« La saison de prunes », le cinquième et nouvel opuscule du romancier camerounais Patrice Nganang, publié aux Editions Philippe Rey, sera sans doute une énigme pour les non-initiés au "parler camerounais". En effet, au Cameroun, les prunes sont aux antipodes de ce qu’elles désignent en réalité. Il s’agit ici du fruit du safoutier, donc du safou, dénommé au Cameroun « prune » par abus de langage. En parcourant le reste de ce pavé dans la mare de plus de 400 pages, dès la première ligne, on s’accroche au papier comme une sangsue, pour atteindre la dernière ligne, tellement, le texte est relevé…
Ce roman est une plongée dans le Cameroun profond, qui devient par la force des choses, la France coloniale, la France en guerre, la France…, enfin, qui a besoin des noirs pour relever la tête face à l’Allemagne nazie. Dans les sentes de la forêt vierge, les rails ou les pistes poussiéreuses de Yaoundé, ou le sable du désert, le film se déroule avec un rythme effréné. Au-delà du conte épique tissé sur un triptyque audacieux et astucieux, entre Edéa, Ongola (Yaoundé) ou le Fezzan en Libye, on assiste à l’aventure invraisemblable de personnages historiques, ici, comme Ruben Um Nyobè, entre autres, inconnus, là, comme Hegba, qui voguent dans une univers presque désagréable, irréel même, alors qu’ils sont "chez eux" – comme on dit au Cameroun-, c’est à dire, sur la terre de leurs ancêtres…
Dans ce roman de 445 pages, fait de coup de théâtre, des rêves enfouis qui resurgissent, les refoulés qui deviennent réalité, de folies douces, c’est aussi le portrait d’une Afrique qui est restée inerte, incapable de se relever, soumise, et qui ne voit pas encore le bout du tunnel par manque de volonté… politique. Ah, l’auteur ne peux pas s’en passer de politique. Il le consent, l’assume. Une tragi-comédie de 4 ans (1940-1944), où s’entremêlent comme des cheveux dans un peigne, la mort, le sexe, le viol, la violence, et le tout, dans une ambiance aussi exécrable que pathétique dont Patrice Nganang a le secret avec une maestria phénoménale, avec sa plume qu’il manie savamment.
Derrière la tragédie de ces hommes, M’bangue l’illuminé, le tirailleur sénégalais…bassa, le « poète de la réalité », le bûcheron-boxeur Hegba surnommé « La Hache », ou encore Pouka le père du cénacle des poètes en herbe sans oublier ces femmes charismatiques que sont Ngo Bikaï, Mininga, la Sita (Mère du marché) et les autres, il y a derrière chaque drame de cette saga, une once d’humour. "La saison des prunes" vous arrache un sourire, que dis-je, un fou rire, parfois, ou vous plonge dans les méandres de l’horreur, aussi, d’où cette envie de lire d’une traite cet ouvrage de haute voltige. Tenez, ce proverbe improbable, pépite trouvée dans le roman: "Le macabo se mange cuit". Oui, lorsque vous terminez la première phrase, incroyablement, vous avez cette attirance qui vous traîne et entraîne jusqu’à la fin, sans que vous vous en rendiez même compte, on constatant que vous avez dévoré 445 pages…
Un roman vivement conseillé donc, pour se plonger dans l’histoire de la Deuxième guerre mondiale vue du côté africain, ici, camerounais…
Nous avons rencontré le romancier qui était de passage à Paris. L’interview se déroule dans un pub des Champs-Elysées, d’où un petit problème de son. Nous nous en excusons…
Patrice Nganang
Patrice Nganang est un écrivain camerounais. Docteur en littérature comparée (Johann Wolfgang Goethe University – Francfort) et professeur de littérature à la Stone Brook University de New York. Avec son second roman intitulé Temps de chien, il a reçu le Prix Marguerite Yourcenar (2002) et le Grand Prix de Littérature de l’Afrique Noire (2003). En 2011, avec Mont Plaisant, il reçoit le Prix des cinq continents de la Francophonie, Mention spéciale du jury.