Magazine

La Bigorne, quand les concarnois allaient guincher

Publié le 10 mai 2013 par Anh2

Petite disgression printanière à propos d'un nom que portait un navire bien connu à une époque, où tanguer à l'entrepont était le but recherché, où en ressortir cornu devait être un risque. Mais d'abord le terme de Bigorne est emprunté au latin bicornis, « qui a deux cornes ». C'est une sorte d'enclume dont chaque extrémité est en pointe qui sert à tourner en rond ou arrondir les grosses pièces. (Littré). En terme de marine: Coin de fer pour couper les clous qu'on trouve dans les joints quand on calfate.

la-bigorne

Et voici donc l'histoire d'un navire, celui Loulou La Bigorne qui fit les beaux jours des soirées concarnoises, racontée par Jean-Michel Robert. Quand le Cabelllou devient la Bigorne:

le cabellou

Le Cabellou CC 2638 ici le jour de la fête de la mer en 1949 

Dans les années 1960 le vieux chalutier de 18 mètres Cabellou aurait déjà dû depuis longtemps disparaître après avoir tant d’années navigué au chalut à la sardine et même au thon. Construit en 1939 pour Jean Marie Sellin il est réquisitionné dès 1940 par les Allemands pour devenir dragueur de mines à Lorient, Jean Marie Sellin ne sera pas embarqué à bord il est réformé à la suite d’un accident qui lui  avait valu de perdre deux doigts  lors d’un embarquement précédent. 

presse

La presse du O9 Mai 1960

presse2

La vieille coque est déjà la proie des démolisseurs, l’Entreprise Thépot a déposé le moteur et enlevé toute la ferraille qui peut être vendue.

Et voila, Loulou est arrivé tel zorro !

Sur une idée originale d’un « Original » Louis Le Mouëllic dit Loulou  la vieille coque en bois sera amenée dans un endroit accessible aux visiteurs et il en fera un dancing ou tout au moins un bar sur mer. Et la presse va titrer

«  La saison touristique se prépare … ! »

Jeudi 12 Mai 1960-18h00 par coefficient de marée 106, remorqué par la Jeanne-Yvonne  de Jean Le grand, le Cabellou est déplacé de l’arrière port vers l’anse de St Laurent, très haut pratiquement à toucher le petit pont de pierre qui permet de passer sur la rive de La Forêt-Fouesnant. Il portera désormais le nom de : LA  BIGORNE.

anse st laurent

Le Cabellou arrive dans le St Laurent. Une autre vieille coque celle du dundee Anna Pierre l’attend mais sur la rive droite de l’anse.

Sommairement aménagé ce lieu va devenir bien vite le centre de nombreuses festivités; c’est le rendez-vous à la mode, vont y venir Johnny, Carlos, Sylvie Vartan  Dutronc  etc… et toute la jeunesse Concarnoise.

C’était un peu folklo ! aux marées de 90 le plancher de la piste de danse est sous l’eau il faut évacuer, mais on y allait «pour l’ambiance la musique branchée et surtout Loulou le Patron ».

Donc quand la marée montait le Capitaine faisait évacuer les femmes et les bouteilles en premier, et, tout ce beau monde se trouvait sur la route au milieu de dizaines de voitures stationnées en vrac des deux côtes de la chaussée, le risque d’accident était maximum. La fête se poursuivait la plupart du temps les mocassins dans la vase.

Mais service service l’Administration va sonner la charge, le Tribunal Administratif de Rennes ordonne rapidement le retrait de l’objet du litige (dixit l’arrêté).

Il est vrai que Loulou avec sa verve habituelle avait  tout simplement oublié !! que l’on était sur le domaine maritime et que certaines autorisations étaient quand même nécessaires. 

presse3

Il faut déplacer le bateau lui donner une assise stable et éviter que l’eau n’envahisse le parquet de la piste.

Le 20 janvier 1961, remplis de fûts vides à la faveur de la grande marée, remorqué par le Roi de Coeur d’Alexandre Le Lay et avec le concours des ouvriers du chantier Lancien, le convoi quitte l’anse du St Laurent et revient au mouillage dans l’arrière port.

C’est bon affirme Loulou, dès le 15 mars le vieux chalutier reprend la route inverse et vient s’installer toujours dans l’anse du St Laurent mais cette fois sur une partie du rivage hors du domaine maritime enfin un peu ! sur une parcelle privée et toujours sur la rive gauche. La situation est encore contestée, mais cette fois entourée d’une dalle de béton et aussi toujours à la limite … de toute législation la fête  va reprendre de plus belle et le bateau restera dans cette position jusqu’à sa fermeture. 

la bigorne

On a même installé un escalier et une passerelle  un peu rudimentaires et grand luxe une bouée couronne placée à l’entrée du bateau des fois que l’on tombe dans la vase !!

la bigorne2

Début 1972, nouvelle transformation: la partie centrale est ouverte et couverte on augmente la surface, on améliore le confort intérieur si on peu dire. Une passerelle a été installée coté extérieur depuis la rive pour servir d’accès et de sortie de secours, la coque a été ouverte, le vieux Cabellou n’a plus rien d’un bateau. (photos JMR 1980)

la bigorne3

Encore quelques années, de nouveaux dancings se sont ouverts, plus modernes, plus accessibles et Loulou va se consacrer à une nouvelle activité la pêche au gros. A partir de 1984 commence le déclin et ce sera bientôt la fermeture de ce qui a été l’un des  dancings les plus connus dans la région.

En 1990 le bateau est pratiquement laissé à l’abandon, puis Loulou  nous quitte et ce ne sera que polémiques sur les dispositions à prendre. Ses héritiers vont se heurter une nouvelle fois à l’administration, il fallait faire disparaître du paysage les restes du bateau et ceux de la dalle de béton.

Finalement après bien des démarches et mêmes des décisions de justice ce sont les services techniques de la ville de Concarneau qui se chargeront de détruire et éliminer ce qui restait de ce qui fut un des hauts lieux  des nuits concarnoises. La ville en supportera les frais. Aujourd’hui  c’est l’amorce du chemin côtier qui passe sur les décombres. Loulou la Bigorne  avait marqué son temps.

 (à suivre "la Bigorne  II")

Les nuits étaient chaudes à Saint-Laurent. Au milieu des années 1960, parut dans Le Télégramme une annonce publicitaire énigmatique : "Cherche embout perdu à La Bigorne. S'adresser à ....". Inutile de dire que les ricanements graveleux fusaient sur toute la côte qui faisait des gorges chaudes à propos des différents scénarios possibles de l'incident et sur l'identité de la victime.


Retour à La Une de Logo Paperblog