... je m'appelle la dingue.
J'ai une famille décomposée, qu'on a rafistolée avec des bouts de scotch trop vieux pour que ça tienne. Du coup, il y a le "chez papa" et le "chez môman", une sorte de cirque à deux niveau.
Il y a des moments où je me pose des questions.
De savoir si c'est normal de se sentir si détaché de ce qu'on vit au quotidien. Si c'est normal de penser sans arrêt au bonheur qui était le nôtre d'avoir été petit, d'avoir pu faire des caprices, d'avoir su se rendre compte du bonheur des parents que l'on avait encore unis sous nos yeux.
Puis il y a le balayage, le grand brouillard, en un jour la purée de pois s'efface, et on se retrouve seul à soutenir un adulte, à le supporter pour qu'il ne s'écroule, à essayer de lui donner l'amour dont on peut disposer à à peine 8 ans. C'est un chemin de conscience, c'est un chemin où l'on voudrait marquer le coup par certaines absences, ne pas se souvenir des pires choses que l'on ait pu entendre, les suppositions, les cris, les portes. C'est toujours terrible une porte qui claque.
Ça laisse place au silence. A la réflexion. Seule, les jambes pliées, le menton collé au genoux, et une larme qu'on a pas su retenir. Puis à quoi bon l'empêcher de couler, à quoi bon la garder, on préfère encore se débarrasser de ses rancoeurs.
On pardonne, on s'esclaffe, on fait des brownies pour redonner le moral à la terre entière, des pépites de chocolat grandes comme les billes de ma période garçon manqué, immensément consolatrices.
Puis j'ai appris à grandir, de toutes les manières dont il est possible de s'étirer vers le ciel. J'étais un enfant médiocre, jamais rien ne plaisait à mes profs, toujours des 6/10, des 12/20. Bonne à rien. C'est le genre de notes qui me rendait furieuse, que pouvait-on bien en dire ? C'était rase-mottes, ou catastrophique ?
Je suis devenue une artiste à ma manière.
J'ai commencé à écrire, à lire énormément. Puis il y a eu mes dessins, mes doigts pleins de peinture, mes bouts de crayons, mes griffonnages. ET enfin la musique. Il fallait un exutoire, une porte de sortie, une grande vasque pour pouvoir déverser mon trop plein de sensibilité, je n'arrivais pas à me détacher de ce monde envahissant autrement qu'en me déversant intelligiblement d'une autre manière que celle dont les gens le font: par les mots, les lignes, les traits, les notes.
Bien sûr, on dira que manier le verbe, c'est comme parler, ça libère, ça soulage, et ça inclut une autre personne qui est censée nous comprendre, ou subir le flot que l'on aurait pas su canaliser. Mais écrire. Rien n'est comparable à ce que je peux ressentir quand je savoure ma feuille blanche des yeux, et que, quelques instants plus tard, elle est noircie de mon talent, qui tache, qui colle, mais qui sent ce que je suis. Une sorte de reconnaissance personnelle, que personne ne peut m'offrir à par moi-même.
...
"Tu ne m'as jamais dit si c'était juste, si c'était un noeud de discorde que j'aurais du défaire. Il y a toujours un devoir, une pièce que l'on doit se charger de trouver, de détruire, de garder. Quelle galère".