Il y a deux ans, en pleine RentréeLittéraire dominée par L'art français de la guerre*, j'avais découvert La Zonzon, d'Alain Guyard – l'histoire d'un prof de philo intervenant dans une prison de Marseille, et qui se retrouve embarqué dans des histoires assez peu philosophiques. C'est la seule fois de ma vie que quelqu'un m'avait abordé dans le métro en me demandant ce que je lisais.
- Eh mec, c'est quoi ton livre, là ?
C'était un jeune punk avec son chien, qui me zyeutait depuis trois minutes. Je lui ai passé le livre, il a parcouru en disant que ça avait l'air chanmé. Et ça l'était, en effet. Je le lui aurais bien laissé, mais bon, j'avais envie de connaître la fin, et je savais déjà que j'en ferais une chronique, ici ou dans Standard. Ce fut Standard, vive le papier.
* NB - dans l'affaire des "paris suspects" du handball, la justice a désigné un expert en physiologie pour démontrer, en visionnant la vidéo sous tous les angles, que les joueurs de Montpellier avaient fait exprès de perdre contre Cesson. On pourrait assez facilement trouver un expert qui démontrerait, lectures à l'appui, que 99% des journalistes qui à l'été 2011 ont fait l'éloge sans retenue de L'Art français de la guerre n'avaient pas dépassé la page 40.
… Mais revenons à Guyard. Sa Zonzon a tout de même fini par trouver un écho, je crois, et deux ans plus tard il remet ça. Cette fois-ci, il laisse de côté la fiction et privilégie (quoi de plus normal pour un philosophe) le concept.
Le concept, il est simple : 33 histoires de philosophes, auxquelles Guyard ajoute des exercices pratiques. Mais pas des exercices de préparation au bac pour petit branleur de Terminale, attention. Ses 33 leçons de philosophie par et pour les mauvais garçons sont d'abord une réhabilitation du coup de gueule et du coup de poing, parce que la philosophie commence dans la rue, pas dans le monde immaculé des Idées.Et ça commence dès le premier cours théorique sur Socrate :
N'en déplaise à tous les demi-sel en chemise échancrée et cheveux mi-longs, avec leurs allures de chichiteuses dames pipi du café de Flore, la philo n'est pas une affaire d'intellos. Son fondateur, Socrate, est un chômeur de longue durée, espèce de va-nu-pieds incapable de reprendre l'affaire familiale de talle de caillasses (…)
Le ton est donné (on pourra reprocher à Guyard de forcer un chouia sur le vocabulaire, mais ce serait chichiter).
S'ensuit une bio de Socrate qui s'éloigne un peu des sentiers battus et replace l'homme d'idées dans sa chair triste et flamboyante, et dans son époque (Sade dans sa prison, Debord jouant à cache-cache avec sa légende...). On y retrouve ce qu'on aimait dans la Zonzon - de la philo, de la vraie, au milieu des odeurs de sueur et de pisse, de la pensée de combat.
Les travaux pratiques, eux, sont du genre anar tendance Diogène. Certains relèvent un peu de la (bonne) blague, mais pas tous. Ils seraient plutôt des défis au lecteur, pour l'empêcher de lire ces "leçons" trop confortablement en sirotant son café-philo. On y trouvera une incitation à pratiquer un sport de combat ou à jouer les Machiavel de canton (exo : s'inscrire en secret au PS et à l'UMP local et d'agir dans l'ombre). Ou encore à suivre les traces d'Antisthène, roi de la baston, en menaçant un philosophe de salon de lui casser la gueule s'il ne retire pas immédiatement ce qu'il vient de dire avec fougue.
Avance sur lui. S'il renonce à ses valeurs par peur du poing dans la gueule, qu'il aille se faire foutre. Tu sauras que ce n'est pas un vrai philosophe.
Bref. Foutre un peu le boxon.
Voilà bien un livre qui donne envie de sortir dans la rue, d'aller voir le monde la tête haute et de lui dire ce qu'on pense - si on pense quelque chose. Sinon, eh bien, au moins on le regardera différemment. C'est bien à ça que servent les livres, et la philo, non ?
D'ailleurs j'y vais. Salut.