Magazine

My Dark Angel – Chapitre 19

Publié le 12 juin 2013 par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete
Angel

Il était déjà tard le lendemain quand je m’éveillai après une nuit sans le moindre cauchemar malgré les évènements de la veille, malgré le fait d’être dans l’antre d’un vampire. La mort de Tom aurait dû m’horrifier. Elle n’avait fait au contraire que me conforter dans l’idée que je ne risquais rien dans cet endroit, que personne ne viendrait s’en prendre à moi tant qu’il serait là. Je tendis l’oreille pour percevoir sa présence dans l’appartement mais tout était silencieux. Pourtant je savais qu’il était là, quelque part, et cela m’était suffisant. La lumière qui filtrait par les stores vénitiens de sa chambre laissait deviner une belle journée de Noël mais je n’avais aucune envie de me lever. Je m’enfonçai un peu plus sous les couvertures, humant son parfum qui s’était imprégné sur les draps. Je profitai à la quiétude de ce moment et laissai les souvenirs de nos Noëls passés ensemble refaire surface sans chercher à les contenir. Je le revis, toujours un peu à l’écart ces matins-là alors j’ouvrais avec mon impatience d’enfant les paquets au pied du sapin. Il arborait ce regard un peu lointain et triste que je lui voyais encore si souvent. Le souvenir de celui plein de tendresse que ma mère lui adressait alors me fit aussitôt rouvrir les yeux. Cette image me dérangeait, me paraissait indécente. Je me redressai dans le lit en proie à nouveau à la plus grande confusion. J’avais de plus en plus de mal à faire le tri dans le tourbillon incessant d’émotions et de sentiments contradictoires qu’il provoquait en moi.

Il était à lui seul mes trois fantômes de Noël. Il était ce père surgi du passé, celui qui avait veillé sur moi et qui m’apportait encore aujourd’hui ce sentiment de sécurité dont j’étais si avide. Mais il était aussi cet homme sorti de nulle part deux mois auparavant, au moment où j’en avais le plus besoin, celui qui m’avait redonné confiance, dont j’avais appris à apprécier la prévenance, l’intelligence, le calme si rassurant et les gestes de tendresse de plus en plus fréquents. Je découvrais à son contact des sentiments que je ne m’étais jamais été autorisée à avoir pour quiconque. Ils m’étaient dorénavant d’autant  plus difficiles à accepter que mes souvenirs d’enfant venaient sans cesse interférer avec eux.

Il me restait à découvrir le vampire. Ce dernier aurait pu me rebuter totalement pourtant il n’en fut rien. Il y avait dans cette autre facette de sa personne quelque chose de fascinant, tout un monde inconnu que je mourrais d’envie de connaître. Je portai mes doigts à mes lèvres encore stupéfaite du trouble que j’avais ressenti la veille lorsque j’avais goûté son sang. Cela avait été exaltant comme un alcool trop fort qui vous enivre dès la première gorgée, un goût d’interdit mêlé d’impunité. Je frissonnai à nouveau à ce souvenir. Je n’avais pas éprouvé la moindre répugnance, la moindre honte en me saisissant de son poignet pour laper le liquide qui s’était échappé de la morsure. Je ne connaissais rien encore de son univers. J’ignorais ce qu’un vampire pouvait ressentir réellement, ce que cet acte pouvait représenter mais je compris rapidement qu’il était loin d’être anodin.  Il s’était crispé un bref instant à ce contact avant de le rompre un peu trop brusquement. Il ne s’était pas éternisé, se contentant d’un « Dors maintenant » autoritaire et froid avant de sortir de la chambre sans se retourner. J’étais restée un long moment à contempler la porte qu’il venait de franchir. J’étais perplexe et quelque peu perdue face à ses réactions et face aux miennes également je devais bien l’avouer.

Je jetai un coup d’œil à ma montre. Il était plus de 10 heures déjà. Je sortis à regret de dessous les couvertures et attrapai le sac dans lequel j’avais entassé quelques vêtements en catastrophe avant de quitter mon appartement. Finalement, les choses s’étaient réglées plus vite que je ne l’aurais cru. J’avais vainement tenté de ressentir ne serait-ce qu’une once de pitié pour le sort qu’avait connu Tom mais je n’éprouvais qu’une profonde indifférence teintée d’une légère satisfaction. Cette ordure me traquait depuis des mois comme une proie sur laquelle il n’avait pas hésité à fondre à la première occasion. L’idée qu’il se soit retrouvé lui aussi dans cette position n’était à mon sens qu’un juste retour des choses.

Je passai un temps déraisonnablement long sous l’immense douche aussi grande à elle-seule que ma salle de bain entière. Je n’aimais pas foncièrement cet appartement beaucoup trop vaste et surtout dénué d’âme mais je devais bien admettre que de se laver sans avoir peur de voir surgir une colonie de cafards des tuyauteries était particulièrement délectable. Je sortis de là une heure plus tard pour aller le retrouver. Il n’était pas dans la cuisine ni dans le salon.  J’errai un moment dans les couloirs à sa recherche, jetant à la dérobée des coups d’œil dans les pièces que je ne connaissais pas. Je poussai la porte entrouverte de l’une d’entre elles et restai médusée sur le seuil. C’était une pièce à l’exact opposé du reste de l’appartement, de taille plus modeste mais surtout tapissée du sol au plafond d’étagères qui courraient sur tous les murs à l’exception celui qui offrait de larges fenêtres. Deux larges canapés de cuir vieilli se faisaient face au centre de la pièce et constituaient comme une allée qui conduisait à un bureau style Louis XVI parfaitement rangé installé devant les baies vitrées.  Les stores fermés ne laissaient passer que de fins raies d’une douce lumière qui venait frapper les ouvrages anciens alignés avec ordre sur les étagères. La tentation fut trop grande. Je me faufilai à l’intérieur après avoir jeté un dernier coup d’œil de part et d’autre du couloir. Je parcourus des yeux les dos damassés des livres tous rangés par ordre alphabétique. Je lâchai un ricanement amusé en repensant aux paroles de Derek sur le côté psychorigide du propriétaire des lieux.

Je me saisis de l’un des ouvrages, une édition ancienne de Jane Eyre, et l’ouvris avec précaution. Les pages jaunies craquèrent légèrement. Je parcourus les premières lignes de ce roman, l’un des préférés de ma mère. Une jeune femme d’un milieu modeste qui tombe amoureuse d’un homme riche, mystérieux cachant un lourd secret: c’était assez cliché finalement, ironisai-je pour moi-même. Ceci dit j’aurais bien aimé voir la tête de Jane en apprenant que Rochester avait fréquenté sa mère et était en réalité un vampire millénaire. Ce genre de livre aurait fait un bide à coup sûr. Toute à mes élucubrations, je ne l’avais pas entendu s’approcher et je sursautai en sentant soudain sa présence derrière moi.

— Je suis désolée. Je ne voulais pas fouiller ou être indiscrète…je vous cherchais et la porte était …. pas vraiment ouverte mais presque…, bafouillai-je lamentablement en remettant le livre en place avec des gestes gauches.

— Tu peux aller et venir comme bon te semble : tu es chez toi ici, m’assura-t-il en prenant place dans l’un des canapés et en m’invitant d’un geste à faire de même.

Je m’assis face à lui. Il avait croisé élégamment les jambes et tapotait l’accoudoir avec la régularité d’un métronome. Il tâchait de se composer une attitude impassible mais je n’étais pas dupe : je le devinais aussi anxieux que moi. Nous n’avions pas encore eu l’occasion de mettre les choses au clair. Et si j’appréhendais ce qu’il allait m’apprendre, il devait se douter que cette fois je ne le laisserais pas se défiler. J’avais des centaines de questions à lui poser et pourtant, alors que c’était le moment idéal pour lever définitivement le voile sur lui, j’hésitais et n’arrivais pas à en formuler une mentalement sans qu’elle ne me paraisse complètement saugrenue.

— Cette pièce vous ressemble plus que le reste de l’appartement, commençai-je sur le ton de la conversation anodine pour détendre quelque peu l’atmosphère qui se faisait de plus en plus pesante à mesure que s’égrenaient les secondes.

— Parce qu’elle est pleine de reliques poussiéreuses, tu veux dire ? répliqua-t-il avec un sourire narquois que je lui rendis.

— C’est sûrement ça, oui….

— Je suppose que tu dois avoir des tas de questions à me poser, reprit-il plus sérieusement.

J’inspirai profondément et acquiesçai de la tête.

—J’en ai quelques unes effectivement. Derek m’a dit que vous étiez un vampire originel millénaire. Est-ce vous êtes vraiment le premier des vampires existants? Si c’est le cas, comment avez-vous été créé ? Quels sont vos autres pouvoirs ? Il  y a d’autres créatures en dehors des vampires qui rôdent ? l’interrogeai-je en me demandant si cette avalanche de mots était vraiment en train de sortir de ma bouche.

Il se redressa contre le dossier et leva la main pour stopper le flot de questions que je continuais à débiter de plus en plus rapidement.

— On va y aller doucement si tu veux bien et commencer par le début, me tempéra-t-il. Ma famille et moi sommes effectivement  à l’origine de toutes lignées de vampires…

~*~

J’ignorai combien de temps nous restâmes assis l’un en face de l’autre : lui à me raconter toute son histoire et moi à écouter béatement ce récit complètement irréel et surréaliste. Il me relata le maximum de détails depuis leur installation sur cette terre encore inconnue du monde occidental et le sort jeté par leur mère pour les protéger jusqu’à la malédiction levée par son frère ainsi que les fuites incessantes pour échapper à leur père. Une légère crispation de ses lèvres avait trahi l’amertume et la colère qu’il ressentait face aux trahisons que ses frères et sœur s’étaient infligées au cours des siècles. Plus il parlait plus son visage s’était assombri et plus une évidence me sautait aux yeux. Derek avait raison en ce qui le concernait. C’était un être qui cherchait désespérément quelque chose qui le raccrocherait à ce monde qu’il avait vu changer sans vraiment évoluer. Il portait sur ce dernier un regard à la fois cynique et désabusé et ne se faisait plus d’illusions sur la nature humaine depuis bien longtemps. Nous avions finalement beaucoup de choses en commun.

Son récit terminé, nous gardâmes longtemps le silence. J’avais besoin d’un peu de temps pour intégrer toutes ces informations aussi insolites qu’inconcevables. Je devais probablement faire une drôle de tête car je le vis me dévisager en fronçant les sourcils.

— Tout va bien ? s’enquit-il.

Je me raclai la gorge avant de répondre.

— Comme Alice qui vient de se casser la figure dans le terrier du lapin.

Il me sourit avec mansuétude.

— Il est tard, tu dois avoir faim, décréta-t-il plus qu’il ne demanda.

Il se leva et je le suivis jusqu’à la cuisine. Je m’installai sur l’un des hauts tabourets placés devant le bar qui séparait la cuisine de la grande table. Le menton appuyé dans les paumes de mes mains, je m’amusai à le voir évoluer avec aisance dans cet endroit. Il avait l’air si normal. Pourtant la veille cet homme en apparence si parfait avait tué sans la moindre hésitation ou état d’âme.

— A quoi cela vous sert-il d’avoir ce genre de nourriture chez vous ? m’étonnai-je en  voyant le contenu  de son  frigo.

— Au cas où j’aurais à nourrir des réfugiés venant du Queens, se moqua-t-il en étalant sur le plan de travail ce qu’il fallait pour nourrir quatre personnes au moins.

Je fronçai le nez devant sa remarque.

— Ce que je veux dire c’est que vous vous promenez en plein jour, vous vous nourrissez comme tout le monde. Je n’ai pas vu de cercueil sous votre lit, ni de cadavres, d’ailleurs…

Il suspendit ses gestes et me  gratifia d’un sourire moqueur.

— Et je ne me transforme pas en chauve – souris. Je ne crains pas l’eau bénite, l’ail ou les pieux en bois. Je ne brille pas non plus comme un ver luisant quand je suis au soleil ou autres fariboles du même acabit.

— Et si on vous plante un pieu dans le cœur, vous n’éclatez pas comme une bulle de savon ? Vous ne vous désintégrez pas en poussière ? continuai-je sur le même ton que lui.

— Non, désolé, feignit-il de s’excuser.

— Vous êtes très ennuyeux comme vampire en fait, le narguai-je avec une fausse expression de déception.

Il lâcha un ricanement bref tout en continuant à me préparer un sandwich qu’il me colla bientôt sous le nez.

— Ma mère était au courant ? hasardai-je avant de mordre à pleines dents dans le pain pour tenter de cacher  l’embarras que me causait l’évocation de ma mère.

— Que j’étais ennuyeux ? Sans aucun doute, répliqua-t-il malicieusement.

Je stoppai mes mastications et lui adressai un regard de reproche. Je n’avais pas foncièrement envie de plaisanter sur ce sujet.  Il me mettait très mal à l’aise mais il fallait que je sache. Je savais qu’elle avait été heureuse avec lui. Il me suffisait dorénavant de fermer les yeux pour revoir son visage radieux et entendre l’éclat de son rire. Mais c’était tout ce que je savais.

— Est-ce qu’elle savait la vérité sur vous ?

Devant mon insistance et mon air subitement grave, il reprit lui aussi son sérieux.

— Non, je ne lui avais rien dit.

— Et en quatre ans, elle n’a jamais rien soupçonné ? m’étonnai-je.

— A partir du moment où une quantité de sang nécessaire à ma survie circule dans mes veines, mon corps fonctionne comme celui de n’importe quel humain. Je respire, mon cœur bat, ma température bien que plus basse n’a rien d’anormale au toucher. Il n’y avait aucune raison qu’elle soupçonne quoi que ce soit.

—  Je n’ai mis que deux mois pour m’en rendre compte, lui rappelai-je.

— Il faut croire que j’étais plus prudent à l’époque que je ne le suis aujourd’hui, constata-t-il avec, devinai-je, une pointe d’agacement devant cet aveu de faiblesse.

Il détourna le regard et s’affaira au rangement du plan de travail.

— Quoiqu’il en soit, si un jour elle a eu des doutes sur quelque chose elle n’en a jamais rien fait paraître, conclut-il de manière abrupte sans doute dans l’espoir que je change de sujet.

— Vous l’avez aimée ?

Il me tournait alors le dos mais je le vis se raidir.

— Est-ce qu’un vampire est seulement capable de ressentir ce genre de chose ? l’interrogeai-je sans détour.

 Le bruit du couteau qu’il lâcha un peu trop brusquement résonna dans l’évier. Je venais de toute évidence de le contrarier alors que cela n’était vraiment pas dans mes intentions. Lorsqu’il me fit à nouveau face, son visage était à nouveau impénétrable.

—  Si j’étais ce monstre froid et sans âme que tu imagines, tu ne serais pas là aujourd’hui.

— Ce … ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, me troublai-je confuse à la fois à cause de ma maladresse que de ce ton cassant qu’il venait d’employer. Je cherche juste à comprendre pourquoi vous êtes resté aussi longtemps avec nous.

Il se passa une main nerveuse dans les cheveux. La discussion avait l’air de l’embarrasser de plus en plus. Quant à moi, j’ignorais quel genre de réponse j’attendais. L’enfant qui sommeillait encore en moi espérait l’entendre dire qu’il l’avait réellement aimée et qu’il était là pour veiller sur moi comme le père qu’il avait été autrefois. La femme que j’étais devenue nourrissait une jalousie complètement irraisonnée pour leur histoire et voulait croire qu’il faisait tout cela pour moi seule et non pour une quelconque question de devoir ou de mauvaise conscience.

— J’aimais surtout l’image qu’elle me renvoyait de moi. C’était extrêmement égoïste de ma part et elle méritait mieux, confessa-t-il.

— Elle était heureuse. C’est d’ailleurs la seule période où elle a été, lui assurai-je.

Je contournai le bar et m’approchai  alors qu’il s’efforçait de me dissimuler cette culpabilité que je lisais ouvertement sur son visage crispé.

— On va arrêter les questions pour aujourd’hui, décréta-t-il.

— J’en ai encore une.

Il soupira mal à l’aise et impatient d’en finir. Pourtant, ce fut sans pitié et sans détour que je lui posai la question qui me brûlait les lèvres depuis si longtemps.

— Pourquoi vous êtes revenu dans ma vie alors que vous auriez pu tout régler sans même vous montrer ? Qu’est-ce que vous cherchez à faire finalement ?

Il me regarda longuement et sa réponse se fit attendre tout autant.

— Je ne suis jamais vraiment parti. J’étais au restaurant le soir où je t’ai abordée. J’y venais chaque année pour vous voir. Vous discutiez de choses anodines la plupart du temps, je ne pouvais pas me douter de ce qui se passait chez vous. Ce soir-là, en voyant que Constance ne venait pas, j’ai compris. Quand j’ai vu quelle était ta vie et appris ce qui s’était passé, je n’ai plus eu qu’une envie : veiller sur toi comme avant et faire en sorte que plus personne ne s’avise de te blesser à nouveau.

Il s’interrompit et je le fixai avec une attention presque déplacée.

— Et maintenant que c’est fait, que va-t-il se passer ? demandai-je d’une voix étranglée tant ses paroles m’avaient ébranlée.

— Tout d’abord,  je vais essayer de te convaincre de ne plus jamais remettre les pieds dans ce bar miteux ni dans ce taudis que tu habites. Pour le reste….

Il inspira profondément avant de plonger son regard sombre dans le mien et de poursuivre :

— Rien ne s’est passé comme je l’avais prévu et cela fait bien longtemps que j’ai renoncé à planifier quoique ce soit te concernant.

— Vous croyez que je vais renoncer à un travail plein de perspectives et à un futur palace trois étoiles parce que vous allez me le demander ? ironisai-je alors que ma gorge s’était douloureusement nouée.

Il se contenta d’un sourire discret pour toute réponse et reboutonna machinalement sa veste : un geste que j’avais souvent remarqué lorsqu’il voulait  me signifier qu’une discussion était close. J’avais atteint et largement dépasser son seuil de tolérance en ce qui concernait les confidences. Quand il passa à ma hauteur, il m’effleura brièvement la joue de son index avant de disparaître dans son bureau. Ce n’était pas plus mal. J’avais besoin moi aussi de faire le point. J’allais probablement passer le reste de la soirée à me torturer les ménages et à tenter de donner un sens à sa dernière phrase.


Retour à La Une de Logo Paperblog