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27 - Tel est pris...

Publié le 19 avril 2008 par Basile

Sans doute pour éviter d'attirer des regards inutiles d'autres convives, le grand Russe reprit son pistolet, qu'il logea dans un petit étui en cuir le long de sa ceinture. Même sans parler, sa seule présence en imposait: ses trois interlocuteurs, figés, semblaient attendre le moment où il déciderait de parler ou d'agir. Avec l'attitude d'un homme qui maîtrise son propre destin, Vladimir s'installa confortablement sur la banquette sur laquelle Steve était lui-même assis: il faisait désormais face à la mère de sa fille, qu'il n'avait pas revu depuis plus de vingt ans. L'espace d'un instant, quelqu'un d'averti aurait pu déceler une pointe de tendresse dans les yeux de Vladimir, mais celui-ci ne sembla pas vouloir laisser de place plus longtemps à une quelconque émotion. Il commença ses explications en se tournant vers son voisin:
-"Mon garçon, tu ne sais pas qui je suis mais une chose est certaine: je sais beaucoup plus de choses sur ton compte que tu ne pourrais le penser. Le principal lien qui nous unit est que j'ai servi sous les ordres de ton père adoptif, John Keller...Ce même John Keller qui, ce soir, vous a convoqué toi et Suelen à 21h à l'église St Pierre d'Alésia à deux pas d'ici. Je sais cela de source sûre."
Steve et Suelen se regardèrent subrepticement : ainsi donc, le mystérieux message venait de John…et ne semblait rien augurer de bon, s’ils en croyaient l’air grave du Russe. Aucun des deux ne pouvaient se douter que Sally avait aussi reçu cette instruction. De son côté, Paul semblait s’être effacé et se contentait d’observer ses compagnons.
-"Les merguez-frites ?... ", demanda le serveur d’une vois affable. Gêné, Paul leva la main mais il n’avait plus aucune envie de se remplir la panse suite à l’arrivée de Vladimir. Ce dernier, ignorant l’interruption du larbin en chemise blanche, reprit d’ailleurs la parole : "Il faut que vous me fassiez confiance à partir de maintenant. Vous connaissez sans doute mes activités mais en l’occurrence elles m’ont permis de vous retrouvez tous et d’anticiper ce qui va probablement se passer ce soir. John ne vous a pas fait venir pour faire une partie de poker en fumant des cigares : il a tenté de tuer Sally…., Простите извините…, et ce rat va continuer ! " La rage se lisait dans les yeux du Russe, et la cicatrice qui barrait sa bouche le rendait encore plus menaçant. "Vous êtes en danger si vous restez seuls dans le coin. Je suis venu ici pour m'occuper de cette affaire, mais vous devez m'écouter et partir. Comme on dit chez nous, Волков бояться в лес не ходить - Qui a peur du loup ne va pas dans la forêt! Mais toi Steve, tu dois venir avec moi." Sans chercher à contester, ce dernier acquiesça doucement, comme si l'ordre de Vladimir lui était naturel.
Le colosse blond se leva: de la poche intérieure de son costume il sortit un billet de 100 euros qu'il jeta négligeamment sur la table, réglant ainsi largement le repas. D'un signe de tête il engagea tout le monde à sortir. Dehors, l'air était tiède et agréable, la nuit commençait à tomber; le grand Russe marcha quelques temps sur le trottoir, la petite troupe à sa suite puis s'arrêta: "Ne traînez pas ici. Steve m'accompagne...l'heure approche..." N'obtenant pas de réponse, il se retourna: seuls Paul et Suelen l'entouraient. Il était 20h21.
Rarement dans sa vie Steve s'était senti aussi sûre d'une décision: ce piège à con puait la merde, et il avait été à deux doigts de s'y jeter tête baissée. Il y a quelques minutes de cela, en sortant du Zeyer, il avait reconnu le poulet au physique de charcutier qui avait tenté de l'enlever le matin même...impossible de se tromper sur cette face rougeaude qui semblait faire le guet près d'une camionnette. Ce gros lard ne l'avait pas vu, mais cela lui avait suffit: il fallait qu'il la joue solo à présent, il le sentait! Trop de coïncidences apparaissaient: Vladimir, John, les caractères russes...et puis cette vison de Sally quelques temps plus tôt dans cette décapotable noire! Il était persuadé qu'elle ne pouvait être loin, mais il lui fallait désormais jouer serré pour la retrouver sans se foutre dans un nouveau pétrin. Il continua à marcher tout en réfléchissant à la marche à suivre puis s'arrêta: Paul...il semblait tellement au courant de plusieurs choses...De plus en plus de doutes le tiraillaient à son sujet, et pour la 1ère fois de sa vie Steve n'avait plus autant confiance en son pote de toujours. Son cerveau fonctionnait à tout allure et un nouveau flash le saisit: ses parents...ses vrais parents...là était la clé de cet imbroglio infernal! Son père adoptif était lié à leur disparition, c'était une certitude désormais...Pourquoi avait-il tant de mal à se rappeler de certaines choses passées? Qui était-il lui?! Et pourquoi avait-il la nette sensation de connaître Vladimir??
Il était exactement 20h44 lorsque l'homme en costume de velours bleu fut accosté par un gamin d'une dizaine d'années. Le gosse avait dans les mains une enveloppe qu'il tendit à son interlocuteur. Il disparut sans dire un mot.
A quelques centaines de mètres de là, une Peugeot noire était garée. A l'intérieur, l'unique personne présente ne bougeait pas. Les chiffres bleus de l'horloge indiquaient 20h45.

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