Putains d'hormones

Publié le 01 juin 2013 par Anaïs Valente

Il existe  certaines choses avec lesquelles on vit sans s'en rendre compte, c'est naturel, ça fait partie de nous depuis toujours, sans même qu'on y ait jamais pensé.  Et on dit souvent qu'on prend conscience de la valeur d'une chose lorsqu'on l'a perdue.  Mais on parle alors d'amis (les magiciens), d'amoureux (tous des salauds), d'argent peut-être (mais comment ai-je pu dépenser si vite ces 10 millions du Lotto, tchu), de santé (c'était chouette quand j'avais encore ma main, se dit souvent le Capitaine crochet).

Ben moi, j'ignorais que mes hormones me manqueraient tant, mais là, j'en ai pris conscience, ma bonne Dame…

Me vlà transformée depuis peu en être hybride, asexué, enfin presque hein, faut pas pousser, j'ai pas de poils qui me poussent sur le torse ou le visage (mais ça peut venir, qui sait), j'ai pas envie de draguer tout ce qui passe, j'ai pas chopé un cerveau à 5000 eur en échange de mon mien à 200 eur (comprendront ceusses qui ont lu ma blague sur Facebook, rapport aux cerveaux mâles et femelles).  Nan, chuis pas un mec, chuis toujours une meuf.  Mais je suis hormono-orpheline.

Bien sûr, je connais les effets secondaires de ce petit moment de plaisir de mon existence.  Je vais vous zapper les bouffées de chaleur, les bouffées de glaciation polaire que même un gros ours blanc contre lequel je me blottirais ne parviendrait pas à faire stopper (ça, on avait omis de me le dire, que les bouffées m'entraîneraient du chaud au froid en alternance), et les douleurs qui squattent gaiement l'intégralité de ma vieille couenne, en plus de celles qui ont pris possession de mon bide, because docteur Mamour a été faire un stage de boucherie inside.  Tout ça, vous vous en moquez, hé, on n'a pas gardé les cochons ensemble, mes petites ou grosses douleurs quotidiennes c'est pas drôle.

Mais l'effet "sautes d'humeur", ça c'est drôle, et vous allez aimer, non ?

Ah ben si.

Appelons le plutôt l'effet larmaloeil. 

Chuis déjà une petite chose sensible au naturel, mais là j'atteins des sommets genre Everest (il fête pas un anniversaire d'ailleurs celui-là, oh que c'est émouvant).  Plus besoin d'une grosse émotion, d'une infinie tristesse, d'un désespoir profond, d'une horrible nouvelle, le moindre petit truc provoque en moi un déferlement de sensations, et ça me ferait mourir de rire, si je n'en pleurnichais pas illico.  Non mais allô quoi, pleurer devant la beauté d'un brin d'herbe, c'est poilant, tellement poilant que c'en devient émouvant… alors je re-pleure.  Vous comprendre le processus de l'effet larmaloeil ?

Exemples.

Je vois enfin un bout de soleil après des semaines de nuages (et je parle au sens propre, non au figuré), l'émotion est telle que j'en pleurniche un gros bout de minute.

J'écoute une jolie chanson, même pas triste en plus, genre plutôt joyeuse, mais si belle que les larmes se pointent au bord des yeux.  Bon, je vais zapper les trucs genre Beau malheur ou Savoir aimer ou Quand on n'a que l'amour ou Ne me quitte pas, car là on va m'interner rapido presto.

Une publicité rigolote à la TV, et c'est parti mon kiki, je pleurniche devant l'intelligence du scénario, la beauté des images, la finesse de la musique.

Petite promenade.  Je croise un chat tout mignon.  Qu'il est beau ce poussy, je pleurniche.  Il vient vers moi, puis se refuse à une caresse, quelle tristesse, je pleurniche.

Je n'ai pas mal, je pleurniche de joie.  Ah si, finalement j'ai mal, je pleurniche de douleur.

Je prépare des pâtes.  Trop cuites.  Je pleurniche devant mon incompétence.  Mais bonnes.  Je pleurniche en songeant à la chance que j'ai de manger à ma faim chaque jour.  Puis je pense aux pesticides et à la dioxine, et je pleurniche face à cette société de merde qui finira par tuer nos enfants, enfants que je n'aurai jamais, aaaaaaah, je pleurniche de plus belle.

Un sms gentil me souhaite un prompt rétablissement, je tue mon gsm sous mes pleurnicheries.  C'est pas aquaproof un gsm ?

Et tout ça, je le fais en solo, mais imaginez ce qui pourrait se passer en bonne compagnie :

La caissière qui me signale "ah, vous avez bien fait de prendre trois pots de Nutella, c'est 2 + 1 gratuits".  Et je me liquéfie de bonheur devant elle, qui songe à appeler sa direction, des fois que je sortirais un riot gun et tirerais sur tout ce qui bouge dans une crise de dépression intense.

Le client au bureau qui signale qu'il doit annuler un rendez-vous, et moi de lui dire que c'est pas grave, en reniflant allègrement, créant chez lui une angoisse monstre.

Durant ma promenade, une madame et son chien me saluent, enfin la madame, pas le chien, rustre va, alors je pleure, passque la madame est polie, passque le chien ne l'est pas.

Un brun ténébreux me fait sa déclaration, puis part en courant pendant que je sors mes mouchoirs, tellement ma joie est intense.  Et me revlà célibattante, l'occasion de pleurnicher un coup.

Avec du recul, beaucoup de recul, c'est plutôt amusant comme situation, non ?  Puis ça permet une diminution du taux de chômage des mouchoirs.  Oui. Amusant.  Emouvant.  Et c'est reparti pour un tour…

Et pendant que je vous écris, mon Ipod m'offre Marguerite de Cocciante.  Chais pas pourquoi, cette chanson me fait toujours brailler, un peu comme si je voulais être Marguerite, attendez quoi, elle est superbe cette déclaration.  Résiste résiste résiste, passque sinon ça va être les chutes du Niagara, le tsunami larmesque, la déferlante humide.  Je passe à la chanson suivante.  Vieille, tu te sens vieille.  Cocciante et moi, c'est fini, y'a des limites.  Mais la rupture est douloureuse, j'en pleurerais presque.

Bon je vous laisse, j'ai dégoté l'intégrale des Oiseaux se cachent pour mourir, en vieilles K7 VHS, quelle émotion, des mois que j'avais envie de revoir cette série, si triiiiiiiiiiiiiiiiiste.

Allez, je peux le faire, je peux résister, je vais résister, mais s'il vous plait, hormones adorées, revenez vite !