Battlestar Philosophia 4: le progrès et l'Histoire

Publié le 12 juin 2013 par Mari6s @mari6s

Battlestar Galactica 2003 est sans nul doute moins conservateur que son prédécesseur sur les points de vue culturels, sociaux, et politiques d’une certaine façon – en tout cas quant aux rapports entre Cylons et humains, car pour ce qui est de la gouvernance il est difficile de discerner une morale claire – de nombreux personnages préfèrent recourir à la force ou au mensonge, et n’acceptent la démocratie que lorsqu’elle les sert, et celle-ci mène parfois à la catastrophe (comme lorsque Baltar est élu Président) ; mais d’un autre côté, n’est-ce pas là le parti-pris de la série toute entière : un réalisme qui ne choisit pas de camp et laisse le spectateur réfléchir par lui-même ?

Mais s’il y a un sujet sur lequel BSG 2003 me semble au moins aussi conservateur que BSG 1978, c’est bien la technologie et le progrès. Il n’y a qu’à voir la mini-série qui en constitue le pilote : le Galactica n’échappe au massacre par les Cylons que grâce à sa technologie obsolète et à la méfiance de son commandant, William Adama, face au progrès et à la mise en réseau. On apprend plus tard que le Pegasus, seul autre vaisseau militaire à avoir survécu, était quant à lui déconnecté pour mises à jour au moment de l’attaque. Idem pour les Vipers : seuls les modèles les plus anciens sont dignes de confiance. Bref, dès l’origine l’ambiance est posée : le progrès est dangereux. Et pas seulement parce qu’il a permis de créer les Cylons…

Cette idée revient sous diverses formes au fil de la série. Par exemple, dans l’épisode 2.01 (Le tout pour le tout / Scattered), le lieutenant Gaeta ne trouve d’autre solution pour retrouver les vaisseaux perdus de la flotte que la mise en réseau des ordinateurs, que le second Tigh accepte à contrecœur en l’absence d’Adama blessé. Mais on apprend dans l’épisode suivant (2.02 : les Centurions de Caprica / Valley of Darkness) que cela a mis gravement en danger la flotte, permettant à un virus cylon de contaminer les systèmes du Galactica, qui peuvent maintenant être utilisés comme une arme contre son propre équipage… voire contre les vaisseaux civils.

On la remarque aussi dans l’esthétique de la série. Alors que BSG 1978, au sommet de la vague de science-fiction à la Star Trek, mettait en scène des armes high-tech, le remake de Ron Moore est bien plus low-tech. Les armes tirent des balles, les combats spatiaux grandioses ne disposent que d’un temps réduits et sont finalement plutôt psychologiques, concentrés sur les pilotes et les personnages à bord des vaisseaux… Quand Gaeta perd sa jambe, on la remplace par une prothèse mal foutue qui lui fait horriblement mal. Les vaisseaux sont rafistolés tant bien que mal (avec parfois des conséquences dramatiques), bref, on fait beaucoup de bricolage. Non seulement la technologie est dangereuse, mais elle ne permet pas les miracles que l’on pouvait espérer en regardant la science-fiction des années 60 à 80.

Tout cela semble, a posteriori,  annoncer le final de la série qui en a pourtant surpris plus d’un (moi la première). Attention spoilers ! En effet, à la suggestion de Lee (qui, au début de la série, s’opposait pourtant à son père sur l’idée de progrès technologique) et avec l’accord de toute la flotte (humains comme Cylons), il est décidé d’abandonner toute technologie avancée et de détruire les vaisseaux pour s’installer sur la planète surnommée la seconde Terre, en repartant de zéro. Dans l’espoir de briser le cycle de la violence…

Pourquoi le nier ? Le romantisme de cette idée me plaît beaucoup. Cela manque peut-être un peu de réalisme – je doute tout d’abord que toute la population accepte de renoncer à la technologie qui les rassure, même s’ils viennent de passer des années enfermés dans des boîtes de conserve à s’annihiler à coup de têtes nucléaires – mais c’est une jolie fin.

Il faut dire que je partage un peu la méfiance d’Adama envers la technologie, à ma façon contradictoire – je m’en sers et c’est très pratique, certaines innovations me fascinent, mais j’ai souvent l’impression qu’on va trop loin, trop vite : par exemple, l’imprimante 3D est à mes yeux un concept épatant, et utile à bien des égards (bientôt on pourra recréer une pièce cassée d’un appareil à l’obsolescence programmée, et donc s’affranchir des monopoles des fabricants) mais qui comporte aussi ses parts d’ombre (une arme à feu a déjà été créée grâce à cette technologie, et bien que pour l’instant on risque autant de se faire sauter avec que d’atteindre sa cible, cela présage la possibilité pour chacun de s’équiper d’armes de guerre comme on imprimerait une photo). Car toute nouvelle technologie sera, forcément, chaque fois que c’est possible, détournée pour faire du mal à d’autres humains – la radioactivité peut soigner des cancers, mais c’est tellement plus glamour de balancer des bombes A, et j’en passe et des meilleures… La Révolution industrielle a conduit à des évolutions de nos modes de vie, mais pas toujours de façon positive, et elle a aussi permis la mondialisation de la guerre avec des armes toujours plus puissantes et destructrices… Bref, dans ce contexte, je crois qu’on peut interpréter BSG comme un avertissement contre le progrès irréfléchi et irresponsable…

D’un autre côté, Ron Moore parvient dans les dernières minutes de BSG à nous surprendre encore en nuançant son message. Avec un flashforward jusqu’à New York de nos jours, on comprend que la flotte est arrivée sur notre Terre et que la série, comme certains le pressentaient, était donc située dans le passé lointain. Mais surtout, l’on découvre que la belle résolution de Lee n’a fait que retarder l’inéluctable avancée technologique des humains, qui créent maintenant des robots de plus en plus humanoïdes qui rappellent fort les Cylons. All of this has happened before, and all of it will happen again : il semble approprié que l’idée d’Histoire cyclique présente tout au long de la série soit ce qui la conclut. Mais la discussion entre les deux « anges » Baltar et Caprica Six, qui observent le tout avec un certain détachement, nous ouvre quand même un espoir : celui que cette fois, la fin soit différente.

Plus largement, c’est finalement l’idée d’Histoire qui est remise en cause. En effet, c’est l’Histoire qui a mené à toutes les guerres entre Cylons et humains – dans l’épisode 3.04 (Exodus 2ème partie / Exodus part 2), numéro Trois (D’anna) explique en effet que les Cylons n’ont plus le choix : s’ils laissaient les humains vivre, ceux-ci raconteraient leur histoire à leurs enfants qui la transmettraient à leur tour à leurs descendants qui, un jour, finiraient par partir à la recherche des Cylons pour se venger ou les mettre hors d’état de leur nuire à nouveau[1]. Ce qui explique la réaction de la flotte lorsqu’elle arrive sur Terre : oublier leur Histoire en même temps que leur technologie, c’est se donner la possibilité de vivre ensemble en harmonie, humains comme Cylons, de repartir de zéro sur tous les plans. Oui, mais oublier son histoire, c’est aussi oublier les leçons qu’on a pu en tirer, et le résultat, plusieurs millénaires plus tard, c’est qu’on s’apprête sans doute à commettre encore une fois les mêmes erreurs…

Ce sont des questions qui se posent régulièrement après des guerres : la punition ou le pardon, l’oubli… Ne serait-ce qu’après la Seconde Guerre mondiale, on a vu des réactions très différentes de différents pays : l’autoflagellation, la victimisation, l’héroïsation… et cela influence encore aujourd’hui les relations internationales – les États-Unis aiment à rappeler qu’ils ont sauvé l’Europe, l’Allemagne se méfie encore beaucoup des interventions militaires… Du point de vue technologique, la question du désarmement ou de la non-prolifération est également cruciale… même si elle consiste souvent à empêcher les pays qui n’ont pas encore développé une technologie, de la développer un jour. Seuls les pays « adultes et responsables » (j’insiste sur les guillemets et l’ironie qu’ils impliquent) peuvent disposer de la fameuse force de dissuasion nucléaire, que les pays plus « immatures » ne sauraient pas utiliser. Mais hors de question de s’en débarrasser complètement comme le suggère Ron Moore dans BSG.

Encore une fois, le créateur de la série nous traite comme des êtres doués d’intelligence et ne nous sert aucune réponse toute cuite. À nous d’interpréter cette fin comme nous le souhaitons…


[1] “What would you do if we really just left you here? You'd live out your lives in peace and never trouble yourselves with thoughts of us again? Or would you raise your children with stories of the Cylon, the mechanical slaves who once did your bidding, only to turn against you? Killers who committed genocide against your race, the occupiers of this city until we just ran away? Would you tell them to tell the story to their children, and to their children's children, and nurse a dream of vengeance down through the years so that one day they could just go out into the stars and hunt the Cylon once more?”