois gazouillé ensemble avec Célia ? J’en doute, entre nous règne la discordance. Peut-être aurais-je dû crier à tue-tête, mêler ma rage nue à la sienne, au lieu de lui tendre mon sein alors qu’elle était bébé ? Impuissante et muette. Encore incapable de m’enfoncer ses mots poignards, barbares, dans le dos.
Elle a bien failli avoir ma peau. La chair de ma chair ne m’a laissée que mes os. Séjour à l’hôpital, il faut manger madame. J’en oublie mes besoins premiers. Comme une enfant qui refuse de se laisser embrasser par un parent. C’est de mauvais ton. Répète après moi. Non, elle ne veut pas. Elle tire son arc, le bande et me lance de nouveau an English word. Je m’en fous, je m’en suis remise. Je me vengerai avec ma petite-fille. Un jour ou l’autre, il faut rendre des contes.