Magazine Nouvelles

Le temps qui reste

Publié le 22 avril 2008 par Frédéric Romano
- Eux : Quel est votre prénom Monsieur ?
- Moi : Frédéric.
- Eux : Ha… nous avons déjà un Frédéric…
- Moi : Très bien… vous avez un Robert ?

Marc contemple souvent ses coupes et ses médailles. Elles sont de toutes formes, de toutes tailles et de toutes origines. Premier dans un championnat de natation en mille neuf cent nonante neuf, second dans un marathon trois ans plus tard. Quelques photos témoignent de ses victoires en football, à l’époque où il ne jurait que par les sports d’équipe. Handball, basket-Ball, tennis, il a tout essayé… Très bon dans son lycée, excellent à l’université, il décrocha diplôme sur diplôme. Curieux, intelligent, brillant, tout le monde s’accordait à dire que Marc était un exemple à suivre. Il inspira la fierté de ses parents, la reconnaissance de ses amis et l’admiration de sa première petite amie.

Elle s’appellait Julie, elle avait vingt-et-un ans lorsqu’il la rencontra. Elle était réservée et timide, belle et discrète. Elle l’avait croisé dans une de ces soirées étudiantes où l’on parle trop fort. Elle était adossée contre un mur et semblait s’ennuyer. Marc était là par hasard. Il avait suivi des amis et ne connaissait presque personne. Ils parlèrent quelques instants, s’échangèrent quelques politesses puis s’envoyèrent quelques attentions moins “délicates”. Il la rammena chez elle et l’histoire commença sous les draps, comme dans nonante neuf pourcent des cas. Julie ne fut pourtant pas une médaille ou une victoire comme les autres en dépit des circonstances crues et directes et de ces draps qui, le matin, puaient la sueur et l’alcool. Le magnétisme avait opéré. Le plus naturellement du monde il restèrent cinq années ensemble. Dénué de romantisme et de sensiblerie, leur relation fut pourtant forte et fidèle. Il y avait un accord tacite et des règles non énoncées que chacun respectait inconsciemment. C’était une histoire naturelle, au sens biologique du terme, une histoire humaine…

Les années passant, Julie commença à se lasser de ce picotement dans le bas du ventre. Certes, c’était bien agréable et personne ne pouvait être aussi comblé qu’elle tant la compatibilité des corps et des sensations était parfaite. Elle voulait sans doute plus ou très certainement autre chose. La petite fille qu’elle était encore n’avait pas encore eu son vrai prince charmant. L’admiration à sens unique qu’elle éprouvait pour Marc lui devenait insupportable. Ils étaient tous les deux les objets d’un désir sans pareille mesure, les éléments d’une équation chimique qui allait crescendo, sans jamais vraiment virer ou changer d’état. Tout ça était trop simple, pas assez moderne. Elle du se résoudre à le quitter. Un matin d’automne, il lui rendit les clés de son appartement. Ils se séparèrent sur le pas de la porte. Julie était consciente de l’utilité de son caprice et Marc était frappé d’incompréhension. Tout deux reprirent leurs vies. Marc continua le sport et son job de commercial. Julie repris des cours en psychologie. Les jours, les mois, les saisons et les années passèrent…

Un soir d’été, à l’arrêt d’un bus, Julie reconnu la silhouette d’un homme qu’elle connaissait fort bien. Elle s’approcha du banc et son cœur s’emballa lorsqu’elle prononça en guise d’appel le prénom de Marc. Il l’a reconnu à la première syllabe et la machine infernale, éteinte depuis trop longtemps, se ralluma d’un seul coup. Comme au premier jour ils parlèrent peu. Julie, qui aurait tout fait pour ne pas tourner la manivelle se laissa emporter. Ils terminèrent dans des draps sombres, dans un trois pièces que Marc louait du côté de la gare. Elle tenta bien de lui parler et de le persuader mais Marc n’écoutait rien et le préservatif qu’elle lui avait suggéré tomba au pied du lit. “J’ai changé Julie… je sais que tu es célibataire, moi aussi… réessayons, je t’en supplie“. Elle se laissa charmer et refoula les quelques mots qu’elle aurait du lui dire avant, ceux-là même qu’elle avait découverts en ouvrant le courrier de l’hôpital, quelques semaines auparavant : “résultat… test HIV… positif“.

Le secret fut révélé quelques semaines plus tard. Des orages éclatèrent derrière la porte d’entrée du trois pièces de Marc. Plusieurs fois elle s’ouvrit et se referma mais, cette fois-ci, personne ne quitta l’appartement. Les paroles devinrent plus calmes et la colère se transforma en résignation. À la fin de l’été, ils prirent rendez-vous dans un cabinet médical. Ils s’y rendirent comme d’autres couples se rendent à l’église. Après avoir retiré les résultats au laboratoire, ils ouvrirent ensemble l’enveloppe. Les mêmes mots étaient inscrits : ”résultat… test HIV… positif“. Il les découvrit non sans douleur mais il se consola de ne pas les lire seul. Debouts sur la place de l’Hôtel de Ville, c’était le moment pour eux de modifier l’équation et de reconnaître un nouveau sens à leur relation. Il fixèrent ensemble l’horloge de la tour communale et, les yeux grands ouverts, ils jugèrent du temps qui restait et de ce qu’ils allaient en faire.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Frédéric Romano 2 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines