Doré aux œufs du dépanneur chez Matie
Saupoudré de sucre de noix de coco acheté chez Winner
Agrémenté de noix grillées au beurre,
Et de fraises qui commencent à goûter le frigidaire
Enduit d’un coulis du sirop d’érable de la cabane à sucre des Pierres,
Accompagné de six tranches de bacon maple leaf acheté chez Bérangère
Voici mon déjeuner du dimanche du terroir
Sur songza, t’as mis la playlist de Mozart
T’épluches le cahier perspectives du Devoir
Tu m’as cédé le cahier livre et le cahier plaisir parce qu’il parle de jardins
Après la lecture de trois critiques qui ne disent rien
«Ceci est un livre, avec des histoires dedans»
875 mots durant
Je lâche le journal
J’prends mon café, je l’avale
Deux trois commentaires sur l’effondrement de l’usine au Bangladesh
Un autre sur la mauvaise gestion des ressources naturelles
Je l’ai de plus en plus courte la mèche
J’attrape un livre de Woolf, je lis deux ou trois nouvelles
«Veux-tu un refeel de café chéri?»
«Oui mon amour merci»
Sur songa Mozart pète une coche
Je me rassois, mon café réchauffé j’m’y accroche
Quand soudain, contre toute attente, tout s’illumine et devient parfait.
Entre mes deux paumes, la tasse en poterie artisanale de Port au Persil
Toute chaude
Devant moi, ton petit sourire ironique
L’univers en expansion je le sens grandir et grandir sans cesse
Je suis à la fois toute dense et concentrée comme un noyau d’étoile
À la fois dispersée fragmentée dans l’infini d’un monde qu’on commence à peine à connaître
Derrière nous des siècles d’histoires
Après nous des siècles encore
Sous ma paume je sens les écailles d’un dinosaure,
L’explosion d’une super nova me réchauffe la joue,
Je sens craquer les os d’un oiseau sous mes crocs
J’entends l’épée qui s’abat sur le cou d’Anne Boleyn
Virginia Woolf rigole par-dessus mon épaule
Je survole la grève pour lancer un mollusque du haut des airs et le fendre sur la roche
Sa texture molle et son goût salé sous mon bec
J’entends la sirène qui annonce les bombardements
Nous n’avons nulle part pour nous mettre à l’abri
Tu déposes ta fourchette, tu repousses ton assiette
La table attrape les rayons du soleil et les reflète partout dans la pièce
Les roselins et les dur becs se disputent la place sur la mangeoire
Pendant un court instant j’ai été propulsée partout sans jamais perdre conscience d’être ici
J’ai été traversée par l’espace
Foudroyée par le temps
Tantôt tu vas aller faire du vélo dans les rangs
Quand tu vas revenir tu vas me trouver toute nue dans la douche avec des gants de caoutchouc en train d’en récurer tous les racoins avec mon Vim pis mon Magic Erraser
Tu vas trouver ça drôle
Veux-tu on va faire des douzaines de bébés que nous laisserons courir nus.
Que nous réprimanderons s’ils sont trop droits et silencieux.
Des douzaines d’enfants sauvages qui planteront leurs dents dans ceux qu’ils aiment pour les réveiller de leur torpeur. Veux-tu?
Donne-moi ta main
Je suis tout nue dans la douche
Tu vas trouver ça drôle
La tasse en poterie toute chaude
Tu vas trouver ça drôle
Je voudrais te faire visiter le temps, veux-tu?
Tu vas trouver ça drôle
Des douzaines d’enfants sauvages
Veux-tu?