Les Choctaw et le Rwanda

Publié le 08 mai 2013 par Fbaillot

A chaque manifestation commémorative au monument aux morts, Michel Carlier, au nom des anciens combattants, fait une intervention pleine de vie, de petites et de grandes histoires, qui rendent aux souffrances des guerres leur dimension palpable. Je lui prête volontiers cette modeste tribune, avant de moi-même compléter son propos.

Quelques représentants de la tribu des Choctaws durant la deuxième guerre mondiale

Le 25 janvier dernier, le Journal OUEST-FRANCE BASSE NORMANDIE dans son édition de SAINT-LO relayé par l’Association Normandie 44 sur internet, fait mention du décès d’un des derniers vétérans du D-DAY (le jour le plus long). En dehors des cinq lignes, et nous pouvons remercier ce journaliste local ainsi que les membres de cette association, aucune autre info. Rien dans les médias, aucun message de sympathie  a aucun des différents échelons de notre pays. Le vieux vétéran n’intéresse plus grand monde. Par le biais du net l’info fera finalement le tour des différents sites concernés selon le bon vouloir de chacun.

A travers cet homme, je voudrais rendre hommage à toutes les femmes et à tous les hommes français et étrangers qui ont, à un moment de leur vie, répondu présent.

Blessés  dans leur chair allant jusqu’au sacrifice suprême pour défendre la terre de France.

Je voudrais m’adresser particulièrement aux plus jeunes,  d’abord pour les remercier de leur présence, ils ont toute ma sympathie.

Sa vie, aurait pu être un roman, c’est malheureusement une histoire vraie : MAI 44 : ils sont 13.000 jeunes hommes en formation sur le sol anglais, à leurs côtés 177 Français forment le commando KIEFFER.

Leur destination : la France. Leur point de chute : ils l’ignorent .

Ils ont un point commun : ils seront aéroportés.

Ce 5 juin 1944, il est 22 heures 15 quand les pathfinders (éclaireurs) à bord des fameux C47 DAKOTA décollent, précédant ainsi les 1432 appareils engagés pour ce qui sera le jour le plus long.

Lorsqu’il passe la porte du DC3 à 600 pieds (182ms) son casque cache son crâne rasé ; il lui reste seulement une bande de cheveux d’à peine 1 cm d’épaisseur allant, du devant du front jusqu’à sa nuque (à la façon des tribus MOHAWK). Son visage est peint des mêmes motifs que ceux du clan de sa maman : les CHOCTAW. – 4 traits sur le front de couleur rouge – 2 croissants blancs sur le devant des joues – un cercle rouge sur chaque joue – un trait rouge partant de la lèvre inférieure jusque sous le menton.

Sa maman de sang indien, ne pouvait, avant son départ pour l’Europe, que lui recommander la prudence. Il ne le sait pas, mais c’est la dernière fois qu’il la serre dans ses bras.

Il appartient à la 101 AIRBORNE, c’est la première division paras venue des airs à poser les pieds sur le sol Français. Il sera de la première opération sur la DOUVE et le MERDERET aux alentours de CHERBOURG.

En aval de la DOUVE son commando fera sauter les ponts, conservant le pont principal avec 12 hommes pendant 3 jours, face à l’ennemi attendant les renforts terrestres.

Bienvenue en France soldat !!

Lorsque la ville de CARENTAN en BASSE-NORMANDIE est libérée, il est présent en tête avec son commando. On le retrouve quelques semaines plus tard, pour des missions de sabotage, derrière les lignes ennemies, accompagné de ses aigles hurleurs, surnom donné à ses hommes.

Le 17 septembre 44, il sera du « stick » largué au- dessus des PAYS-BAS. C’est son deuxième saut de combat en EUROPE : 3 ponts sont repris, 3 ponts seront déminés, c’est sa spécialité !

Nous sommes près d’EINDHOVEN et c’est l’opération MARKET GARDEN.

En octobre, il sera du groupe de combat envoyé pour exfiltrer 60 paras britanniques pris au piège et en très mauvaise posture : il leur sauve la vie.

En décembre, suspendu à sa coupole, il vient d’être largué pour la troisième fois sur BASTOGNE.

Le vendredi 13 février 45 (çà ne s’invente pas) quatrième saut de combat à PRUM en Allemagne, encore « pathfinders » (éclaireur). Objectif : baliser une zone de saut de 2 km en vue d’un largage de matériel : de soins, d’équipements, de nourriture, de munitions. En tout, 440 tonnes, de quoi approvisionner une division.

En avril 1945, il est du commando désigné pour la prise QG du général GORING. Il terminera sa progression par la prise du nid d’aigle du FÜHRER. Son commando ramènera intacts, les tableaux et œuvres d‘art volés, à leurs propriétaires.

Après un séjour en AUTRICHE, non loin du camp de BERGEN BELSEN qui vient d’être libéré par les anglais, il revient en France et sera stationné près d’AUXERRE.

Le 20 décembre 1945, paquetage sur le dos, mission accomplie, il embarque au HAVRE, le para de la 101 rentre à la maison.

Seuls, près de 2000 paras embarquent sans problème ; 7976 sont ou ont été blessés, il en manque 1193 à l’appel (disparus pendant les 18 mois de combats) et 2043 reposent toujours en terre de France, celle pour laquelle ils ont donné leur vie.

Il apprendra à son retour dans son OCKLAOMA natale que sa maman est décédée pendant son « baroud » en Europe.

Pour l’anecdote, il touchera la prime de 50 dollars x 4 sauts de guerre en plus de sa solde.

Il dira plus tard : « il en fallait…..pour ne pas sombrer dans la folie ».

« J’ai sauté le 6 juin à l’aube sur la France, et j’ai pris mon premier bain 33 jours après » disait-il ponctué d’un franc éclat de rire, et d’ajouter « il fallait être un peu déjanté…. ».

Ce 21 janvier, les anciens de la 101 annoncent « Jack est au plus mal, il est 9 heures 15, le sergent James Jack MAC NIECE s’en est allé ».

A ses obsèques un coussin est porté devant son cercueil : outre les nombreuses décorations dont une remise en personne par le Président des ETATS-UNIS, 7 décorations retiennent l’attention. Six BRONZE STAR rangées l’une à côté de l’autre (4ème plus haute distinction américaine) ; il est nommé 6 fois en EUROPE, il l’a recevra 6 fois pour : mérite, bravoure, héroïsme et fait d’armes pour les 4 premières, les deux suivantes portent épinglées sur leur ruban une pointe de lance bronze : motif : fait d’armes lors de missions de parachutages et de combats d’assauts. La 7ème placée en haut du coussin prénommée chez nous la rouge.

L’Américain au sang mêlé descendant par sa mère de la tribu des CHOCTAW, le Sergent James Jack MAC NIECE était Chevalier de la Légion d’Honneur plus haute distinction française ô combien 100 fois méritée.

Merci Monsieur,

Vos amis les MARINE’S auront lancé SEMPER FE SERGENT (semper fidelis : toujours fidèle), les légionnaires français du 2 ETRANGERS PARACHUTISTES  leur MORE MAJOREM (à l’exemple de nos anciens), et ceux du premier RPIMA de BAYONNE , dont les aînés vous ont certainement côtoyé, sergent, en mai 44 à l’entraînement, n’auront pas manqué de vous adresser leur WHO DARES WINS (qui ose gagne : devise des camps d’entraînement des SAS dont vous faisiez parti).

Respect sergent parachutiste MAC NIECE, et merci. Nous non plus, nous ne vous oublierons pas !

Je profite de cette tribune pour rendre hommage au Caporal-chef Stéphane Duval tombé en opération au Mali en ce début du mois de mai 2013, lors de sa neuvième OPEX au service de la France. Il appartenait au Premier RPIMA de BAYONNE, il avait trente deux ans. A son épouse et à ses deux enfants j'adresse mes plus sincères condoléances, de tout cœur à vos côtés.

Michel CARLIER

J'ai complété brièvement le propos de Michel Carlier de cette manière :

Régulièrement, devant ce monument aux morts, nous évoquons le « devoir de mémoire ». Il y a quelques jours, nous étions rassemblés ici même pour rendre hommage aux victimes de la déportation. Le 8 juin, nous rendrons hommage aux morts pour la France en Indochine, le 18 juin, nous rappellerons l’appel du général de Gaulle à Londres. Le 14 juillet nous célèbrerons notre fête nationale, le 11 novembre, nous commémorerons l’armistice de 1918.

Cette liste pourrait paraître fastidieuse, et encore, elle est loin d’être complète.

 Celle ou celui qui avait 18 ans le 8 mai 1945 a aujourd’hui 86 ans. Ils sont de moins en moins nombreux les témoins directs de cette époque, et les derniers poilus de la première guerre mondiale ont disparu. Il faut bien entendu écouter ce que nous disent ces témoins, mais il faut surtout que nous soyons capables de prolonger sans eux le message qu’ils nous délivrent.

 Notre pays s’est forgé à travers ces conflits, et l’histoire nous rappelle chaque jour combien il est nécessaire de conserver la vigilance pour que de telles horreurs ne se reproduisent pas.

Le mot « génocide » est né en 1944. Il a été créé pour pouvoir rendre compte des crimes perpétrés par les nazis à l’encontre des juifs, des slaves, des tziganes durant la seconde guerre mondiale.

Depuis, le Rwanda, l’ex-Yougoslavie, le Cambodge, le Soudan, la Roumanie, l’Irak et sans doute la Syrie ont vu se répéter des massacres de masse, et la liste n’est pas exhaustive.

 Chacun de nous aspire à vivre en paix, dans notre pays, et partout dans le monde.  Pourtant il n’y a pas une année où quelque part sur la planète les circonstances, mais aussi des individus ne conduisent de sinistres plans pour supprimer de la carte telle ethnie, telle minorité, telle population supposée aller à l’encontre d’intérêts, de projets qu’elle ne partage pas.

 Nous devons nous interroger les uns et les autres sur les raisons qui font que la mémoire ne suffit pas pour éviter que ne se reproduisent les pires catastrophes. Et sur notre continent, ravagé au XXe siècle par deux conflits mondiaux, la perspective de revenir à de telles horreurs n’a pas suffi à les éviter, en Bosnie et en Serbie notamment.

 A notre niveau, nous nous devons d’entretenir les consciences et les mémoires, donner de la chair et de la réalité à des événements qui perdent de la substance au fur et à mesure que le temps défile. Nos aînés ont souffert, se sont battus, nous ont demandé de faire en sorte que ces tragédies ne puissent revenir.

 Ecoutons-les, aujourd’hui et demain.