Le 21 mai 1926 naît à Arlington dans le Massachusetts Robert Creeley (mort des suites d’une pneumonie à Odessa, Texas, le 30 mars 2005).
À la mort de son père en 1930, l’enfant est élevé par sa mère et par sa sœur à Acton. En 1943, il entre à Harvard pour y faire ses études mais il abandonne ses études l’année suivante pour s’engager dans l’American Field Service. Ce qui l’amène jusqu’en Inde où il devient ambulancier, et dans le Sud-Est asiatique. De retour aux États-Unis, il entreprend une correspondance avec William Carlos Williams puis entre en relation avec Charles Olson. Ces deux rencontres majeures mettent Creeley sur la voie de la littérature et de l’écriture poétique.
Tout au long des années 1950-1960, Creeley s’implique dans le groupe expérimental du Black Mountain College (Caroline du Nord) qui rassemble, sous la direction de Charles Olson, poètes, écrivains et artistes novateurs. Tels Merce Cunningham, John Cage, Willem De Kooning, Robert Motherwell et Robert Rauschenberg. Creeley crée la Black Mountain Review dont il sera le coordinateur éditorial jusqu’à la disparition de la revue, en 1957. Tournant définitivement le dos aux formes versifiées traditionnelles, Olson et Creeley optent pour le « projective verse » et pour la « composition by field »/« composition par champ ». Ainsi, dans l’essai intitulé Projective Verse (1950), Creeley développe-t-il l’idée qui lui tient à cœur : « la forme n’est qu’une extension du contenu » (« Form is nothing more than the extension of content », lettre à Charles Olson, 5 juin 1950, in George Butterick (ed.), The Complete Correspondence, vol. I, Santa Barbara, Black Sparrow Press, 1980, pp. 78-79).
Après son divorce d’avec Ann MacKinnon, Creeley retourne quelque temps au Black Mountain avant de s’installer provisoirement à San Francisco où il assiste à l’explosion du « San Francisco Poetry Renaissance ». C’est là qu’il rencontre les écrivains de la Beat Generation, dont Allen Ginsberg et Jack Kerouac.
En 1960, Robert Creeley reçoit le Prix Levinson pour sa poésie. À Albuquerque (Nouveau-Mexique) où il s’installe, Creeley publie en 1962 For Love : Poems 1950-1960. Dédié à sa seconde femme Bobbie Louise Hall, ce recueil, qui rassemble dix années d’écriture, porte à la fois la trace de l’influence de William Carlos Williams et de celle du jazz. Cet opus est le premier d’une longue série de recueils, dont Words (1965 et 1967), The Finger (1968), Pieces (1968), Later (1979), Mirrors (1983), So There: Poems 1976-1983 (1984), Memory Gardens (1986), Windows (1990), Echoes (1994), Life & Death (1998), Just in Time: Poems 1984-1994 (2001). Publications consacrées en 1999 par le Bollingen Prize of Poetry.
Ses poésies complètes ont été rassemblées dans The Collected Poems of Robert Creeley 1945-1975 (University of California Press, 1982) et The Collected Poems of Robert Creeley 1975-2005 (University of California Press, 2006 ; reed. 2008).
En 1963, Creeley a publié The Island – dédié à Charles Olson –, unique roman dans l’abondante production de Creeley. L’action se déroule à Majorque et retrace l’histoire de la relation de Creeley avec Ann MacKinnon.
Ronald Brooks Kitaj (1932–2007),
For Love (Creeley), 1966
Lithographie, 58,42 x 40,64 cm
Source
L’INSULAIRE - CHAPITRE V (Extrait)
Le chemin grimpait au-dessus des terrasses, se continuait en pente raide, passait devant des troupeaux de chèvres, de moutons, appartenant aux dernières petites fermes en bordure du village. Puis les arbres firent leur apparition, des pins rabougris qui poussaient parmi la rocaille. La famille déboucha enfin sur une petite clairière, derrière une falaise qui tombait à pic. Au pied d’un rocher, ils trouvèrent une petite source ; on avait pratiqué une entaille afin de recueillir l’eau dans une sorte de cuvette. On avait également taillé de petits renfoncements pour y poser des pots de fleurs et diverses choses. On disait que la fontaine remontait à l’époque où les marins grecs faisaient la navette le long de cette côte depuis Marseille. En regardant au loin, on ne voyait que les arbres qui descendaient en pente abrupte, des cimes de pins qui s’étageaient jusqu’à la mer, s’étendant à perte de vue sur trois côtés.
Ils firent un petit feu à côté de la fontaine et John réussit à installer une sorte de grille avec des pierres afin que les enfants puissent y faire réchauffer leurs hot-dogs à l’aide de baguettes de bois vert qu’il avait également taillées. On étala de la moutarde et du ketchup sur les petits pains coupés en deux. Il y avait un sac pour les détritus. Les enfants mangèrent avec plaisir, burent de l’eau à la source, puis ils entreprirent d’explorer les alentours. Ils disparurent bientôt entre les arbres.
C’est le moment, pensa John. Je t’aime, Joan, dit-il. C’était après le dîner, vendredi soir, la semaine de travail terminée. Elle venait de les nourrir tous avec son propre assentiment. Ils n’étaient pas des Grecs.
Joan était contente que ce fût réussi. Ils regardèrent ensemble la petite source et pensèrent aux hommes qui auraient pu la faire. Probablement un paysan du coin. Les Grecs et les Maures qui avaient sans doute vécu ici n’étaient que des figures livresques. Mais la mer pouvait en être l’image. Au loin, là-bas, c’était possible et probable.
Comme ça, dit-elle, en tressant une couronne de fleurs hâtivement cueillies qu’elle posa dans ses cheveux. Comme ceci. Une déesse. Elle ôta la couronne et la posa près de la fontaine, dans l’un des renfoncements.
N’es-tu pas heureux, dit-elle. N’est-ce pas un endroit ravissant.
Elle venait d’accomplir un rituel. Par une sorte d’approximation grotesque, elle avait disposé son corps dans une attitude de sacrifice. Bien, bien.
Vu sous un autre angle, c’était le triomphe de la féminité américaine. Comment se trouverait-elle autrement dans un endroit pareil, avec des hot-dogs, des enfants et un mari terne, symbole d’une virilité rabougrie, qui la regardait, tassé sur lui-même en clignant des yeux à la lumière du soleil couchant. Les enfants étaient perdus dans la forêt. Le retour les attendait sur un chemin difficile, rocailleux, non familier.
Quel est l’instant où survient l’amour, le lieu, par quel moyen, quel chemin, affirme-t-il soudain sa présence. L’autel de la déesse au milieu des bois.
En effet, pensa-t-il, c’est un endroit ravissant. Répète. Un endroit ravissant. C’est un endroit ravissant. [...]
Robert Creeley, L’Insulaire [The Island, 1963], Éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 1972, pp. 55-56-57. Traduit de l’anglais par Céline Zins.
ROBERT CREELEY
Source
■ Robert Creeley
sur Terres de femmes ▼
→ The Return | Intervals
■ Voir | écouter aussi ▼
→ le site de Robert Creeley
→ (sur Poetry Foundation) une bio-bibliographie (en anglais) de Robert Creeley
→ (sur PoemHunter.com) un grand nombre de poèmes (en anglais) de Robert Creeley
→ (sur PennSound) un grand nombre de poèmes de Robert Creeley dits par lui-même
→ (sur Culture, le magazine culturel de l'Université de Liège) un article (en français) de Gérald Purnelle sur Robert Creeley
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