Jean-Paul Michel, « Quand on vient d’un monde d’Idées, la surprise est énorme » par Matthieu Gosztola

Publié le 19 mai 2013 par Angèle Paoli
Jean-Paul Michel :
« Quand on vient d’un monde d’Idées, la surprise est énorme »,
`When One Comes from a World of Ideas, Vast is the Surprise´,

quarante poèmes choisis, traduits et post-présentés par Michael Bishop,
Halifax-Bedford/Bordeaux, Editions VVV Editions/William Blake & Co. éd.,
édition bilingue, janvier 2013.
→ `Placing being before itself´, Sicilian Diaries (Summer 1994),
« Placer l’être en face de lui-même », Carnets de Sicile (été 1994),
traduction anglaise de Michael Bishop, Halifax-Bedford,
Editions VVV Editions, édition bilingue, 2010, rééd. janvier 2013.
`Stupour and Joy of Fresh Duties´,
« Stupeur et joie de devoirs nouveaux »,

traduction anglaise de Michael Bishop, Halifax-Bedford, Editions VVV Editions,
édition bilingue, juillet 2009, rééd. janvier 2013.


Note de lecture de Matthieu Gosztola




[« QUAND ON VIENT D’UN MONDE D’IDÉES… »]

Michael Bishop a fait un très remarquable travail de traduction, où il parvient à rendre constamment sensible, dans la musicalité et la concision propres à la langue anglaise, le feu de la vie que porte en son sein, pour le faire rejaillir constamment dans ses lueurs les plus denses, les moins apprêtées, la poésie de Jean-Paul Michel. Des lueurs comme des lames nues.

Ce feu tient du miracle, et nous pousse tout à la fois à l’assentiment et au remerciement, tant il est vrai qu’en nous étant donné comme un surcroît de force et de beauté mêlées, il nous donne à nous-même, à cette part la plus nue de nous-même, ayant des racines communes avec les arbres, avec le frisson du ciel et avec le ballet immuable des saisons.

Mais si ce feu est un miracle nous enchaînant (pour nous délivrer dans le même instant) à l’éclat de la beauté, à sa répétition qui n’est jamais répétition mais toujours éclosion du neuf, il n’est pas sans danger, partageant logiquement avec chaque part du vivant son destin de flamme, et être poète est d’abord pour Jean-Paul Michel assumer tout à la fois le miracle et le danger que représente ce feu, comme le résume Michael Bishop dans son article intitulé « Jean-Paul Michel : l’art de l’être » paru dans Dalhousie French Studies (volume ninety-six, fall 2011), écrivant qu’« [ê]tre poète, pour Michel, écrire n’importe quel vers, c’est tout d’abord assumer son immersion dans ce feu, cette chaleur et cette illumination, cette brûlure et cette destruction inséparablement, à bien des égards indistinctement. En en étreignant la totalité, la caressant, fatalement » (nous soulignons).

Tout à la fois accepter (et, par cela-même, refuser tout ce qui étouffe ce feu, tout ce qui le contraint, l’infléchit dans une direction qui, même lorsqu’elle semble en rehausser la couleur et l’intensité, le distrait, pour apparemment brillante qu’elle soit, de son cours originel et sauvage), assumer et remercier, autrement dit vivre vraiment – dans le vrai de l’étant. Et d’un même mouvement écrire, pour Jean-Paul Michel.

Vivre dans le vrai d’un étant en proie aux signes. Car vouer sa vie aux signes comme à la vie.
Et lire vient, bien sûr, prolonger ce mouvement. Lisant Michel, on éprouve dans la fibre nue de sa chair l’impact de la musique du monde, de la musique des signes et de la musique d’une pensée qui, d’une intense rigueur, cherche à élever l’homme vers les hauteurs les moins propices à son encerclement dans la rumeur sourde ou criante du socialisé.

Et il n’est ainsi nullement étonnant de constater, lisant les proses de Michel, combien il se tient, dans sa vie transmuée en signes, à la suite de Nietzsche et de Pascal, conjuguant la force de frappe et la recherche d’une musique de la vérité de ces deux êtres, – avec une prise de risque à chaque fois maximum, à l’abri de ce qui constitue un abri.

S’il y a force de frappe, c’est d’abord parce que chaque texte de Michel nous amène, sans rhétorique aucune, à « [v]oir », et cela pour que nous puissions « mieux éprouver notre aveuglement » (Michael Bishop). L’art de voir que Michel décline (1) peut être, pour être parfaitement compris, rapproché de celui du cinéaste Antonioni, tel qu’analysé par Alain Bonfand dans Le Cinéma saturé, Essai sur les relations de la peinture et des images en mouvement : « L’art de voir ne procède pas de la maîtrise, fût-elle absolue, d’une technique ou d’un savoir-faire, mais d’un perpétuel apprentissage de la vision qui, lorsqu’elle est sidérée par ce qu’elle voit, sait le viser et l’atteindre à son tour pour le rendre visible. Quand Antonioni dit que faire un film est pour lui vivre, il propose et s’impose cet état de vigilance, d’attention et de veille où le visible, tout le visible, "parce qu’il chante", est une proie. ».

Relire Jean-Paul Michel, en français et en anglais (dans ces trois livres de très belle facture), c’est se rendre compte indistinctement à chaque vers et à chaque phrase combien sa poésie est « [p]oème du mouvement de l’être incarné, de la terre, poème de cela qui illumine, ne cesse de révéler l’être-comme-il-est-dans-sa-flagrance-si-facilement-oubliée [...] », comme l’écrit si justement Michael Bishop.

Aussi, relisons Jean-Paul Michel.

Matthieu Gosztola
D.R. Texte Matthieu Gosztola
pour Terres de femmes


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(1) Voir ainsi notamment « Stupeur et joie de devoirs nouveaux » – texte publié initialement dans le numéro 595 (octobre 2010) de la Nouvelle Revue Française – et « Placer l’être en face de lui-même » – texte initialement publié quant à lui dans le numéro 584 (janvier 2008) de la même revue et édité en octobre 2008 à Bordeaux par William Blake & Co. sous le titre Placer l’être en face de lui-même, Carnets de Sicile (été 1994), « Neuf états d’une gravure » (livre d’artiste avec Farhad Ostovani).

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