Hervé Planquois, Ô futur par Isabelle Lévesque

Publié le 30 mai 2013 par Angèle Paoli
Hervé Planquois, Ô futur,
Lucie éditions, Collection Poésie,
30000 Nîmes, 2013.


Lecture d’Isabelle Lévesque

« ÉPURE DOULOUREUSE »

Qui invoquer ?

Seule instance, celle d’un futur à terre, rejoignant l’espace du phasme réduit à consumer (consommer) au plus près ce qu’il perçoit, singulière apparence de vie ? Signe sombre du temps cru qui finalement nous dévore ?

Nous plongerons, nous le savons, en chute et vertige. Hervé Planquois nous mène en haut lieu de doutes et de ponctuations interrogatives. Il nous faut le suivre – nous perdre ?

Le « chant à venir », quel sera-t-il ? Assurément douloureux. Celui qui le profère est en proie, le noir le déborde et l’absorbe. Au seuil, pas de miracle, l’articulation de souffrance demeure (« épure douloureuse »).

« [A]u-dedans, / rien de possible, / tout est / à l’entour », espace extérieur criblé par une intériorité qu’un chant pourrait exprimer (expurger). On songe à l’un des livres antérieurs du poète, En un royaume de ruine et de lumière. Élégance des affres. L’espace d’Hervé Planquois est traversé par des forces antinomiques et folles. Ironie d’un royaume réduit à si peu ou à des manifestations désorchestrées de la modernité : lumières des villes, bruits alentour. La destruction le menace en même temps qu’une force qui fut (sera-t-elle encore ?) perce, laissant poindre une lumière fragile. On la suit encore, emporté dans la chute ou le vacillement – espérant qu’une main retiendra au moment du gouffre. Figure récurrente du phasme, animal dont le nom vernaculaire « bâton du diable » pousse à redouter l’existence, elle est pourtant peut-être la seule encore possible. Sa ressemblance avec la feuille, son homotypie doublée d’une homochromie, l’autorise à tous les camouflages – à toutes les survies. Cet angle doit être considéré aussi qui permet d’envisager le phasme comme un survivant (ou, comme l’écrit le poète, « un revenant »). Ainsi, la première partie du recueil nous place face à une forme projetée de nous-même, devenue insecte « enclos », phasme protéiforme condamné à l’adaptation s’il veut demeurer. Ce futur, ou présent de désarroi et de claustration, devient un espace fermé où le mouvement est régi, limité par l’extérieur et ses bords fluctuants.

Dès lors la parole prophétique devient italique, l’écriture déclame une prosopopée où les gestes d’antennes et de « pattes / levées au ciel » se disloquent dans le silence. Au phasme, cette parole coupée de l’origine sereine, il figure un devenir où seul est possible le mouvement horizontal et caduc. Aucun rachat par la parole. La prière n’est plus sacrée, elle devise, monologue et se termine en « fous rires étouffés » loin du point originel. Chronique annoncée d’un non-lieu, absence et dévoration. Phasme, poète, à la gesticulation forcenée dans une multitude perdue de poussières informes que le sens ne secoue plus. « On ne dénombre plus / les corps » (en début de seconde section). La souffrance ne serait-elle qu’une percée de plus vers le gouffre ou fera-t-elle jaillir « un frais bouton / de rose » ?

La seconde partie « Corps fantôme » ouvre encore le ballet de l’ambivalence, lieu de « déchirure » et de « césure ». Miroir, jeu de dupes : le terrain glissant de l’écriture ne dit pas son dernier mot. Il accueille dans le déchirement « l’acte secret d’aimer » au risque du « simulacre » s’il est « dérobé à la langue ».

Le pronom hésite, timidement le « nous » fait irruption : la langue alors pourrait être partagée « entre carnage / et incarnation » ? Les proximités phoniques créent des alliances de mots, un suffixe peut faire basculer un radical dans le long tourment de la damnation. L’enfer humain, de chair, va sa souffrance vers la torture ou l’issue, laquelle ? Le saura-t-on ? Le corps fantôme est voué au soufre ou à la confusion des règnes « enchevêtrés ».

Accrocher : quelle certitude ?

« Toujours à nous convaincre
  qu’un miracle adviendra. »

Nous entrons alors dans la troisième partie du recueil, « Éboulis », où la parole énonce sous forme d’aphorismes et d’interrogations les conséquences des pages antérieures, les deux premières sections du livre. État des lieux (bilan). Conclusions dressées par un « étranger » : « tout serait à refaire ». Et les préfixes re-font la langue adjoignant au verbe « faire » la privation (« défaire ») ou la refonte (« refaire ») en passant par le verbe « détruire » qui serait une nécessité préalable. Et le passé composé dès lors porte le poids de ce qui fut, cette césure entre le présent et ce qui aurait pu demeurer. Oraison, dans le chant d’Hervé Planquois demeure une musique d’adieu, « Nocturnes », c’est la quatrième partie, qu’on veut laisser germer pour un avenir énoncé sur le silence de la destruction et de la disparition. Ce que peut la langue alors. Ouvrir une « brèche  » ou « fente », la syllabe enfantera car « une encre fouille, cherche ». Pour cela elle a dû consumer le temps (passé et présent ) et libérer « un cri bleu-roi » sur le dernier mot du texte, « confiants ».

Isabelle Lévesque
D.R. Texte Isabelle Lévesque
pour Terres de femmes




HERVÉ PLANQUOIS


■ Voir aussi ▼

→ (sur le site de Lucie éditions) la fiche de l’éditeur sur Ô futur



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