« Ces agences connaissent leur clientèle et s'y sont adaptées. Elles prennent leur fric et ne se cachent pas de ce qu'elles proposent : des jobs pour ratés, des jobs pour ceux qui ont fini de rêver du rêve américain ou qui n'en ont jamais rêvé, des jobs pour ceux qui n'ont pas de gnaque (...) »
Jakob Bronsky vient juste de débarquer en Amérique. Il vit dans la dèche, se contentant de "petits boulots" pour payer son meublé et sa nourriture. Pourtant, le travail ne manque pas dans l'Amérique des années 50, mais il n'est pas animé par la réussite sociale. Il a d'autres préoccupations, l'écriture et le sexe.
« Les patrons, ce sont des gangsters. C'est notre sueur qui les fait vivre. Il faut toujours garder ça en tête. »
Entre deux chapitres de son roman autobiographique écrits dans sa chambre ou dans une cafétéria juive bon marché, fréquentée par des déclassés, le narrateur doit travailler et satisfaire quelques besoins sexuels, ce qu'il considère comme une perte de temps, tant "Le branleur", titre provisoire dudit roman, l'obsède !
« Après avoir terminé deux autres chapitres, j'avais la bite tellement raide que j'ai cru devenir dingue. Pourtant, je n'ai aucune envie de me branler ni d'aller voir une pute. Ni une ni deux, j'ai appelé un agent matrimonial. »
L'écriture de ce livre est vivre. Aussi, il économise le moindre sou en "empruntant" des vivres chez ses voisins d'infortune, en partant avant de régler l'addition au restaurant, en resquillant ses patrons, en négociant le prix d'une passe...
« J'ai compris qu'il ne suffit pas de survivre. Survivre ce n'est pas assez. j'ai aussi compris que la naissance de chaque être est en même temps sa condamnation à mort, et je me demande quel sens cela peut avoir. Pourquoi est-ce que je vis ? »
Dans ce récit à l'humour ravageur et burlesque, l'auteur évoque aussi, par séquences, sans tomber dans le pathos ni la superficialité, son passé d'enfant et d'adolescent : les jours heureux, la montée du nazisme, la découverte de sa propre condition de juif, l'exclusion, la fuite, les ghettos, les camps, l'horreur de la Shoah, la libération, et l'impossible retour à une vie normale.
« Les pays étrangers ne laisseront pas faire », dit mon père. « Ils ne vont pas leur demander leur avis aux pays étrangers », dit mon oncle. « Il y aura un renversement », dit mon père. Le peuple allemand a des yeux pour voir.» « Il n'a plus d'yeux du tout », dit mon oncle. « Le peuple allemand est complètement hypnotisé »
Un grand livre.